Danielle, comme à son habitude, s'apprêtait à rejoindre son atelier afin de travailler sur les diverses commandes du jour. Encore à l'étage, elle terminait son petit chocolat chaud, extrêmement chocolaté, comme elle l'appréciait tant. C'était un breuvage qui avait le mérite de la réveiller, de par le courage qui lui fallait pour affronter la chaleur de cet ennemi, souvent bien trop chaud pour elle, et qui la forçait à attendre que celui-ci soit dans de meilleures dispositions. Une fois bu, elle descendit ensuite l'escalier, marche après marche, tout en s'étirant, baillant encore et les cheveux en batailles. Elle alla vers l'établi, saisit son marteau et son pic à glace, et se dirigea vers le bloc de glace qu'elle avait préparé la veille. Elle se vit alors dans la glace, sursauta, réajusta sa coiffure et essuya la trace de chocolat au bord de ses lèvres. Elle regarda l'heure, reposa ses outils, et alla tourner la pancarte devant sa boutique, de "closed" à "open". Elle alluma l'éclairage de sa vitrine, qui permettait alors à la lumière de se refléter sur les sculptures en exposition dans la vitrine. La glace y était translucide et les créations très détaillées. Danielle avait l'amour pour le détail et n'arrêtait jamais une oeuvre avant d'être satisfaite. Elle regarda son planning de commandes, et s'aperçut que c'était aujourd'hui que l'une de ses dernières créations, la beauté éternelle, devait être emportée par un de ses clients affluents. C'était une grosse commande par une des grande pontes de la ville et elle se devait de l'honorer. Mais, bien que la sculpture fut terminée depuis quelques jours, elle eut envie de la mettre en avant, au moins une fois pour sa boutique, tant qu'elle était encore en sa possession. Danielle alla alors dans son atelier, tira le chariot à roulette sur lequel reposait une forme recouverte d'un épais draps. Elle l'amena devant la vitrine, ouvrit celle-ci et y exposa le buste de la dame de glace. Elle ajusta l'éclairage, puis referma la vitrine, fière d'elle.
Mais un vent d'angoisse parcourut sa peau. En effet, elle ne pouvait pas se permettre qu'il arrive malheur à cette statue. De plus, afin de satisfaire un client très exigeant, elle avait usé de sa propre glace, celle des dragons, pour cette commande. Imprégnée de magie, celle-ci lui était plus facilement malléable et le résultat n'avait pas son pareil. La glace était plus brillante, et, elle dégageait comme une aura, une présence sans égal. Face à la beauté de son oeuvre terminée, elle n'avait pas pu résister à l'idée de l'exposer. Ce n'est que pour la journée, que peut-il bien arriver ? se rassura-t-elle. Danielle prit une grande respiration, puis s'éloigna, le regard restant sur la statue. Elle retourna ensuite dans son atelier, saisit ses outils et se remis au travail. L'ambiance chaleureuse de la boutique était rythmée par les coups de marteau qui s'abattaient sur la glace. Puis, vers les alentours de midi, alors qu'elle s'apprêtait à remonter dans ses quartiers pour déjeuner, elle entendit la cloche distinctive qui tintinnabulait lors de l'ouverture de la porte de sa boutique. Elle redescendit alors son pied de la première marche de l'escalier, se regarda dans la glace afin de vérifier que son état était présentable, et ouvrit la porte de son atelier. A l'intérieur de la boutique, se tenait un homme, de dos qui contemplait la sculpture dans la vitrine. Le crâne rasé et l'air plutôt banal, Danielle se rapprocha. "Bonjour monsieur, et bienvenue chez E&D Ice Sculptures" "C'est une de nos dernières pièces que vous contemplez devant vous !" Danielle se mit à coté de l'homme et pencha la tête afin d'apercevoir le visage de celui-ci. "En quoi puis-je vous aider ?"
Une glace particulière I come to take the soul ; leave the body, and leave it cold. ••• Contrairement à ce que son apparence extérieure laissait voir, et croire, l'humain qui avait passé la porte de l'étrange échoppe n'était peut-être pas si commun qu'il y paraissait. S'il était entré, ce n'était qu'après de longues minutes de contemplation depuis la vitrine extérieure, vis-à-vis de ce qu'il y était exposé, justement. Stolas n'était pas un fin connaisseur de la sculpture sur glace cependant ... Celle-ci semblait plus lisse. Plus pure ... Un travail d'orfèvre qu'il lui paraissait dur d'attribuer à un être humain ; surtout un être humain ayant décidé de vivre humblement malgré le "talent" dont il fut affublé. Un humain qui aurait également choisi un endroit particulièrement inadapté pour exercer son art, en la Californie et ses températures inhospitalières, pour le matériau principal éphémère. L'approvisionnement devait d'ailleurs être un peu onéreux ... Mais, peut-être que cela en valait la peine. La glace, en tant que crème glacée, connaissait un succès assuré avec la chaleur ... Pourquoi pas sa variante artistique et non-alimentaire, pour les lubies de quelque nabab à Los Angeles ..?
Enfin, ces réflexions n'étaient pas à l'origine de sa venue. S'il s'attarda brièvement sur l'intérieur et ces boiseries diverses, plutôt que de s'amuser à déterminer si elles furent factices ou non, il préféra s'orienter vers la sculpture. L'angle en était quelque peu différent, ici ... Et, si ainsi, il avait vu la totalité du buste, il ne se lassait étrangement pas de l'observer. Son regard était inéluctablement attiré vers le givre, dont la transparence et l'éclat incomparables rappelaient le cristal ... Avec quelques nuances bleutées de plus, accentuant la beauté surnaturelle de la création. De ce bout de femme, il émanait quelque chose de particulier. Elle n'était pas simplement sans vie, comme n'importe quelle autre composition fade l'aurait été ... Quelque chose se dégageait d'elle. Pas une âme à proprement parler ... Bien que ces mots auraient été ceux choisis par les humains lambdas, pour décrire ce phénomène. La Dame de Glace ... Vivante, et pourtant si froide ...
