Comme il est étouffant de se réveiller seul encore ce soir, incapable de faire le tri dans tes idées les plus noires. Des sentiments frappent tes chairs, offre ton cœur en pâture aux plus vils vices. Mais il n’y a rien ici, c’est voulu et parfaitement calculé ; puis c’est franchement pas le moment de te foutre en l’air, de laisser le malin s’accrocher à tes chairs. C’est parce que tu as besoin de te raccrocher à autre chose que tu as décidé de postuler là-bas, parce que les excès ne peuvent pas alimenter ad vitam aeternam une vie. Surtout pas une vie comme la tienne, qui peut s’étendre sur des siècles ; condamnation éternelle à la solitude trompée par le fantôme pesant de ta jumelle. Où est Willow ? Que fait Willow ? Est-elle seulement en vie quelque part sur cette face du réel ? Négligée au creux des draps, tu ignores la fille qui nue, a passé la nuit avec toi. Elle vient s’empiler derrière la masse qui n’importe pas, l’insignifiant d’un instant d’euphorie saupoudré d’artifices. Tu es presque incapable de bander en toute sobriété, tu le sais ? Ça te dégoute, ça fait remonter les traumatismes et tu es peut-être à jamais enfermé dans cette cage sans fenêtres. Le bruit des touches du boîtier qu’on presse, le cliquetis de la porte avant son horrible bruit de fer puis le malaise parce qu’il était plus simple de tourner de l’œil. A ton réveil, cette horrible géhenne du garçon presque entièrement nu qui doit se masturber sous l’œil avisé du regard de son père : « Tu seras un maître ». MAITRE POUR COUPER DES TETES SALE FILS DE PUTE D’ENFANT DE TA MERE. Ta haine a dépassé le cours de ta pensée, ton poing a violement claqué contre la table de chevet. En sursaut la belle aux bois dormants s’éveille, tourne son faciès d’humaine vers ta corporéité herculéenne.
- Bonjour, minaude-t-elle, tout va bien ?
Et toi, méprisant comme pas deux lorsque tu le souhaites, tu balances un négligeant :
- T’es qui toi déjà ?
Un « connard », une chaussure dans la tête et une porte claquée plus tard, te voilà étendu nu sur ton lit, fixant le plafond avec un regard vide. Ton cœur est-il donc aussi vide et démuni d’émoi que ce lambris qui jamais ne communique avec toi ? C’est idiot de penser comme ça, tu n’es pas complètement cassé, juste grandement désarticulé. Tu sais, à la manière de ces vieux jouets rafistolés à la va-vite pour être revendus au vide-grenier du lendemain. Tu sais que quelque part au fond de toi, il y a encore un peu de chaleur qui bat. Lorsque Will saute sur ton torse et ronronne en cognant sa tête contre l’angle de ta mâchoire, tu le sens cet émoi qui convulse quelque part en toi. Tu n’es pas complètement mort, Dex’ ; juste un peu buté par le drama de ta vie.
Il est vingt-et-une heures lorsqu’enfin tu franchis la porte de l’immense hôtel du Lux. Tu ne t’y es jamais trop attardé par le passé, c’était pas encore le genre d’établissement dans lequel tu pouvais espérer t’installer. Tu as commencé à apprendre le métier de barman quand Willow était encore là et depuis qu’elle est partie, tu n’as fait qu’augmenter la pratique. Tu n’es plus regardant des heures, si tu dois travailler soixante-dix heures par semaine, tu le fais, sans jamais rechigner. Tu n’es pas fainéant et tu prônes encore moins l’oisiveté de tous ces êtres suffisants. Si tout le monde avait un peu plus les pieds sur terre, ça permettrait peut-être au monde d’évoluer vraiment, d’avancer sans se planter tous les ans dans une guerre de plus. Tu sais mieux que personne combien le monde ferme les yeux sous les horreurs sous-jacentes à ce qu’on affiche au journal de vingt heures, pour faire jaser les quartiers terrestres et amuser les surnaturels. Si un jour tu racontais à quiconque l’histoire de ta vie, tu mets ta main à couper qu’on ne serait pas capable de te croire : c’est impossible ce genre d’histoire, ça n’existe que dans les films d’après vingt-trois heures le soir. A la réception tu signales que tu viens pour un entretien d’embauche et on te signale directement un numéro d’étage ainsi qu’un nom : Lannister. Joliment accoutré d’un costume que tu t’es payé avec l’entièreté de ton dernier salaire d’évènementiel, tu prends l’ascenseur jusqu’à l’étage du personnel ; tout le reste te semble être des chambres mais tu n’en mettrais pas ta main à couper, tu ne connais pas ce lieu ouvert seulement aux surnaturels, invisible aux yeux des terrestres. D’ailleurs, tu fais partit de ces rares espèces qui peuvent donner aux humains, le pouvoir de voir votre univers. Le ferais-tu si tu savais utiliser cette compétence ? Rien n’est plus incertain. Tu t’amuses de la plupart des vivants lorsque vraiment, ils cherchent à capter ton attention ; pour les autres tu n’accordes pas vraiment d’importance, tu n’es pas particulièrement méchant mais tu n’as pas envie de te mélanger à la foule de leur hypocrisie.
La porte du bureau où demeure un écriteau portant le nom Lannister termine ton périple dans ces entrailles géantes. En pressant la poignée, tu pries pour que si tu as le boulot dans cet endroit, tu n’aies jamais trop à quitter le bas. La pièce est spacieuse et anormalement lumineuse pour l’heure ; parsemée de luminaires aux quatre coins. L’ambiance générale est plutôt cosy, presque fleurie tout en restant d’une sobriété irréprochable. Ton regard se balade sur ce genre de luxe que tu ne connais pas, toi bartender qui fait sauter verres et bouteilles entre tes doigts. Si bien, que tu en oublies de saluer la personne qui s’approche de toi à pas de chat, complètement absorbé par l’observation de chaque détail de l’endroit.
