Il y a deux siècles de cela, à peu près, le jeune et pimpant Lucian Langford était tombé amoureux d’une charmante demoiselle aux cheveux aussi blonds qu’un blé naissant, à la peau aussi blanche qu’une belle porcelaine de Chine, au regard aussi doux que de la soi et à la voix aussi mélodieuse que celle du rossignol. Malheureusement, suite à un excès de jalousie de sa sœur jumelle, cette jolie fleur succomba suite à une malédiction vaudou. L’homme, qui était Nécromant à l’époque, mit en œuvre tout son savoir et son énergie pour la sauver …
Il avait réussi, à relever une morte avec une conscience propre et en inversant les dégats du temps sur le cadavre. Elle était « presque » belle comme au premier jour de leur rencontre. Malheureusement, la femme ne parlait plus avec la même douceur, et ses yeux n’exprimaient plus le même amour. Il n’était plus que dégoût, méprise, haine et folie. Il ne comprit pas. Il pensa avoir échoué. Et il échoua car le cadavre cessa de vivre pour la seconde fois au fur et à mesure que la magie noire dont il avait usé gagner chaque organe de vie du sorcier. Il mourrait, d’intoxication.
C’est dans cet état misérable, hébété et mourant, qu’on le ramena devant les ancêtres du White Chapel – ou un simili de coven. Il passa un marché : il allait traquer le Mal pour le restant de ses jours, et en échange le coven apportera son soutien pour son prompt rétablissement. Sauf que, même dans ce profond malheur, le malicieux sorcier était sûr qu’il trouverait un moyen de briser ce vœu dit inviolable et qu’il pourrait vivre comme il l’entendait.
Deux siècles étaient passés depuis, et il avait toujours son genou à terre, témoin de la succession des régents du coven, de ses changements, mutations et chamboulements. Un coven qui avait su garder jalousement toutes les informations sur les méfaits passés du sorcier, où il n’était jamais assez de répéter qu’il fallait s’en méfier à tout prix. Il n’était ni bon, ni mauvais. Il était « trop » ambitieux, voilà le problème. Un défaut caractériel qui pouvait vous en faire un ennemi ou un allié, mais jamais un ami.
Comme à chaque nomination de régent, le sorcier demandait à parler en privé avec ce dernier et comprendre ainsi quelle sera leur relation. Certains l’avaient profondément haï, d’autres l’avaient méprisé, d’autres avaient naïvement pensé qu’ils pourraient le contrôler, d’autres avaient espéré profiter de ses connaissances et quelques autres l’avaient sincèrement apprécié. Il se demandait où se rangerait la nouvelle régente, Lyanna Johnston. Certes, elle était aux commandes depuis un certain temps mais à ses yeux, que représentaient les semaines, mois ou années ? Il ne parlait plus qu’à coup de « siècle ».
Un simple et succinct message était envoyé à Lyanna : « Bonjour Mademoiselle Johnston. Je pense que vous vous êtes plutôt bien adaptés à votre nouvelle position et à vos nouvelles responsabilités. Je me permets de demander un peu de votre temps pour parler d’un sujet en particulier ».
Internet était un véritable traquenard. Déjà qu’il avait de vieilles archives sur lui, dont il n’arrivait pas à s’en débarrasser aisément, il se refusait de laisser plus de trace dans un monde numérique qui semblait être capable d’exister bien plus longtemps que n’importe quelle créature surnaturelle qui arpentait ce monde.
Voilà cinq ans que Lyanna Johnston était régente du coven de magie blanche de Los Angeles. Un poste tant convoité qu’elle s’était vu l’immense honneur et privilège d’acquérir, nommée par son prédécesseur avec la bénédiction des grands sorciers de la société sorcière. Elle avait toujours travaillé dur, déjà étudiante à la Ravenwood academy, elle faisait partie des meilleurs élèves qui avaient arpenté les couloirs et ses professeurs voyaient en elle une grande sorcière en devenir. Devenir régente à vingt-cinq ans était déjà beaucoup de pression, déjà on ne parlait que d’elle dans tout le pays de par son jeune âge pour un tel poste, mais ce n’avait pas été ce poids que Lily avait senti peser sur ses jeunes épaules ua moment de sa prise de fonction. Non, c’était cette guerre du surnaturel qui faisait rage à Los Angeles depuis déjà plusieurs années. Elle avait travaillé quelques semaines main dans la main avec celui qui lui laissait sa place, afin de demander des conseils et avis, de recevoir toutes les informations nécessaires à sa prise de poste. Puis, elle avait volé de ses propres ailes, avait redressé le coven d’une main ferme, renforçant la sécurité et l’unité entre les sorciers. White Chapel était devenu toute sa vie et elle avait su s’entourer. Son meilleur ami était devenu son bras droit, son garde du corps, son confident, toujours là pour expédier un problème.