Inconsciemment, il avait serré les poings ... Cette perfection représentait presque la pureté céleste de ses Frères et Sœurs. Vertu qui lui eut appartenue. Magie qui fut autrefois sienne ... Avant sa chute. Ironiquement, la Dame était parfaite, mais incomplète. Tous deux furent parfaitement opposés, et il était curieux de ressentir une énergie glaciale aussi mordante qu'il en maîtrisa une, du temps où il posséda encore ses ailes. Si, la barrière de verre n'avait pas été là, nul doute que l'œuvre n'aurait pas été épargnée d'un toucher dont elle ne serait probablement pas revenue, en suscitant un soupçon de frustration au Déchu. Mains jointes dans le dos, il avait continué de la détailler, tenté d'user d'un peu de pyromancie insidieuse, afin de porter atteinte à la superbe de la favorite de la sculptrice ... Mais, justement, cette dernière se présenta à lui ; appelée par la clochette derrière la porte qu'il n'avait pas entendu, trop absorbé dans sa prospection artistique.
« Bonjour, hm. Je dois bien avouer que le travail en lui-même et l'attention portée aux détails sont époustouflants ... »
Sa tête pivota légèrement vers la voix, mais son regard demeura fixé au givre, de longues secondes durant, avant qu'il ne toise la jeune femme brune qui se chargea de son accueil. Les yeux à la teinte havane s'occupèrent de la présenter au nouveau venu, à son insu ... Ou tout au moins, d'en dévoiler la nature surnaturelle. Une Dragonne de Glace, donc ... Voilà qui expliquait beaucoup.
« M'ah, je suppose que vous pourriez simplement répondre à quelques questions pour assouvir la curiosité d'un non-initié ... Et même ainsi, je crois remarquer que la qualité de votre glace est rare .. Pour ne pas dire exceptionnelle. Le rendu est somptueux ; je n'ai jamais été un amateur de ce genre de sculptures, mais celle-là ... »
Il marqua un bref temps d'arrêt, le temps de jeter un dernier coup d'oeil à l'aguicheuse algide en vitrine.
« ... Celle-là possède ce petit quelque chose, si particulier, qu'on ne saurait forcément expliquer. Mais, je suppose que vous avez vos secrets, pas vrai ? ... Combien de temps est-ce que ça vous a pris ? »
Danielle profita des longues questions afin d'observer l'homme qui se tenait devant elle. Il semblait, ailleurs ... Et notre dragonne, ne put s'empêcher de remarquer à quel point cet homme s'était attardé sur ses yeux. Son regard lui donnait l'impression d'être transpercé, mise à nue. Elle avait le sentiment que l'on regardait au plus profond de son être, et cela lui faisait peur. En effet, durant des années et même un siècle, elle avait fait tout son possible pour s'intégrer à cette société humaine, sans faire de vague. Comme le souhaitait son défunt mari, elle avait opté pour la tranquillité plutôt que l'affrontement. Alors quand cet homme, sorti de nul part, faisait remonter son angoisse, elle mit ses mains sur ses épaules, comme pour se réchauffer du frisson qui la parcourait. De plus, après cet échange de regard, les yeux de l'homme était volatile. Bien qu'orienté vers l'interlocutrice, Stolas regardait de manière fugace la sculpture à sa gauche, comme s'il ne pouvait s'en détacher. C'était bien sa veine ... pour une fois qu'elle souhaitait afficher un de ses chefs d'oeuvre, elle ne s'attendait pas à une telle fascination. Danielle réfléchit rapidement, et se dit qu'il fallait tout faire pour détacher l'homme de la sculpture. "Monsieur, je suis ravie que vous aimiez cette sculpture, c'est en effet, une de mes plus belles créations à ce jour." Danielle se rapprocha lentement de la vitrine, tournant gracieusement autour de l'homme et sans le quitter du regard, vers le pilier où un interrupteur se trouvait. "Vous vous déclarez comme non-initié, mais vous semblez avoir la fibre artistique et le sens des belles choses. Vous avez su repéré dès le début celle qui sort du lot, je vous en félicite" "Comme vous l'avez si bien dit, je ne peux malheureusement pas vous expliquer comment j'ai obtenu ce rendu, vous comprendrez que c'est mon business qui dépend de mes petits secrets. Et une femme garde toujours ses secrets !" dit-elle un sourire aux lèvres. "Cela permet d'entretenir le mystère, la magie..." Danielle appuya sur l'interrupteur, et un volet roulant commença à descendre entre la vitrine et l'intérieur du magasin. Puis, pendant que celui-ci descendait lentement, cachant peu à peu le buste, elle se rapprochait à nouveau de l'homme. "Voulez vous bien vous asseoir à ma table ici présente ? " Montra-t-elle de l'extension de son bras droit. "Nous pourrons nous asseoir et discuter autant que vous le souhaitez. Et si vous êtes intéressé par le modèle en vitrine, je peux vous en faire une avec le même type de glace." Danielle bloqua un instant avant de répondre à la dernière question de l'homme. Elle ne pouvait pas décemment lui dire que, cette glace étant celle des dragons, elle avait pu la manipuler avec ses pouvoirs et non des outils. Ce qui, par conséquent, avait drastiquement simplifié et réduit le temps de fabrication. En effet, elle n'avait passé qu'une seule journée sur ce modèle, contre normalement des semaines sur une pièce de cette envergure. Elle détourna le regard, et déclara : "Cela fait 3 semaines que je travaille sur cette pièce, et hier je l'ai finalement achevée. J'en suis très fière et vos compliments me vont droit au coeur." Le volet roulant ne laissait plus qu'apparaître une infime partie de la sculpture, et Danielle répéta son offre. "Allez faites moi le plaisir de vous asseoir à mes côtés. Je vais nous préparer quelque chose à boire et nous pourrons discuter sculpture ou projet." Danielle faisant la plupart de ses commandes en ligne, elle n'avait pas envie de laisser passer la chance d'avoir un client supplémentaire, surtout si celui-ci était un bel homme qui savait faire la différence entre de la glace de qualité, c'est à dire la sienne bien sur, et de la glace classique. "Alors Monsieur... Pouvez vous me dire comment je dois vous appeler ?"
