ussi étonnant que ça puisse être pour un homme comme Jesus, il ne déteste pas autant que ça la période de Noël. Les humains deviennent moins suspicieux, plus prompts à pardonner, plus faciles à berner. Il y a, également, du chocolat à foison, des robes levées par-dessus les genoux, au mépris total des températures de l’hiver. Mais dans un monde aussi brûlant que celui de Los Angeles, le froid n’est pas franchement un problème.

Les cadeaux sont, d’ailleurs, une chose étonnante que l’elfe noir apprend à connaître depuis peu. C’est un bébé phénix qui lui a donné le tout premier de sa vie. Oui, à cent ans passés, Jesus ne connaissait pas le bonheur de tout déchirer pour découvrir ce qu’il y a en-dessous. Évidemment, le chauve est, typiquement, le genre de gamin… euh, d’homme, à s’intéresser de plus près à l’emballage qu’au cadeau dedans. Il s’est découvert une passion dévorante pour tout déchirer avec la folie furieuse du gamin gâté.

Ce qui l’amène ici, aujourd’hui, devant son but.
Ou devant son prochain larcin.

Les yeux sombres de Jesus se dressent derrière ses lunettes noires et il zieute, sans comprendre, les nombreuses lumières qui clignotent. Quelques passants lui jettent un drôle de regard, interloqués par la dégaine de cet homme en noir, les lunettes de soleil enfoncées sur le nez en plein milieu de la nuit. Il s’en fiche. Pour une fois, Jesus se désintéresse des humains qu’il aime embêter pour se concentrer sur l’essentiel : le grand sapin qui brille tant.

En bon elfe noir, Jesus ne voit pas de meilleur affront à sa race qu’une chose qui fait tant de lumière en plein milieu de la nuit. Il a très envie de tout arracher, de tout faire tomber, de détruire les décorations pour entendre le monde rager. Car il sait, oui, il sait que les humaines détestent ceux qui n’aiment pas Noël, ceux qui osent gâcher Noël. Et le chauve, lui, adore qu’on le déteste, qu’on le pointe du doigt pour crier à la folie.

Les bulles remontent bruyamment le long de sa paille et Jesus jette son café fini. Il entend quelqu’un grogner, derrière lui, mais il s’en fiche. Le chauve jure qu’il a visé la poubelle et qu’il n’a absolument pas fait exprès de lancer pile au moment où un gars passait entre lui et son but. Tant que l’autre n’essaie pas de le rattraper, l’elfe noir trace, plus intéressé par le sapin que par une bonne baston. Un fait assez rare pour être noté dans le calendrier.

Au pied du grand sapin, il prend une grande inspiration, les mains sur les hanches et se demande par quoi il commence. Il a très envie d’arracher les ampoules, mais les petits cadeaux qui pendent, un peu dans tous les sens, sont bien plus attirants. Alors, Jesus s’empare de l’un d’eux, puis d’un deuxième et d’un troisième, et tourne les talons juste à temps pour se rendre compte d’un gros doigt moche pointé dans sa direction. Un petit idiot d’humain qui trouve ça très malin de balancer l’elfe noir aux autorités.

Il ne reste plus qu’une seule solution : Jesus jette deux de ses cadeaux sur le premier venu et éventre le troisième sans attendre. Si on lui demande, c’est l’autre qui a eu l’idée ! Lui, il n’est qu’une victime de son influence et son autorité. Comme un couteau glissé sous sa gorge pour le forcer à détruire la décoration. Car les cadeaux ne sont que des cubes en carton, évidemment. Mais balancer du papier coloré dans tous les sens, ça amuse beaucoup Jesus.

esus a besoin de peu, dans sa drôle de vie, pour s’amuser comme le petit fou qu’il est, a toujours été et sera à jamais. Ce qui n’est pas une si mauvaise choses pour le monde entier, en vérité. Puisqu’il vaut, tout de même, mieux pour tout le monde que Jesus s’amuse à déchirer des cadeaux de décoration, que de déchirer des peaux, des muscles, des os. Si, si, déchirer des os. Alors, rien ni personne ne pourra le détourner de son but. Ni les passants qui le regardent mauvais, parce qu’ils sont grave jaloux de sa classe naturelle, ni la pauvre bête qui prend la peine de ramasser le gobelet que l’elfe noir a lancé par terre, sans la moindre considération pour la planète. Pour l’écologie, les herbes à bouffer ou fumer, la petite salade biologique et les poubelles ambulantes, il faut demander aux elfes blancs.