C’était ainsi que les cinq premières années avaient filé sans même que la régente ne les voie passer. La guerre avait pris fin et tout le monde était soulagée. Ce soir-là, alors qu’elle travaillait sur un dossier, Bradley lui avait rappelé qu’elle avait trente ans en lui apportant un cupcake, un red velvet, son préféré, surmonté d’une bougie et une bouteille de Jack Daniel’s. Lily avait sourit, touchée par l’attention de son meilleur ami. Mais elle avait du travail. La guerre était finie, certes, mais il ne fallait pas se reposer sur ses lauriers, on ne savait jamais ce qui pouvait se produire et Lyanna était une sorcière prudente qui prenait très à coeur ses responsabilités. Elle avait promis à Brad qu’ils fêteraient comme il se devait ce cap de la trentaine le week-end venu et elle lui avait laissé sa soirée, elle rentrerait avec sa propre voiture. Elle s’était d’ailleurs offert une Mercedes la semaine précédente.
Tandis qu’il quittait son bureau, la régente reçut un message. Lucian Langford. Intriguée, elle s’accouda à son bureau par-dessus les dizaines de feuilles qu’elle était affairée à parcourir du regard quelques minutes auparavant. Lucian était une sorte de légende pour elle. Il l’avait fascinée aussitôt qu’elle avait entendu parler de son histoire, et elle en avait entendu parler assez jeune. Il fallait dire qu’il y avait de quoi écrire une histoire fantastique pour une saga littéraire ou encore télévisuelle avec la vie de ce sorcier. Un bon sorcier qui avait touché à la magie noire par amour… qui s’en était vu consumé, et qui avait été « guéri » contre un pacte inviolable en faveur de la justice. Il y avait quelque chose de sexy et de passionnant dans cette histoire. Lily avait toujours rêvé de rencontrer cet homme vieux d’un peu plus de deux siècles, et à présent, il sollicitait une audience. Son prédécesseur l’avait mise en garde, il faisait partie de ses détracteurs. Mais Lyanna avait toujours été du genre à se forger son propre avis. Il était bon de prendre en considération les mises en garde, mais il l’était tout autant de savoir être impartial, et selon elle, son poste exigeait cette qualité. Elle s’empressa alors de lui répondre.
« Bonsoir Monsieur Langford. Je suis à White Chapel cette nuit. Vous pouvez passer à mon bureau ce soir si vous le souhaitez. »
Le sorcier avait été concis dans son message, aussi la régente se doutait-elle qu’il ne voulait pas aborder ce fameux sujet par écrit. Soit, elle respecterait son choix. Elle constata qu’il avait passé un peu de pommade, ce qui l’avait fait sourire en secouant la tête.
- En cinq ans, heureusement que j’ai eu le temps de m’adapter ! souffla-t-elle, amusée, en se servant un verre de Jack.
Ruffus, son familier aux allures de chat noir aux yeux bleus, venait de s’étirer, réveillé de son énième sieste, et avait grimpé sur son bureau.
- Tu veux du gâteau, c’est ça ? demanda-t-elle avec un sourire affectueux.
