La nuit était silencieuse, quand Aleister avait claqué la porte de chez lui. Un peu à contrecœur, il avait décidé de suivre l'une de ses nombreuses bonnes étoiles. Ange ou démon. Choisit ton poison, camarade. Sur le chemin, Aleister avait regardé continuellement ce SMS un peu mystérieux. Une adresse, lancé avec miel et sucre comme s'il avait besoin de ça. Le sorcier avait hésité. Longuement. Devant l'écran de son téléphone, il avait pesé la balance de ses intérêts avant de laisser glisser son regard sur l'un de ses cartons. Il était arrivé dans cet appartement il y a près de deux semaines et n'avait pas encore trouvé le courage de déballer le reste de ses affaires. « Ca viendra à mesure de ce dont j'aurais besoin », c'était-il convaincu. En vérité, ces cartons avait quelque chose de très symbolique pour Aleister. Son appartement n'avait pas été purifié. Il n'avait pratiqué encore aucun rituel de bannissement (et Satan sait combien ce genre d'appartement miteux en avait besoin, avec toutes les émotions que ça avait pu vivre entre ces murs). Les cartons empilés lui rappelaient qu'il n'était pas encore chez lui. Que ce n'était pas encore sa ville. Il ne connaissait encore personne. Avait seulement daigné accepter l'offre de sa voisine dans ce vieux magasin bio ridicule. Sa vie n'avait pas encore pris le sens qu'il désirait lui donner.

Azela était fascinante et très humaine en dépit de ce qu'il avait crus comprendre. Elle se paraît volontiers de méchants mots élégants et l'expression de son visage prenait quelque fois des traits haineux et surnaturels. Effroyables. Démoniaques. Azela était une créature ancienne qu'il avait invoqué sans doute un peu pour reprendre le fil de ses études occultes. Un peu également pour prendre contact avec les démons de la ville. Prendre ses aises. Ces antiques démons n'étaient pas vraiment d'un genre très humanistes. Souvent blasés, quelque fois fâchés avec le genre humain, ils ne commerçaient que par intérêt personnel. Pour eux, une vie humaine n'était qu'une poussière sur le fil de leur éternité. Négligeable. Mais aussi ancienne fusse-t-elle, il lui faisait confiance pour lui vouloir son bien. Un échange de bon procédé. Il ne se voilait pas la face : Les services rendus seraient payés. Un jour ou l'autre. Dans cette vie ou dans une autre. Inutile de faire dans le sentimentalisme en essayant de comprendre le démon. Aleister était toujours humble et serviable face à elle. C'était une créature qui, à un éon de l'humanité, avait été vénérée et avait assez de puissance pour lui faire manger les racines de ses ancêtres par simple caprice. Si Aleister était fier et ne se privait pas de l'assumer, il était parfaitement conscient du respect qu'il devait à ces créatures avortés d'un autre monde. L'existence humaine devait leur être tellement pathétique... Aleister lui-même trouvait l'humanité aussi pathétique que méprisable.

Devant le Red House, Aleister pianotait sur son téléphone. Prenant la mesure de son avance, il soupirait en se rassurant : Mieux valait être en avance qu'en retard. Il n'espérait pas s'attirer particulièrement les bonnes grâces d'Azela par des excès de zèle et de courtoisie. Il savait qu'il n'avait pas besoin de ça pour qu'elle lise en son âme et conscience. Face aux démons, Aleister était nu comme un ver. Et sans doute était-ce parce qu'il se sentait parfaitement à l'aise dans cet abandon de soi, des masques et des subterfuges qu'il se sentait tant à sa place parmi ces créatures chthoniennes. Ils avaient tout vu, tout connu. Rien ne les outrait. Il pouvait abandonner les faux-semblants sans crainte. Ni de jugement, ni de mépris. Juste cette haine si singulière des démons qu'il comprenait en son for intérieur. Une haine sourde et invisible. Une haine insidieuse qui se glissait partout. Face aux démons, celle d'Aleister s'évaporait pour admirer ce miroir infernal que les démons lui tendaient sans le vouloir. Aleister avait souvent plus de peine que de colère face à la cruauté malingre des démons. Plus de sérénité que de violence.

Et avec cette même sérénité, Aleister s'installa contre le mur du bar. Incapable de satisfaire sa curiosité d'un simple visu. De cet endroit, le sorcier y sentait des énergies chargées. Une puissance émotives et une fusion obscure de magies dégénérescentes. Il était curieux et se mordait la lèvres pour s'occuper. Ca plutôt que d'entrer sans sa gardienne et protectrice (jusqu'au jour où il deviendra le serviteur). Elle lui expliquerait cet endroit en temps voulu.