Samedi matin, 9h05.
Dans une dizaine de jours, cela ferait déjà deux mois depuis ma sortie de prison. Dans l'ensemble, ça se passait plutôt bien. J'avais eu la chance de trouver un emploi calme avec une patronne agréable et conciliante, j'avais retrouvé un ami perdu de vue, j'avais un appartement correct…
En revanche, je passais toujours des nuits ponctuées d'insomnies et de cauchemars qui me donnaient une tête de déterré, surtout quand j'étais forcé de me lever pour me rendre à un entretien auquel je n'avais pas du tout envie d'aller.

C'était déjà mon septième entretien pour mon contrôle judiciaire, une corvée hebdomadaire malheureusement obligatoire pour ma liberté conditionnelle.
Tous les samedi matin, à 9h, je devais donc me rendre aux bureaux de la B.A.C.S. pour un bilan de la semaine, afin que l'on s'assure que je ne m'amusais plus à traquer et tuer des créatures surnaturelles, et que je n'étais plus un danger pour les bonnes gens et les ordures de ce monde.

Déjà qu'être confronté aux regards des anciens collègues ne m'emplissait pas de joie, je devais en plus me farcir un connard de première comme contrôleur judiciaire.
Seymour Scagnetti était un vampire, qui n'appréciait pas du tout que j'aie fait justice par moi-même en brûlant le havre d'un de ses confrères, avec le confrère dedans. Il me faisait bien comprendre que ma gueule et mes principes ne lui revenaient pas, et il passait à chaque fois l'entretien à pinailler sur des détails, à me poser des dizaines de questions inutiles et à me provoquer subtilement, sans doute dans l'espoir que je perde patience et que je lui donne raison.

Debout dans le couloir, je piétinais en attendant que la porte du bureau de Scagnetti daigne s'ouvrir.
Je regardai ma montre : 9h10... Evidemment, il était en retard. J'étais prêt à parier qu'il le faisait exprès. Poussant un soupir d'exaspération, je pliai les jambes et glissai le long du mur pour m'asseoir par terre, puis je fermai les yeux. Quitte à attendre comme un con, autant en profiter pour se taper une micro-sieste...

La routine a repris... Maison boulot dodo... Je n'ai pas encore revu Jesus. Je sais qu'il désire prendre ses distances pour que je puisse réfléchir à tout. Il veut que je comprenne qu'il n'est pas un homme bien. Je l'ai compris, mais je sais qu'il n'est pas tout pourri et je rejette son côté négatif. Je n'arrive pas à faire autrement. Je pense qu'il ne comprend pas pourquoi je suis tombée amoureuse de lui. Je ne suis même pas sûre qu'il sache ce que je ressens réellement pour lui... Nos retrouvailles ne seront pas simples. Je ne vais pas savoir comment me comporter et quoi lui dire. Pour moi il est un monstre mais également quelqu'un qui mérite d'être aimé, quelqu'un qui n'est pas tout pourri. Surtout avec moi... Il ne m'a jamais fait de mal. Pourquoi ne pourrions-nous pas mettre de côté sa vie de méchant à l'écart lorsque nous sommes tous les deux ? C'est faisable non ? Ou alors il préfère que je vive dans la crainte, et que je le repousse car il fait des choses horribles ? Je ne dis pas que j'accepte ce qu'il fait et que je le comprends... Mais je suis amoureuse de lui pour autre chose que cela...Mais bon... Ne pensons plus à cela... Pour l'instant je termine ma nuit de boulot. J'ai passé la nuit en mission avec la BACS. Il a fallu arrêter une succube. La mission n'a pas été simple.

Il est neuf heure passé et je boucle seulement mes affaires. Je m'apprête à rentrer chez moi lorsque j'aperçois un ancien collègue, Samuel. J'ai bien connu sa défunte femme. Il n'a pas eu une vie facile et nous n'avons pas été tendre avec lui au travail... Il faut dire qu'il a tué de sang froid trois personnes. Il s'est vengé... Il a d'ailleurs été condamné à cause de cela. Pendant longtemps j'ai pensé que c'était normal qu'il soit puni pour ce qu'il a fait. Il n'avait pas à se faire justice lui-même. Mais depuis que je suis tombée amoureuse j'arrive à comprendre son geste... C'était le cri du désespoir, le besoin de soulager la douleur qu'il ressentait. Du moins c'est ce que je pense. Je sais que si on venait à tuer l'homme que j'aime je serais capable de laisser ma panthère attaquer le coupable et le déchiqueter... Juste pour que le coupable ne recommence plus jamais...