Une glace particulière I come to take the soul ; leave the body, and leave it cold. ••• Quand son interlocutrice chercha à se protéger du voile d'insécurité qui l'enveloppa, après confrontation visuelle avec le client, Stolas dissimula au mieux son amusement de voir la maîtresse du givre à son tour transie par ce froid, alors qu'elle côtoyait quotidiennement la glace. Heureusement, la Dame à leurs côtés le préservait de toute jovialité, dès lors qu'il posa de nouveau le regard sur elle ... Bien que, la sculptrice capta toute l'attention du Sorcier, dès qu'elle entama cette étrange marche autour de lui. Un pas qui se voulait subtil, mais qui, par son manque de spontanéité et la légère tension dont elle souffrait, ne parut que comme une valse bien maladroite. Un geste énigmatique ... Pour un humain. S'il haussa un sourcil, feignant l'incompréhension, il s'était rapidement fait la réflexion que ses observations haineuses, mais silencieuses, inquiétèrent sans doute la propriétaire des lieux ... À juste titre. Elle dut percevoir le feu remplaçant l'étoile dans l'oeil de l'intéressé.
« ... Plus ou moins. Je suppose que n'importe qui ferait la différence ... Celle-là éclipse toutes les autres, en vitrine. »
C'était sans doute parce qu'elle y avait mis plus de cœur à l'ouvrage ... Ce même cœur qui la tourmentait dès lors que quelqu'un s'approchait de près de son trésor, plus inestimable encore que l'or sur lequel ses congénères à écailles sommeillèrent jadis.
« Je comprends. L'existence de votre talent est indéniable ... Pardonnez mon enthousiasme. La concurrence ne doit pas être bien rude, en ville ... L'idée de s'installer ici paraît assez saugrenue. »
Aux questions et remarques diverses, s'ajouta le son électrique du rideau de fer descendant le long du rail, derrière lui. La barrière protectrice s'opposant entre le Déchu et la glace pure n'aurait su vraisemblablement l'arrêter, mais puisqu'il ne comptait pas la prendre pour une cloche, il s'abstint de provoquer tout dysfonctionnement dans le dispositif de sécurité qu'elle déploya ... Non pas que la gratuité de certains actes lui déplaise, cependant, plutôt que d'opter pour se mettre chaque race de la ville à dos, il jugea plus intéressant une approche amicale, malgré l'appréhension qu'eut la jeune femme à le recevoir.
Une légère moue dubitative se fit apparente sur le visage de l'inconnu, car le Démon ne sut s'il devait être vexé par ce traitement, sûrement de faveur, ou s'il devait réellement s'asseoir avec elle ... Pendant un instant d'ailleurs, il s'étonna du bref silence installé entre eux ; de l'expression figée qu'il surprit sur le visage de la brune. Le discret sentiment de gêne insinué la poussa à ne plus soutenir la joute oculaire, dès qu'elle se reprit, pour néanmoins réitérer sa précédente proposition peu après.
« Hm. Discutons, alors ... »
Fit-il, brièvement suspicieux sur le mensonge qu'elle avança. Résistant à la tentation d'observer la structure isolant la vitrine du reste de la boutique, Stolas tira l'une des chaises afin de s'installer en compagnie de l'artiste sur glace.
« ... Même si, et j'espère que vous en avez conscience, une reproduction n'a aucune valeur en comparaison d'une œuvre originale. Pour le même prix, autant que vous composiez une nouvelle pièce, d'où il émane quelque chose. »
Dès lors, soit elle comprendrait qu'il n'était pas un pigeon, soit elle le verrait comme un lutin grippe-sou, un peu fantasque. D'ailleurs, accoudé à la table en sapin, il s'attarda encore sur quelques détails de la drôle d'échoppe inspirée des chalets perdus au beau milieu des congères montagneuses. Pas de guirlandes étincelantes ... Pas non plus de stupides autocollants sur le thème de Noël ... Et pourtant, il s'y était attendu. Les fêtes humaines approchaient, et, pour une intégration parfaite, beaucoup de surnaturels s'y adonnaient, pour ne pas attirer l'attention ... Un comportement qui ressembla pourtant à la Dragonne ici présente, timide et presque craintive.
« C'est "monsieur Blightsower" ... »
Dit-il assez sobrement ; comme elle, bien que cela fut peut-être un peu moins perceptible, ses songes semblèrent en stase quelques secondes. Le temps de se remémorer lequel des enfants Blightsower il posséda actuellement ...
« Mais, restons sur Stolas, ce sera plus simple. »
Il acquiesça.