En deux siècles, le sorcier avait été témoin des nombreuses mutations et changements qu’avaient subi ce coven ou des nominations des régents, tantôt le marionnettiste qui tirait les ficelles dans les coulisses, tantôt le spectateur passif qui s’amusait ou admirait l’audace de ses pairs. S’il n’avait pas touché à la magie noire, et s’il n’était pas lié à ce serment inviolable, à n’en pas douter qu’il aurait été un excellent candidat pour devenir régent d’un coven. Malheureusement, le passé ne pouvait pas être ignoré et les plus grands de ce coven très élitiste et très fermé ne cessaient pas le rappeler avec condescendance. Des remarques qui touchaient à peine Lucian, habitué à ces regards et à ces stupides paroles, se défendant davantage pour la forme que par désir – car il était important de maintenir un semblant d’intégrité, et d’honneur.
Le prédécesseur de Lyanna Johnston avait été une véritable plaie pour Lucian. L’homme avait tenté de le coincer à plusieurs reprises sur base de fausses accusations ou de fausses preuves, que Lucian avait réussi à démentir convenablement, à ruiner sa réputation ou encore à remettre en cause son expertise. Une haine qui était alimentée par le laxisme exacerbant de Lucian : lorsque le régent aimait punir ses plus jeunes recrues pour quelques mauvais sorts, Langford avait pris leur défense en tournant un tantinet au ridicule ledit régent. Être un mage noir ne signifiait pas forcément être un pervers tordu ayant soif de sang. Non, dans son cas, c’était davantage le goût pour la connaissance – qui menait indubitablement au pouvoir. Il ne comprenait pas pourquoi s’arrêter d’explorer l’inconnu, aussi dangereuse et aussi noire qu’elle puisse paraître pour de stupides règles établies par une bande de pleutre bien trop suffisant. Dès lors, les punitions excessives pour un ou deux pauvres écarts l’agaçaient convenablement – lui rappelant désagréablement son propre exil forcé, loin de sa sœur jumelle. La punition n’était pas une solution, et il en était la preuve vivante.
Il espérait, sincèrement, que la nouvelle régente sera un tantinet plus ouvert d’esprit et un brin plus clément aux changements qui touchent toute organisation et toute structure à chaque nouvelle génération, et à chaque fois que le sablier du temps avait fini de s’écouler – pour recommencer à s’égrener dans un autre sens, différemment. Une attitude souple, qui l’aiderait peut-être à remettre la main sur certaines archives et analyser pour la énième fois les différents témoignages vis-à-vis de ce maudit vœu.
Il ne tarde pas à arriver devant les quartiers du White Chapel, se présente et est aussitôt amené devant le bureau de Lyanna. Elle était belle et charismatique, à n’en point douter, mais il peinait à la voir comme une adulte. Comme tant d’autres avant elle, il avait été présent à son introduction, il avait été là quand on louait ses talents, et encore là dans bien d’autres événements qui rythment la vie de ce coven. Et voilà qu’aujourd’hui, elle était à la tête de cette organisation et, par analogie, était son « boss ». Certes, Lucian arrivait à se glisser entre les mailles du filet de cette autorité grâce à son activité au sein de la BACS mais il était malgré tout un tantinet dépendant de ce coven. Une vérité qui le frustrait dès qu’il y pensait.
- Bonjour Mademoiselle Johnston, je voudrais à nouveau vous féliciter pour vos actions et vos positions durant ces années troubles et chaotiques. Je ne doute pas un seul instant que vous aurez une longue nomination, si vous faites preuves de cette même sagesse, complimentait-il. Les dernières années n’ont pas été clémentes pour la sorcière, à n’en point douter, mais elle était toujours là, entière et heureuse. Pensez-vous qu’il serait trop impoli si je vous demande que l’on s’appelle par notre prénom ?
S’il y avait bien un changement qu’il ne pouvait que valider et applaudir dans ce nouveau monde était l’abolition de ces « Monsieur » et de ces « Madame » trop pompeux et trop étouffant, une barrière conventionnelle entre deux personnes, rendant les approches toujours trop longues ou trop compliquées. Or, comme les Américains aiment dire : le temps, c’est de l’argent. Dans son cas, le temps, c’était une affaire de vie ou de mort. D’un coin de l’œil, il vit le familier de la régente et eut une petite pensée au sien. La vie d’un familier s’étendait autant que celui de son sorcier, sauf qu’un sorcier ne trompait pas bien longtemps la Mort. Lucian poussait ses limites physiques et magiques, et son familier en était la parfaite représentation. S’il fallait donner une image, il était Dorian Gray, et son familier était le portrait – lasse, vieux, fatigué, aveugle et sourd à bien des situations mais toujours aussi dangereux si les intérêts de son maître sont en danger et qu’une action immédiate est nécessaire.