Au moment où il s'assoit par terre je m'approche de lui. Je n'ose pas m'installer à ses côtés. Je ne sais pas si je suis la bienvenue... Et je sais qu'il attend son contrôleur. Mais j'aimerais lui parler un peu... Renouer des liens avec lui, lui faire comprendre que... Je ne sais même pas... Lui dire qu'il n'est pas seul, que... Que je m'excuse de ne pas avoir été cool avec lui... Je l'ai connu grâce à sa femme mais nous n'avons jamais été amis lui et moi, on s'entendait bien mais sans plus. Et puis après il y a eu le drame et j'ai réagit comme les autres collègues...

- Bonjour Riggs... Scagnetti est encore en retard ?

Ouais bon... J'aurais pu faire mieux... Mais je ne suis pas douée pour ce genre de choses... Je suis assez sauvage... Et je ne sais pas trop quoi lui dire. Je n'ai pas envie de parler de la pluie et du beau temps. Je n'ai pas envie non plus de lui demander comment il va car je me doute bien de la réponse... Même si pour le coup cela m'intéresse réellement... On verra s'il désire parler et si j'arrive à me décoincer un peu...

Je venais de fermer les paupières quand j'entendis des pas s'approcher. Comme j'étais dans un couloir où il pouvait y avoir pas mal de passage, je gardai les yeux fermés, songeant que ce n'était sans doute qu'un agent random qui passait par là. Mais quand j'entendis une voix féminine prononcer mon nom, je compris que malheureusement, cette personne venait pour me parler.

Je poussai un profond soupir. Je n'avais pas reconnu la voix, et je n'étais pas impatient de découvrir de qui il s'agissait. Mes huit années de réclusion m'avaient rendu un peu asocial, surtout vis-à-vis de mes anciens collègues.
Je rouvris les yeux pour les lever sur une jeune femme brune au corps bien couvert de tatouages. Oui... Je me souvenais d'elle...

Une agent de terrain, animorphe. La petite protégée de Morgana. Elle bossait dans la même équipe que Mary à l'époque...
Comment est-ce qu'elle s'appelait déjà ?
Salinger ! Mais le prénom... Un truc en -a, ça commençait par un M... Melinda ? Non, y'avait un r quelque part... Mérida ?
Comme j'étais pas sûr, je préférai éviter de la nommer. Je répondis donc directement à sa question, avec un léger sourire moqueur.

« Ces immortels... Ils n'ont aucune notion du temps. »

La conversation était lancée. La suite logique était sans doute qu'elle me demande comment j'allais, qu'elle prenne des nouvelles. Ce qui était la convention sociale par excellence, à laquelle je n'avais néanmoins pas du tout envie de me conformer.
Elle avait connu Mary. Elle allait probablement m'en parler. Il fallait donc que je trouve vite un autre sujet de conversation.

Salinger... Une animorphe panthère de mémoire. Mary m'en avait pas mal parlé. Une petite jeune qui peinait à contrôler sa part bestiale. Du genre renfermée sur elle-même, à ne pas oser aller vers les autres, de peur de leur faire du mal.
Mais ça, c'était y'a huit ans. Elle avait dû évoluer depuis. En tout cas, j'avais un sujet de conversation tout trouvé.

« Comment tu te sens... quand tu te transformes ?
Est-ce qu'il t'arrive encore d'avoir peur de perdre le contrôle ? »

J'avais toujours été un passionné et un grand curieux de tout ce qui se rapportait au surnaturel. Depuis mes mésaventures, je tâchai de me tenir le plus éloigné possible de tout ça, mais si elle se souvenait un peu de moi, ma question ne devrait pas trop la surprendre.