C'était un magnifique soir d'hiver. Danielle, dans sa voiture, était éclaboussée par les halos de lumière disséminés le long de la route. Après plusieurs minutes, elle arrivait à sa destination. Elle ralluma la lumière interne de sa voiture, descendit lentement le pare-soleil côté conductrice et se contempla dans le miroir. Elle ouvrit, de ses jolies mains manucurées à la française, son sac à main. Elle en sortit un rouge à lèvre carmin et l'apposa délicatement sur ses lèvres. Ses lèvres supérieures et intérieures glissant l'une sur l'autre finirent le geste. Elle réhaussa une dernière fois sa coiffure. Elle était plutôt heureuse du brushing que son coiffeur favori lui avait faite et ne se lassait pas de se contempler. En effet, Danielle ne faisait pas souvent grand état de son apparence, mais lorsqu'elle se donnait du mal, elle se devait d'être parfaite.
Aujourd'hui particulièrement, elle se devait de se montrer sur son plus beau jour. Elle n'oserai pas se présenter à l'hôtel Lux et faire tache dans le paysage, même si elle venait simplement apporter la commande habituelle.
Des verres fantaisistes en glace, voilà ce dont raffolait les clients de cet hôtel. Des verres façonnés avec minutie et pour chaque type d'alcool.
Danielle descendit de sa voiture, à l'arrière de l'hôtel, et attendit qu'on l'accueille.
La fraîcheur de la nuit ne faisait pas peur à une dragonne de glace, et, elle aimait contempler la lune ; pleine ce soir-là. Cela la faisait voyager et lui faisait repenser à une époque lointaine, celle où avec ces congénères elle était libre de voler dans le ciel...
Plusieurs valets vinrent finalement à sa rencontre. Ils l'aidèrent à décharger la voiture des pièces commandés et comme toujours, l'un deux escorta la belle vers le bar se trouvant au rez-de-chaussée de l'hôtel.
Lorsque ses pas entrèrent en contact avec le tapis rouge brodé or du Lux, la lumière se réverbéra sur sa robe. Celle-ci était une robe noire, sobre, mais dont les multiples strass avait été gelés, les rendant aussi scintillants que des diamants.
Danielle n'était pas du genre à vouloir attirer l'attention sur elle, mais elle avait eu une semaine éreintante avec ces commandes. Certains de ces clients étaient mécontent de la rapidité de ses services, voulant rogner sur la qualité pour une livraison plus rapide. Mais cela, Danielle se le refusait. Son travail doit toujours être d'une qualité exemplaire. Elle voulait décompresser, et elle ressentait le besoin de se sentir importante, et non pas transparente telle la glace qu'elle fabrique.
Notre dragonne finit par atteindre le bar et s'assit au comptoir sans trop prêter attention aux personnes autour d'elle. Pourquoi s'embêterait-elle ? Ces personnes mènent un autre train de vie. Attention, avec sa boutique qui existait depuis plus de cent ans, Danielle n'était pas pauvre et était même parmi les personnes aisées de la ville. Mais les personnes résidant et fréquentant le Lux, elles, possédaient une richesse incommensurable... Ce qui avait le don d'agacer notre dragonne. Quel comble pour un dragon d'être entouré de personnes ayant plus de richesse que vous. A quoi bon veiller sur un trésor si personne ne le désire ?!
Chaque fois qu'elle retournait au Lux, la même scène se répétait. Elle se voyait en femme forte, déterminée et ayant réussi dans la vie, puis, elle se comparait aux autres... Et leurs richesse, leurs bijoux omniprésents, lui éclatait au visage comme pour narguer son égo.
Alors, comme à chaque fois, Danielle demandait au barman un bon verre d'alcool fort, servi dans un verre qu'elle avait elle-même fabriqué.
Elle se réconfortait en contemplant la transparence de celui-ci et ô combien il rendait honneur à ce whisky.
Le bar quant à lui, était animé.
Dans un coin, un couple de riche importateur parlait de leurs nouvelles affaires juteuses, dans l'autre, des pimbêches s'envoyait fleurs sur fleurs avec un faux accent londonien.
Puis, Danielle commanda un autre verre... En contemplant son reflet dans celui-ci, elle ne pouvait s'empêcher de faire une introspection sur elle-même. Comment était-elle arrivé à sa vie actuelle. Quelle était son évolution depuis le départ de son mari... Elle se retourna un instant pour contempler un jeune couple assis à une table. Pourra-t-elle un jour oublié son homme et tourner la page ?
Ses beaux yeux châtains se remplirent peu à peu de nostalgie, et, seule la solitude l'enveloppait de ses bras.
"Excusez moi ! Un autre s'il-vous plait ! " ordonna-t-elle au barman, une larme pointant au coin de l'oeil.
Après son troisième verre, et lassée de l'ambiance si classe et éblouissante, Danielle décida qu'il était temps qu'elle rentre chez elle.
Cependant, s'étant laissée allée, elle ne pouvait décemment pas reprendre sa voiture. Ayant encore les idées plutôt claire, elle décida de laisser la voiture sur place et de marcher en direction de sa maison. Après tout, sa boutique est dans le même quartier et cela ne lui prendrait au bas mot qu'une à deux heures de marche.
Danielle commença alors à déambuler dans les rues de L.A. . Elle arrivait encore à repérer son chemin en suivant vaguement la route qu'elle avait prise à bord de son auto.
Mais, plus elle faisait de pas pour se rapprocher de chez elle, plus elle ressentait une douleur de plus en plus vive à la cheville. S'étant apprêtée pour le Lux, Danielle portait encore ses talons haut et ceci finissait par lui cisailler la cheville. Pour calmer sa douleur et continuer d'avancer, notre dragonne gela sa plaie du mieux qu'elle pouvait. Après 45 min de marche, Danielle était lasse. Lasse et non fatiguée au vu de la forte endurance de son espèce. C'est alors qu'elle aperçu un banc providentiel. La lumière de la lune l'avait emprisonné de son éclat.
Danielle se dirigea ainsi vers lui, afin de faire une pause dans son périple imprévu.
Elle arriva alors à la fameuse barrière verte permettant l'accès à l'Echo Park, fermée vue l'heure avancée de la soirée.
Mais la jeune femme ne se laissa pas repousser. Elle avait vu ce banc et foi de dragon, elle s'assirait dessus ! Elle enjamba aussitôt la barrière et un bout de sa robe se déchira au passage. Puis, comme triomphante, elle s'assit sur le banc illuminé.
Danielle releva lentement la tête... Et son regard, comme envoutée, se plongea en plein coeur de la pleine lune. Danielle, mélancolique, nageait à nouveau dans ses souvenirs, emprise de cette atmosphère bucolique.