« Et vous, alors ? Quel est le nom de l'artiste à qui je m'adresse ..? Vous êtes le E. ou le D. de la devanture ? »
Un sourire en coin, le Déchu ne laissa que peu de place au silence.
« Je me demande comment vous est venu cet attrait pour la glace ... »
Même s'il le savait en vérité. Actuellement, il lui était plus désagréable de songer aux inspirations de la Dragonne ; ces dernières semblaient célestes, à en observer la pièce dont elle était si fière. Peut-être devrait-il lui commander un exutoire angélique qu'il prendrait plaisir à massacrer ... Ou un Roi Mage, puisque c'était de saison.
Danielle réussit enfin à faire s'asseoir à sa table ce client bien énigmatique. Elle avait tout fait pour transposer son regard vers elle, et non plus sur sa sculpture. En effet, Danielle ayant vécu longtemps dans sa boutique, et n'exposant que rarement ses sculptures en glace draconique, elle avait déjà eu l'amer expérience de ce qu'il pouvait se passer dans l'âme d'un homme qui contemplait trop longtemps ses oeuvres.
Il y a cinquante ans par exemple, elle avait du faire intervenir la police pour déloger une personne qui campait nuit et jour devant sa vitrine. Il ne disait plus mot... il était envouté par la glace ; ne souhaitant pas s'en séparer du regard. Il en avait même oublié de s'alimenter et son état s'était aggravé de jours en jours, jusqu'à ce que les forces de l'ordre le sépare de son objet de contemplation.
Danielle, un peu stressée, s'en voulait d'avoir cédé à la tentation d'exposer sa pièce. Elle espérait que la personne devant elle ne subirait pas le même sort. Elle voulait seulement exposer sa fierté, et la source de sa richesse.
Les dragons ont tendance à cacher et à protéger égoïstement leur trésor. Bien que ce sentiment demeurait toujours très présent en elle, elle avait l'envie irrépressible de montrer aux autres qu'elle en possédait. Et surtout, que ce qu'elle possédait était unique. Car qui dit unique dit rare, et cela suffisait pour faire monter le désir en elle. Peut-être était-ce la vie à L.A. qui avait fini par déteindre sur son naturel ...
Cependant, alors qu'elle observait l'homme assis devant elle, celui-ci ne semblait pas avoir "complètement" perdu la raison. Il semblait ailleurs certes, mais restait attentif. Danielle se réjouit de voir que son regard, d'abord intense puis enflammé, limite possédé se dit-elle, s'adouci.
L'homme se présenta ensuite à elle, et enchaina sur plusieurs questions.
- Eh bien, enchanté Monsieur Blightsower... Ah excusez moi, Stolas, vous êtes fin observateur et pour vous répondre, je suis le D de la devanture. Madame Foster Danielle, pour vous servir, mais vous pouvez m'appeler Danielle. souria-t-elle. - Quant au E., il vient de mon défunt mari. Elle eut un léger moment de silence la tête baissée, puis continua sa réponse. -Mon attrait pour la glace ? Eh bien, je pense que je peux vous raconter. Mon mari et moi, avant de nous installer à L.A., vivions dans les montagnes. Là-bas, la glace y était en abondance et comme mon mari collectionnait des antiquités, j'ai fini par me mettre à la sculpture. D'abord en imitant ces dites antiquités, puis créant mes propres pièces. Vous me ferez grâce de raconter les horreurs que j'ai pu sculpter à cette époque. Ria-t-elle. "Après plusieurs années à la montagne, et d'abord pour les affaires de mon mari, nous décidâmes de nous installer à L.A.. Donc à l'origine, il n'y avait pas que des sculptures de glace mais aussi des antiquités dans cette boutique. Cependant, celles-ci ne se vendait pas très bien et mes sculptures nous permettait d'avoir un revenu récurrent. Puis, quand mon mari est décédé, je n'ai pas eu le coeur de partir de notre boutique, et j'ai donc continué mon affaire ici à L.A.. Certes amener la glace ici n'est pas chose aisé, ni la conserver d'ailleurs.. mais la demande est quant à elle plutôt forte au vu de l'activité très festive de cette ville. De ce fait, je réalise des sculptures surtout pour les bars, hotels et restaurants... mais aussi des récéptions.
Vous savez Stolas, en terme de sculpture, je peux à peu près tout réaliser. Si vous souhaiter une pièce unique, il n'y a aucun problème et je me ferais un plaisir de vous la réaliser. Cependant, sachez que ce qui est unique a un prix, surtout avec ce type de glace." Les yeux de Danielle se mirent à briller.
Danielle reprit ses esprits, et se leva, alla chercher son calepin à dessin et son graphite, et s'assit à nouveau.
"Eh bien Stolas, si ce que vous souhaitez est unique, pouvez vous me le décrire ? Ou bien, si le coeur vous en dit, vous pouvez me le dessiner." "D'ailleurs que souhaitez vous boire ? La spécialité de la maison est le chocolat chaud mais j'ai aussi du café ou d'assez bon alcools."
Une glace particulière I come to take the soul ; leave the body, and leave it cold. ••• La Dragonne sembla se détendre peu à peu ; l'objet de potentielles convoitises maintenant dissimulé, elle ne risquait plus rien ... Ou, le pensait-elle, en tout cas. Comme deux humains, ils s'échangèrent présentations et convenances, que Stolas clôtura par un sobre « De même » dès qu'elle affirma être enchantée de cette rencontre.