- Mon propre familier se fait trop vieux, et il commence à avoir une peine considérable à m’accompagner où que j’aille. Et dire que j'avais le familier le plus hyperactif de ma famille, que je devais rester du matin au soir dans le jardin jusqu'à ce qu'il s'épuise. Qui aurait cru qu'il se serait autant assagi..., dit-il. Quel âge a le vôtre, si ce n’est pas indiscret évidemment ?
- Nous allons avoir de la visite, Ruffus, déclara-t-elle à voix haute avec un petit sourire.
Le familier s’était assis sur son bureau face à elle. Bien sûr qu’il voulait du gâteau, il le lui avait signifié mentalement d’ailleurs.
- Pourquoi ne suis-je pas surprise ?
Lyanna coupa en deux le cupcake et fit des petits morceau avec une fourchette pour que le chat puisse plus facilement le manger. Elle dégusta à son tour chaque bouchée de sa moitié. Ces cupcakes étaient délicieux et Brad la connaissait si bien. Lily avait bine mérité une petite pause, il se faisait tard après tout. Il s’écoula environ une heure avant Lucian n’arrive. Lyanna avait eu le temps de finir ce qu’elle avait commencé, de ranger un peu son bureau et jeter les miettes faites par Ruffus sur son bureau. Finalement, le sorcier qui faisait tant parler de lui arriva dans son bureau, et la régente l’accueillit tout sourire. Elle alla même lui serrer la main.
- Bonsoir Monsieur Langord.
Il commença par la complimenter. La pommade, encore et toujours. Elle avait appris à ne pas prendre pour une sincérité acquise tous les compliments qu’on lui faisait. Elle savait ce qu’elle valait et n’avait pas besoin qu’on le lui dise, et elle avait conscience que la plupart du temps, les personnes qui faisaient cela connaissaient l’importance de son statut et ne cherchaient qu’à se faire bien voir. La régente afficha alors le sourire de circonstance qu’elle faisait à chaque fois, charmante sans pour autant être dupe.
- Merci, c’est très aimable à vous. Non, du tout, j’allais vous le proposer, je préfère que les sorciers de White Chapel m’appellent par mon prénom. Après tout, ne sommes-nous pas une famille ? ajouta-t-elle avec un sourire plus chaleureux.
Lucian évoqua alors son familier. Le regard de la belle brune s’illumina presque. Elle avait une passion certaine pour les familiers, aussi White Chapel était l’un des rares covens où tous les familiers étaient les bienvenus en tout temps, même si leurs sorciers n’étaient pas là. Ils avaient une place tout aussi importante que le sorcier lors de son entrée dans le coven, Lyanna mettait un point d’honneur à le faire comprendre. Etait-ce parce qu’elle avait toujours été très proche du sien, ou que ses parents avant elle l’étaient et lui avaient transmis cet amour de ce qui était finalement pour un sorcier un peu la prolongation de lui-même ? Elle ne le savait pas, mais la certitude qu’elle avait, c’était que la magie blanche prônait le respect des éléments, donc de la Nature, donc de la vie sous toutes ses formes, et cela commençait, selon elle, par le bien-être de ces créatures qui donneraient sans hésiter leur vie pour leur sorcier.
- Oh… j’imagine en effet que la situation est particulière, vous concernant. Votre familier est-il un gobelin ou un maudit ?
Elle sourit quand il lui demanda pour Ruffus. Elle se tourna vers lui, lui demandant la permission de répondre à sa question.
Dis-lui, je m’en fous, répondit-il en s’étirant.
- Ruffus est un gobelin des forêts, il a eu soixante-quinze ans. Il se porte comme un charme, comme vous pouvez le constater.
Assez content que l’on parle de lui, Ruffus se rapprocha d’eux, restant toujours sur le bureau, et s’assit avec droiture au bord pour mieux contempler Lucian, le scrutant de ses deux saphirs perçant taillés en amande.