Son but : le grand sapin très moche, très lumineux, puis les petits cadeaux accrochés à ses branches, comme une guirlande censée être jolie. Sauf qu’elle n’a, sur lui, qu’un seul pouvoir : l’attirer comme un chat attiré par les boules de Noël qui remuent, dans les sapins. Sans le moindre doute, si Jesus doit se réincarner, il sera un gros chaton tout touffu, tout griffu, tout menaçant. Un bon gros prédateur prêt à déchirer de la gueule. Et pas que de la gueule animale, évidemment. En attendant, il se contente d’être un gars un peu bizarre qui agresse un sapin de Noël.

Il n’irait pas jusqu’à dire que les témoins sont traumatisés par son geste, mais Jesus se délecte des regards outrés qui se tournent dans sa direction. Ils ne peuvent pas savoir, eux, ce que ça fait, de vivre plus de cent ans sans connaître la joie de déchirer du papier cadeau. Le chauve n’a jamais eu le moindre cadeau. Il en a vu de loin, évidemment, comme tout le monde en cette saison, mais personne ne lui a tendu une boîte avec un trésor à l’intérieur. Personne sauf Lucas. Alors, Jesus a le droit de tout détruire, oui. Si, si. Logique bien à lui.

Quand un homme pointe son gros doigt dans sa direction, il s’insurge sans un mot et zieute, à droite, à gauche, la moindre trace d’un représentant de l’ordre. Il ne voit que lui, le représentant du chaos, et s’amuse de la tentative de le dénoncer. Au moins, on lui foutra la paix pour quelques minutes, encore, ce qui lui donnera l’occasion de tout défoncer et de repartir comme il est venu : le sourire aux lèvres, un sifflement sur la bouche, la démarche assurée de celui qui a commis la plus belle chose de sa vie. Ou presque.

Puis un homme s’avance et Jesus fronce ses sourcils imberbes. Il lui lance deux de ses cadeaux et se détourne tout de suite de l’inconnu pour ouvrir celui qu’il a toujours entre les mains. Le papier vole tout autour et, méfait accompli, le chauve s’attaque immédiatement à un nouveau paquet. Sauf que, cette fois-ci, il prend soin de garder chaque morceau dans ses mains. Puis l’autre lui adresse la parole et Jesus s’arrête en plein mouvement.

La rage explose contre son visage. L’elfe noir a une seconde de latence, comme un lag étrange qui le garde immobile. Quand, enfin, il bouge, c’est pour sourire, d’un grand sourire idiot bien à lui. Il sourit de toutes ses dents et laisse tomber le nouveau carton dénudé de son papier. Dans ses mains, les petits morceaux ressemblent à des confettis qu’il s’empresse de jeter sur l’humain qui se prend pour son ami.

♫ Vive le marié ! s’écrie-t-il, très content de lui. Faut pas bouder, c’est un beau jour. Allez, allez, elle est où ma bague, chéri ?

Jesus tend ses doigts blancs vers l’autre et papillonne des yeux comme la pétasse qu’il n’est pas, mais qu’il adore imiter. Il ne comprend pas pourquoi l’autre s’énerve contre lui, mais ça lui plaît énormément. Il adore embêter le monde et le voir gronder sur son passage. Il ne pensait pas que les choses iraient si vite, mais ça lui va. Après l’effort, le réconfort, comme on dit. Et le chauve se réconforte de voir qu’il provoque toujours la rage des autres.

♫ Je sais pas ce qui m’arrive ! La rage peut-être ? (Il fait mousser un peu de bave, sur ses lèvres.) Une bête, oui, voilà, c’est exactement ça ! Je suis devenu une bête, quelle horreur…

Peut-être bien qu’il crache un peu, dans son délire, mais tout ceci l’amuse beaucoup, lui. Il se doute que ce n’est pas le cas de l’autre qui s’insurge de deux pauvres décorations réduites en miettes. Personne ne s’énerve autant sur un chaton, pourtant contre Jesus, oui. Quelle injustice !

♫ Tu devrais essayer, ça te décoincerait un peu, plutôt que de faire du boudin.

Jesus ricane un peu et recule d’un pas, comme une proie devant un prédateur. Il sait ce que ça fait, sur les méchants, ce genre de mouvement, il le sait et il en joue. Parce que Jesus adore être la victime, pour mieux prouver, ensuite, qu’il n’a rien de celui qui se laisse faire et attend le calme pour pleurer dans son coin. Le vrai prédateur, c’est lui et, heureusement pour les autres, il ne répond plus à ses bas instincts depuis longtemps.

♫ Souris, t’es filmé, beau gosse, dit-il, en désignant, du menton, un portable tourné vers leur direction.

Peut-être bien que le seul sujet de cette vidéo est Jesus, mais qui peut jurer que les passants ne prennent pas le brun pour son complice ? Jesus, lui, est prêt à jurer qu’il est bien son ami et qu’il lui a lui-même demandé de détruire des cadeaux, alors que le chauve ne voulait pas faire de mal à cette sublime fête de Noël.