« Mes sincères condoléances. »
Feu le mari de la pauvre Danielle, avait permis d'éclipser l'amorce d'un doute chez elle, après prise de connaissance mutuelle de leurs noms personnels. Bien sûr, la reptile n'avait probablement pas conscience de ce que celui de son interlocuteur représentait ; quoi que, bien avant sa possession, Stolas portait déjà une part méphistophélique que son maître n'arrangea guère ... Mais, ce put être également une mise en garde mensongère. Siècle après siècle, les mœurs humaines avaient évolué pour devenir plus étranges encore ... Insensées, souvent.
Enfin, la Créature de givre lui dévoila l'"origine" de sa "passion" pour la glace ; si la fable était jolie, et presque utopique, le Démon, en pleine conscience de l'imposture, ne parvint à réprimer son fin sourire sibyllin. Ce n'était pas de l'émotion. Pas plus que de la compassion, ni de la sympathie pour ce qu'elle lui conta. Et, cela accentuerait sûrement l'impression d'incrédulité qu'elle y percevrait, dès qu'il commencerait à hocher doucement la tête pour meubler son absence d'intervention verbale, au cours de ce récit ... Bienheureusement, à l'idylle succéda l'avarice de la Dragonne, manifestée par ce vif reflet d'or, dans l'iris havane de cette dernière. Un détail qui aurait échappé à n'importe quelle créature mortelle ... Et un détail qui poussa le Déchu à anticiper la suite. Opterait-il pour une manipulation progressive, un piège tendu dans la richesse ? Ou abuserait-il de la condition de moitié esseulée de cette dernière afin d'aborder un chantage moins amical, qui les mènerait dans une situation plus délicate ..? Cela méritait réflexion ... C'était aussi l'avantage de sa condition que de pouvoir tricher par rapport aux autres races.
« Nous nous entendons bien, à ce sujet. Votre prix sera le mien. Je suis prêt à vous payer grassement, si votre art répond à mes exigences. Mais sachez que je serai très pointilleux. »
Sa mine joviale se prononça davantage, dès lors que les négociations débutèrent. La jeune femme ramena un carnet, et un crayon qu'elle posa sur la table ; d'abord entre eux, puis le lui proposant ... De longues secondes durant, il fixa le matériel, comme prenant le temps de visualiser au mieux ce qu'il souhaita ; même si, en réalité, ses perspectives s'altérèrent quelque peu. Peut-être que ce givre ensorcelé offrirait bien plus à être exploité que simplement anéanti par ses flammes ...
« Eh bien, je veux bien essayer d'esquisser quelque chose, mais je ne vous promets rien ... Cela dit, je tiens malgré tout à vous laisser une certaine liberté artistique. Il faut avant tout qu'il émane quelque chose de la sculpture que vous allez concevoir ... Je doute qu'une vulgaire reproduction puisse être imprégnée de quoi que ce soit. »
Il tira vers lui le calepin ouvert, et vint se saisir de la mine de plomb, afin de coucher quelques tracés imprécis sur le papier, pour dégrossir ce qui ressembla à une forme à peu près humaine, manifestement ailée.
« Je souhaiterais vous confier la représentation de l'Être Céleste de votre choix ; tout ce que je demande, c'est qu'il paraisse presque posséder une âme, et que sa beauté soit divine. »
Fugacement, les traits du visage de Stolas se froncèrent à quelques reprises. Le pantin asexué qu'il dessina, se transforma en une sorte d'écorché, comme entravé par une multitude filandreuse de liens l'empêchant de s'élever. Assez naturellement, il poussa doucement le carnet vers l'artiste, avec le croquis évasif, néanmoins suffisamment précis pour qu'y soit perçue une situation presque macabre pour son sujet.
« Vous serez libre de choisir sa posture, et sa condition. Mais j'insiste : le résultat doit être sublime. Sans un défaut. Et j'irai même jusqu'à dire, transcendant ... »
Sa demande n'était pas tout à fait anodine ; sauf pour un humain. Un humain souhaitait la perfection, la beauté à exhiber et admirer ... Néanmoins, le Déchu se contenta d'imaginer l'influence d'une telle sculpture sur un esprit humain. Si, déjà, son attention avait été retenue par la Dame de Glace exposée en vitrine, commande certainement imprégnée d'un peu de somptuosité draconique, un tel ouvrage exposé dans une église, surplombé d'un enchantement, pourrait bien pousser quelques observateurs à la folie ...
« Si vous atteignez votre objectif Danielle, je m'acquitterais volontiers de ma dette en vous donnant la fortune que je vous devrais. Au fait, puisque votre glace vaut son pesant d'or, qu'en est-il de son entretien ? Après combien de temps environ commence t-elle à se détériorer ? »
Bien sûr, l'argent pourrait poser problème dans une certaine mesure, mais, c'était une préoccupation secondaire actuellement ; du moment qu'il menait bien sa feinte, la jeune femme ne devrait pas se douter du leurre qu'elle s'apprêtait à gober ...
« Je vais vous écouter et jeter mon dévolu sur votre spécialité, puisque c'est si gentiment proposé. »
Même si Stolas n'avait jamais été très gourmand, il était convaincu que le partage d'une boisson chaude ne pourrait être que bénéfique pour tailler le bout de gras avec la Dragonne.
Danielle se leva délicatement, le sourire aux lèvres. Elle allait pouvoir faire goûter son chocolat chaud à un de ses clients. Pour le réaliser, elle s'était fait livrer directement des fèves de cacao du Brasil. Elle avait, dans son temps libre, fait elle même son chocolat afin de pouvoir profiter pleinement de son petit plaisir. Alors qu'elle servait celui-ci dans deux de ses tasses, elle ajouta un peu de lait afin de pratiquer son talent artistique sur un autre support que la glace.