- J’imagine néanmoins que le sujet particulier dont vous souhaitiez m’entretenir n’était pas celui-ci. Je vous écoute. Asseyez-vous, dit-elle en désignant un beau canapé de style couvert d’un brocard mordoré.
Elle attrapa la bouteille de Jack Daniel’s que lui avait offerte Bradley et en retira le bolduc du bouchon, la ramenant sur la table basse en verre qui trônait entre le canapé et les fauteuils.
- Puis-je vous proposer un verre ? ajouta-t-elle en sortant deux verres à whisky en cristal.
Elle s’installa en face de lui et croisa les jambes tout en se penchant pour verser le liquide ambré dans les verres.
- Alors, je vous écoute, dites-moi ce qui vous tourmente et vous a poussé à venir ce soir. Ce doit être urgent j’imagine.
La curiosité de Lyanna, qui était déjà bien grande, était poussée à son paroxysme. Depuis le temps qu’elle voulait s’entretenir avec cet homme, voilà enfin que le moment était venu. Jamais encore elle n’en avait eu l’occasion, pas plus en étant simple membre du coven qu’en en devenant la régente, et à présent, c’était lui qui venait à elle à sa propre demande. Elle brûlait de curiosité de connaître un peu mieux son histoire pourtant légendaire, mais préférait entendre sa version à lui, plutôt que celle maintes fois contée par diverses bouches et autant d’interprétations.
Les familiers étaient aussi importants qu'un Sorcier et il prenait toujours grand soin de les saluer de temps à autre, personnellement.
Un rire étouffé s’échappé entre ses lèvres. - Lorsqu’un familier a mon âge, je puis vous assurer que ses origines n’ont guère plus d’importance, répondit le Sorcier. J’espère seulement qu’il m’accompagnera encore quelques poignées d’années.
Il n’était pas évasif par pudeur, mais plutôt par mélancolie. Son familier devenait de plus en plus un sujet d’inquiétude pour Lucian, qui s’était sérieusement repenché sur ses formules et ses potions qui lui assuraient une longévité. Il aimait sincèrement cette bête qui l’avait suivi de l’Angleterre aux Etats-Unis, qui s’était plié à toutes les lubies de son maître et qui avait également soutenu ce dernier malgré tous les revirements de situations et d’allégeances. S’il mourait, Lucian douterait être capable de se rattacher à un autre familier.
- Je vais essayer de l’amener au Coven, lors de ma prochaine visite. Vous lui excuserez ses absences : il ne quitte que très rarement son confort, finalisa le Sorcier.
Malgré l’âge avancé, l’expérience et la puissance accumulées par le familier en faisait un excellent gardien pour cette maison où le Sorcier entreposait sa grande collection d’artefacts uniques, touchant tant à la magie blanche et à la magie du sang qu’à la magie noire. Tel un dragon avare, la bête protégeait le domaine de toutes ces forces – et surtout avec grande intelligence. Dès lors, un familier qui vivait plutôt reclus – et heureux – dans une demeure avec un beau jardin, que Lucian visitait de temps à autre. Enfin, la majorité du temps. Si l’ennui le démangeait – l’un comme l’autre – ils se retrouvaient dans un des appartements appartenant au Sorcier.
- Le whisky est la boisson d’excellent des gentlemens, de mon époque tout du moins, répondit Lucian, signifiant par là qu’il acceptait. Enfin, la dame posa la question légitime, inévitable. Nous étions tous deux des plus occupés par la situation chaotique, et dès lors nous n’avons pas pu discuter longuement de certains … faits passés. Je ne doute pas un instant que vous avez eu vent des rumeurs à mon sujet. Et maintenant que vous êtes la Régente, votre prédécesseur a bien dû vous révéler ce que vos ancêtres ont concilié à mon sujet, de mes activités passées. Aujourd’hui, vous savez mieux que quiconque ce qui est vrai et ce qui est faux dans tous ces on-dit.