Le soleil pointait tout juste le bout de son nez, les rayons timides de l’astre peinaient à percer les nuages et les lourds rideaux opaques de la chambre du phénix. Un léger rayon vient caresser sa peau d’ivoire, chauffant délicieusement son épiderme alors que Rhea ouvrait lentement les paupières. Un léger voile de feu s’attardait dans un recoin reculé de ses pupilles brunes, l’empreinte de son phénix demeurait encore un peu avant de s’éteindre. Toutes les nuits, elle était victime de terribles cauchemars. Elle revoyait ses deux longues années qu’elle avait passé en la présence de Lord Morgenstern, la violence de ses coups et le désespoir qui envahissait son coeur alors qu’elle se pensait prisonnière à tout jamais de ce barbare monstrueux. En se réveillant, elle le sent encore dans son corps, dans sa chair, dans son âme… Elle sent encore sa marque, l’immondice de ses paroles, la puanteur sadique de son souffle. Son corps est tendu, ses poings se serrent autour de ses draps de soie alors qu’aucun danger ne la guette plus. Pourtant, dans un recoin reculé de son esprit, elle craint qu’il ai survécu, d’une façon ou d’une autre. Que l’explosion de son oiseau légendaire n’ai pas suffi à le mettre hors d’état de nuire. Crainte infondée pourtant car s’il était revenu sous une forme surnaturelle et qu’il avait cherché à se venger d’elle, Rhea en aurait certainement entendu parler bien avant l’an deux-mille. Il n’était jamais revenu, mais la belle Lannister n’était pas sereine.
Elle penche la tête sur le côté et contemple le côté droit morne et bien trop vide de son lit. Elle aurait voulu s’éveiller aux côtés de quelqu’un qui la méritait, qui l’aurait traitée avec respect, qui aurait décroché la lune pour elle et qui ne lui aurait pas décroché une droite à la place. Le phénix pousse un soupir alors qu’elle glisse ses mains sur son visage, chassant les dernières réminiscences des cauchemars de cette nuit. Elle les oubliera pour la journée. Puis il reviendront encore et toujours, plus terribles au fur et à mesure que la nuit avancerait.
Le soleil avait enfin réussi à percer dans son immense demeure non loin de Malibu Point. De loin, elle entendait la musique lancinante et douce des vagues tandis qu’elle se tenait désormais devant la baie vitrée de son salon, observant au loin le soleil épouser les courbes du Pacifique. Sa lumière divine allait bientôt disparaître pour laisser place à la froideur de la lune. Il était temps pour elle de se rendre à son travail. Une dernière caresse pour son magnifique petit caracal, Kylo —qu’elle avait recueilli il y a de cela quelques semaines à peine, alors qu’il avait tout juste un mois— et la voilà partie.
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Le Lux occupait la plupart de ses journées, ce qui l’empêchait de penser. Plongée dans son travail, elle empêchait ainsi son esprit de vagabonder, d’être envahi d’idées noires qui pourrissaient son esprit. De cette façon, on pouvait presque considérer Rhea comme une workaholic. Gérer tous les employés de l’hôtel surnaturel d’Amarante Byron ainsi que son projet d’ouvrir d’autres établissements n’était pas une mince affaire. Mais tant que cela occupait ses journées, l’héritière Lannister ne se plaignait pas.
Aujourd’hui —une fois n’est pas coutume, mon cul—, elle devait faire passer un entretien pour un potentiel nouveau barman. La dernière barmaid en date avait fini vidée de son sang, la faute à un gros vampire incapable de retenir sa soif, encore moins lorsqu’il s’agissait d’une jolie demoiselle. Cette fois-ci, le bartender serait un homme. Vision peut-être un peu étroite et masochiste mais il y avait moins de risques en embauchant un mâle, créature surnaturelle de surcroît, qu’une « simple » humaine dans ce genre de complexe où les vampires passaient une grande partie de leur temps, il fallait bien l’avouer. Bref, cette fois-ci et avec l’accord de Madame Byron, ce serait un homme, point barre. D’ailleurs, un petit curriculum vitae avait tout particulièrement attiré l’attention de la Lannister, une petite ligne vers le bas : maîtrise le « flair bartending ». Et ça, ça piquait vivement sa curiosité.
Assise à son bureau baigné de lumière en dépit de l’heure tardive, sa plume courant gracieusement sur le papier, Rhea appuie sur le bouton à la seconde où son téléphone interne sonne.
« — Oui ? » « — Madame Lannister, Dexter Romero vient d’arriver. Je l’ai fait monter. » « — Merci, Lena. Qu’on ne me dérange qu’en cas d’impératif. »
Elle raccroche puis se lève de son bureau pour se rendre dans la petite pièce attenante, vérifiant que son visage et sa chevelure soient impeccables. Elle entend la porte s’ouvrir sans même qu’un coup y soit porté. Immédiatement, son phénix sent l’odeur d’un intrus. L’odeur sulfureuse d’une faë noire. Sa mémoire inscrit cette odeur, la grave dans le fond de son crâne pour ne plus jamais l’effacer.
Enfin, le phénix finit par sortir de la pénombre pour plonger tout droit dans la lumière. Il ne l’a pas entendue, ça la fait sourire délicatement. Le petit sourire en coin qui en a rendu fou plus d’un. Rhea s’avance alors pour se placer finalement devant son candidat, la démarche élégante et fluide, lui tendant une main gracile mais qui n’était pas si fragile qu’il n’y paraissait.
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