Elle posa les deux tasses sur un plateau en bois qu'elle attrapa sous le comptoir et l'apporta à la table. Elle se pencha alors en avant de Mr Stolas, le plateau devant elle. En se baissant, une partie de son décolleté se montra. Elle passa rapidement sa main gauche le long de son visage afin de ramener ses cheveux derrière son oreille. De l'autre main, elle posa la tasse devant Stolas. - "Je vous conseille d'attendre un petit peu c'est très chaud, mais une fois un peu refroidit, c'est un délice !" souria-t-elle. La méfiance qu'elle avait ressentie était peu à peu remplacée par la joie des simples plaisirs de la vie comme ce chocolat. Elle posa la deuxième tasse devant elle, et se figea un moment. Elle voulait le boire, mais elle s'avait qu'il était trop chaud, et encore plus pour une dragonne de glace. Elle était tiraillée par l'envie de le boire immédiatement...
Elle huma l'odeur du chocolat, puis se recentra sur le travail. Allez ma fille tu dois rester con-cen-trée! se dit-elle.
Elle pris le breuvage dans ses mains, se leva un instant, et fit des tours autours de sa chaise afin de se remémorer rapidement les questions de Mr Blightsower.
"- Hmm... vous souhaitez un être qui finalement, rien qu'en le regardant, on se sente subjugué, fasciné, et dont on ne peut ne serait-ce que douter de son origine céleste ? Dans ce cas je vais vous réaliser une figure angélique digne des meilleures jamais réalisées dans ma boutique !" s'enthousiasma Danielle. "- Pour ce qui est du temps de conservation de la glace, tout dépend de celle que j'utilise. Certaines tiennent mieux que d'autres. Si vous souhaitez la même que celle qui est derrière vous, elle peut durer plusieurs mois. Sa qualité est i-rré-pro-chable !" Les yeux de la dragonne recommencèrent à luire d'une teinte ocre. Elles ne pouvait s'en empêcher lorsqu'elle pensait au profit qu'une telle sculpture pourrai lui rapporter. De plus, elle commençait à être excitée à l'idée de commencer cette réalisation, qui lui promettait un splendide résultat. "Par contre, avez-vous un délai à respecter, des contraintes qu'elles quelles soient ? Avez-vous des exigences en terme de taille ou de poids pour cette réalisation ?" Danielle se rassit et plongea ses lèvres dans le chocolat chaud. Elle le repoussa rapidement en poussant un petit cris de douleurs. Une partie du breuvage se retrouva projeté sur la table, se déversant sur son carnet et quelques gouttes atterrirent sur la jambe gauche de Stolas. Celui-ci ne sembla pas dérangé par la chaleur de la mixture tombée sur lui. Danielle traversa en courant la porte de son atelier et monta les escaliers. La porte restée ouverte, un bruit d'affaires projetés dans tous les sens se fit ressentir. Puis la revoilà, essoufflée après avoir descendu l'escalier et en manquant de se ramasser à l'arrivée. Elle se saisit du mouchoir et de l'éponge qu'elle était allé chercher, épongea rapidement la table, et après l'avoir essorée, se mit à genoux devant Stolas, encore assis sur sa chaise. "Excusez-moi je suis vraiment maladroite parfois, laissez moi vous essuyer cela". Elle était affolée, et on pouvait deviner une petite larme au coin de son oeil. Après avoir essuyé ce qu'elle pouvait, elle se releva, s'assit à nouveau sur la table, et dit: "Je suis vraiment désolé, vous n'avez pas eu mal ? Sinon j'ai de la glace en pagaille ici " souria-t-elle d'un air faussement amusée. Son regard baissant laissait entrevoir son sentiment de culpabilité.
Une glace particulière I come to take the soul ; leave the body, and leave it cold. •••Sans désir quelconque de presser la jeune femme le temps de son absence, Stolas regarda encore pensivement l'esquisse laissée sur le carnet. Une nouvelle empreinte d'un passé lointain, mais encore bien vif, dans ses souvenirs ... Avant qu'il ne sombre dans ses songes de destruction, le parfum sucré de la boisson chaude préparée par Danielle contrebalança ses humeurs, pour les adoucir un peu. En relevant les yeux vers la sculptrice dont il s'attendait à croiser le regard, il se retrouva à froncer légèrement les sourcils, quant à la vue plongeante qui lui fut offerte le temps de se voir servi. Ce n'était pas tant désagréable, cela dit, nulle expression de satisfaction malsaine ne raya le marbre dont son visage sembla fait.
« Merci, Danielle. Je vois que le chocolat chaud n'a plus de secret pour vous. »
Il plaça ses mains autour de la tasse qu'elle posa, peu sensible à la chaleur qui émanait de l'objet, puis observa le nuage onctueux qui surplombait le délice. Sagement, Stolas patienta plutôt que de commencer à boire, constatant le bref arrêt de l'artiste qui le recevait ; ainsi que les cent pas qu'elle entama dans l'espoir de s'occuper l'esprit, afin de ne pas céder à la tentation de boire la douceur qu'elle avait préparé.
« À la bonne heure .. ! Je sais que vous ne faillirez pas. Pour ce qui est de la glace, dans ce cas, je vais opter pour l'irréprochable, puisque j'aimerais que votre œuvre se maintienne autant que possible dans le temps. »
Un fin sourire revint sur la figure du Déchu, à l'idée de cette statue de givre, complétée. Tous les fidèles qu'elle assujettirait, grâce à une pointe de magie supplémentaire, imprégnée dans la matière gelée. Et visiblement, il ne fut pas le seul à se réjouir de leur entente mutuelle sur le projet ; il avait aperçu ce vif éclat dans l'œil de la créature avare. Désormais, elle le suivrait tant qu'il promettrait monts et merveilles d'un point de vue financier ... Elle avait avalé l'hameçon.