Il se tait un court instant, cherchant à tâter le pouls de la pièce à travers le regard ou les premières réactions de la brunette qu’il avait vu grandir. Elle avait été de ces demoiselles à la curiosité vive, et qui aimait faire son propre jugement. Il espérait que ce trait de caractère ne s’était pas évanoui suite à sa nomination.
- Selon la régence du Coven, mes actes passés ont poussé vos prédécesseurs à juger selon leur propre sensibilité, et à modifier mes droits et mes devoirs selon ce même jugement.L’objectif de ma visite est fort simple : comment me jugez-vous et comment me traiterez-vous exactement ?
Un criminel en sursis, un partisan reconverti dans la bonne foi ? Il était curieux de connaître quelle étiquette la dame allait lui coller pour les décennies à venir.
Il me vouvoie, c’est la classe. Je l’aime bien. Tu peux te le faire si tu veux.
Lyanna eut du mal à retenir un rire à la réflexion de son familier, se pinça les lèvres et se contenta de lui gratter le sommet du crâne, ce qui fit clore les deux amande turquoise du félin. La régente reporta son attention sur son invité.
- Je l’espère également, si le vôtre est d’un soutien sans faille comme peut l’être le mien, je ne peux que vous souhaiter de faire encore route ensemble longtemps.
Les familiers étaient des compagnons de toute une vie, les sorciers n’en avaient qu’un au cours de celle-ci, ou pas du tout. Alors une fois que le lien s’était tissé, le rompe était un crève-coeur.
- Mais s’il est mieux chez vous, ne l’obligez surtout pas, je veux que les familiers se sentent aussi à l’aise que les sorciers d’être ici.
Il n’y avait jamais eu aucune obligation de quelque sorte que ce fut. Lyanna voulut mettre à l’aise le sorcier, lui demandant de s’installer et proposant du whisky, sa boisson favorite qui sembla également trouver grâce aux yeux et aux papilles de Lucian. La belle brune ne put que sourire, ravie de l’entendre le dire, et servir donc deux verres, avançant celui de Lucian vers lui. Elle sortit également un petit seau à glace en cristal avec une pince en métal ciselé afin qu’il puisse disposer des glaçons dans sa boisson à sa guise. Puis elle lui demanda l’objet de sa visite, ce qu’il ne tarda pas à développer. La sorcière écouta attentivement, son verre en main, ne le quittant pas du regard. Sa demande était légitime. Lyanna but une gorgée de whisky avant de poser son verre contre sa cuisse posée par-dessus l’autre, et esquissa un sourire.
- A vrai dire, je brûlais d’avoir cette conversation avec vous depuis si longtemps. Vous me connaissez peut-être encore mal, mais je ne suis pas du genre à juger quelqu’un sur ce qu’une tierce personne m’aura dit. Il y a des faits, des écrits, des preuves, certes, mais j’aurais aimé entendre les faits de votre bouche. Avec votre ressentis, vos mots, votre vécu.
Ruffus avait bondi du bureau et était venu se lover sur un coin de canapé, observant du coin de l’oeil ce qui se passait, comme le curieux qu’il était.
- Je n’ai pas d’a priori sur vous, Lucian, si c’est ce qui vous tracasse. Mais il est vrai que j’aimerais beaucoup vous entendre me conter votre histoire.
Il était l’un des rares sorciers à avoir traversé autant de générations. C’était en général le propre des vampires, des démons, des esprits. Pas des sorciers sauf ceux usant de pactes avec le diable . Lucian avait touché du doigt les ténèbres, mais son histoire était particulière, teinté d’un romantisme à toute épreuve, Lyanna le savait, mais elle voulait se faire son avis et non calquer le sien sur celui du vieux croulant qui l’avait précédée, et ceux des autres prédécesseur. Chaque individu avait le droit à une chance, non ? Lucian Langford avait de toute façon obligation d’être fidèle au coven de magie blanche depuis le pacte passé, alors autant que les choses se passent bien pour lui comme pour les autres membres de la communauté. Lyanna n’était pas fan de conflits inutiles et la ville sortait tout juste d’une guerre interne du surnaturel, elle voulait à présent que les sorciers de son coven aient une vie prospère, dans la bienveillance, et que chacun puisse s’épanouir. Même ceux qui avaient brûlé plusieurs vies.
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