« Vous n'aurez pas de contrainte de temps ; le plus tôt serait le mieux, évidemment, mais je ne veux pas brusquer vos talents, et si je dois attendre pour avoir un résultat parfait, j'attendrais. Tout ce que je demande, est qu'il soit à échelle humaine, au minimum. Ou un peu plus grand, si vous le souhaitez ... Ça vous permettra peut-être de- ... »
La joie de la Dragonne était appréciable, mais cet emportement dont la maîtrise lui échappa, lui fit multiplier les bévues. Le cri de surprise qu'elle poussa l'interrompit ; son regard dévia jusqu'à elle, puis sur la maladresse, qui s'étendait à toute la longueur de la table, jusqu'à son bord ... Au point de venir goutter sur le jean esquinté qu'il portait. Il ne broncha pas, quant à la brûlure ... Le temps qu'il lève les yeux du vêtement, après avoir vu les quelques tâches de cacao se confondre dans la couleur noire de son pantalon, l'artiste avait disparu ; en trombe, s'il en jugeait le tintamarre qu'elle fit, même hors de son champ de vision ...
« ...- Lécher les détails. Danielle ? ... »
Sans réponse autre que le brouhaha en provenance du sous-sol, il se mit à boire une longue gorgée du chocolat chaud maison qu'elle avait servi. Tâché pour tâché, Stolas ne bougea pas, ni pour s'écarter, ni pour essayer d'arranger quoi que ce soit, pour la simple et bonne raison qu'il n'avait pas de mouchoir sur lui pour atténuer les dégâts... Et que tout cela lui était bien égal. Alors, sagement, la dégustation se poursuivit, le temps que la jeune femme revienne. Il aurait pu pester ; affubler l'empotée de jolis noms d'oiseaux. Cela dit, il fut pris d'un soupçon de miséricorde en la voyant déjà paniquée comme s'il avait élevé la voix sur elle alors qu'il n'avait pas prononcé un seul mot caustique.
La créature s'affaira à nettoyer sa maladresse, et il l'observa, sans commentaire ... Enfin, avant qu'elle ne s'approche de lui. Elle s'agenouilla, en un geste qui lui rappela lointainement les flashs d'une autre vie ... Et de l'église, là où les zélotes se jetaient à terre devant leurs idoles célestes sourdes, pour mendier l'absolution.
« .. Qu'est-ce que-... »
Il écarquilla les yeux ; avant qu'elle ne s'inflige une peine qui aurait été fort infantilisante pour lui et avilissante pour elle, le Sorcier intercepta le poignet de Danielle tenant le chiffon.
« ... Cessez donc. »
Une inclémence silencieuse remplaça la surprise. La pression sur le poignet de la jeune femme augmenta progressivement : en même temps que la chaleur qui irradiait de la paume du Déchu. Une sensation cuisante se répandrait sur la peau de la créature ; mordue par un fer ardent, qui ne laisserait aucune marque du "coup" infligé ... Comme si, cela fut uniquement le fruit de son imagination. Ou, la matérialisation de son insoutenable culpabilité.
« Allons, il n'y a pas mort d'homme. Il ne s'agit que de quelques tâches, et j'ai déjà vécu bien pire. »
La jeune femme regagna rapidement sa place, et, même s'il devina la source d'une telle réaction de la part de cette dernière, il fit mine de ne pas vraiment comprendre pourquoi le comportement de l'artiste s'était ainsi dégradé.
« Êtes-vous si sensible que ça à la chaleur ? ... J'ai rarement vu ça ... Mais, reprenons, si ça vous gêne d'évoquer le sujet. »
Plus suspicieux, le client examina désormais le moindre mouvement de Danielle avec attention ... Dans l'intention volontaire de la mettre mal à l'aise.
Danielle, après son acte désespéré de nettoyer le chocolat qui s'était répandu sur la tenue de Stolas, gardaient le coeur battant. Puis, lorsque sa main fut brusquement saisie par son client, sa tension sauta. Elle croisa un instant le regard du possédé, qui semblait sans émotion, froid... Puis, ce regard glacial fut interrompu par la chaleur qui se répandait le long de son bras. La poigne de l'homme lui était douloureuse, et au fur et à mesure qu'il la tenait, la température, elle, s'élevait. Danielle, encore choquée, subissait la morsure qu'on lui infligeait. Puis, soudain, l'exponentielle douleur devint trop forte, vive et ardente. Ne serait-ce qu'un instant, elle avait l'impression que la main du sorcier s'était changé en des fers d'acier encore rouge, à peine forgés, et directement appliqué sur sa peau. Ma peau ! Ma peau ! Je vais fondre! se dit-elle. Dans les faits, la prise de Stolas ne dura que quelques secondes, mais elle sembla durer une éternité pour notre Dragonne, tant elle ressentait chaque palier de douleur qu'elle avait traversée. Après un petit cri aigu de douleur, elle fit un pas en arrière, quelque peu paniquée. Elle se releva prudemment et regagna sa place en face de son client, mais ses yeux ne le regardait pas. Ils étaient rivés sur le tour de son poignet. Rien. Il n'y avait rien.Comment était-ce possible ? Sa peau lui faisait encore mal et elle aurait largement préféré la chaleur de son chocolat sur sa peau. Que s'était-il passé ? L'insécurité qu'elle avait ressentie face à ce client particulier refaisait surface. L'instinct ? Elle releva son regard et croisa celui de Stolas, toujours stoïque. Je n'ai pas le temps de comprendre, je pourrais y repenser plus tard. Je me dois de finir cette vente au plus vite si je veux que cet homme en aille. Danielle se ressaisit tant bien que mal, et alors qu'elle se sentait prête à rebondir, les mots de Stolas l'inquiéta encore davantage. « Êtes-vous si sensible que ça à la chaleur ? » Comment savait-il que c'était la chaleur qui l'indisposait ? Dans ces conditions, une réaction normale ne serait pas de s'excuser pour la force exercée dans sa poigne ? Sait-il pour sa condition de dragonne ? L'inquiétude ne faisait que s'accroître bien qu'elle s'efforçait de rester impassible.
La voix légèrement tremblante, elle reprit son commerce : "Je suis vraiment désolé, vous n'avez pas eu mal ? Sinon j'ai de la glace en pagaille ici... Reprenons où nous en étions si vous le voulez bien." "P-Pour la statue, pas de soucis pour la taille, je pense qu'une de deux mètres de hauteur serait parfaite." Elle essayait de ne plus penser à la douleur et de se concentrer sur le travail, mais elle continuait à se tenir le bras, à l'endroit de la prise du démon. "Si le prix ne vous fait pas peu-peur, Il ne reste qu'à fixer la date de livraison." "Pour la réalisation, il me faudra au minimum 2 semaines." Son esprit s'imagina lui répondre que le délai était infini, pour ne pas revoir cet individu, mais l'appât du gain était plus fort qu'une simple présomption. "Pouvez vous donc m'indiquer cette date, ainsi il ne restera qu'à signer le devis et je pourrais vous li-libérer."
Une glace particulière I come to take the soul ; leave the body, and leave it cold. ••• Lorsqu'il fit allusion à l'hypersensibilité de la jeune femme, il ne l'avait fait qu'en rapport avec la tasse bouillante qu'elle avait tenu plus tôt ... Et, échappée, avec un cri fort semblable à celui qui avait suivi sa "prise", à l'instant. Le potentiel client ne sembla d'ailleurs pas comprendre cette réaction brusque, quelque peu confus ; l'incompréhension, mêlée d'une mine plus concernée, altérèrent son air sympathique. Il ne restait aucun vestige, aucun indice, de ce qui venait passer : comme si tout cela n'avait été qu'une stupéfiante hallucination. Pas d'hostilité en lui, bien au contraire ; il s'inquiétait. Et, pas de brûlure sur la peau, là où il l'avait attrapée.
« ... Danielle, vous êtes sûre que ça va ? Je vous ai fait mal ..? »
Après tout, les humains étaient naturellement maladroits; si la gaucherie fut volontaire ici, même en tant qu'humain, il aurait très bien pu lui fouler le poignet par mégarde en l'interrompant ... Évidemment, la vérité était toute autre, et il en avait bien conscience. Mais s'il voulait insinuer le doute en elle, il ne devait pas quitter son rôle d'innocent ... Avec tout le mal qu'il se donnait, l'artiste n'osait pratiquement plus croiser le regard de son étrange clientèle ; elle avait examiné nerveusement la marque qu'elle pensait porter, tournant et retournant son poignet ... En vain. Par un malheureux réflexe, Stolas avait fait voler en éclat l'apprivoisement de la Dragonne ... Dommage. D'autres occasions se présenteraient. Ou, peut-être qu'elle finirait par réfléchir, et se convaincre qu'elle n'avait fait que rêvasser vis-à-vis de cet incident. Il ferait en sorte que cela se produise ainsi ...
La peur n'était pas déplaisante à voir dans l'oeil fuyant de la créature. La voix chevrotante du reptile antique portait une appréhension plus grande encore que celle qu'il avait décelé en arrivant dans la boutique ... Oh, comme c'était plaisant.
« Tout bien réfléchi, je vais peut-être vous emprunter un peu de glace, si ça ne vous dérange pas ... »
Pendant un instant, il s'était tâté à refuser son offre, maintenir qu'il allait bien ; néanmoins, pour la vraisemblance de son rôle, il valait mieux feindre un soupçon de douleur ... Et puis, aller chercher cette fameuse glace accentuerait sans doute un peu le malaise ; même s'il avait d'autres choses à faire ailleurs, c'était un bien distrayant spectacle, que de la voir paniquée à l'idée qu'il sache ce qu'elle était. Peut-être que Danielle parviendrait à retrouver ses esprit, en s'isolant seule, pendant quelques minutes ... Ou, peut-être que ça ne ferait que prolonger cette torture psychologique un peu plus longtemps ... Oups.
« Vous avez l'air souffrante ... Je peux chercher un autre artisan, si ça peut vous soulager. Je m'en voudrais de vous faire travailler et de rajouter de la pression à votre quotidien alors que feriez bien de reposer votre poignet ... Qu'est-ce qui vous préoccupe tant, sans indiscrétion ? Vous semblez soudainement ... Anxieuse. »
Il n'avait volontairement pas rebondi sur l'information de la date, momentanément ; et il feindrait un égarement trop attentionné pour elle, si jamais il lui venait la brillante idée de lui reprocher son absence de choix, ou de confirmation. Bien que, la prise en otage sous-jacente du butin qui pourrait être offert à quelqu'un d'autre qu'elle, susciterait peut-être une autre drôle de réaction en la bête cachée derrière un aspect humanoïde ...
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