Il a pris “l’habitude” de trainer ici, le temps libre lui manque cruellement ces derniers temps. Lui qui avait une vie si vide de sens se retrouve sous tant de pression. Assumer pleinement sa magie n’est pas de tout repos, parfois l’envie de retomber est oppressante. L’ivresse l’avait soustrait de tout ça, de toutes les responsabilités. C’était presque plus simple d’être un esclave, après tout, il ne se rendait compte de rien. Alors quand le monde semble reposer sur ses frêles épaules de médium, il se rend ici, au planétarium. Ça lui rappelle à quel point le monde, l’univers est grand. Ça l’aide à se souvenir que tout ça ne va pas s’écrouler si lui tombe. Que le voile entre les deux mondes était là avant lui et le sera après. Mais à quel monde ? Pourquoi toutes ces planètes ne parlent pas des mondes que lui est capable de voir ? Des limbes, des enfers, du ciel… Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas une carte de ses endroits là pour ne pas s’y sentir complètement perdu et seul ?

Il aime cet endroit parce qu’il en a arpenté les m² en compagnie de la femme avec qui il est fièrement en couple désormais. Un rencard bien étrange mais qui a porté ses fruits. Le médium est si épris de la sorcière qu’il lui semble que sa présence est partout dans cet endroit. Il entend le son de sa voix sans comprendre les mots qui sortent de sa bouche. Un charabia scientifique qui lui ont collé une sacré migraine, une si douce migraine… On peut trouver les gens niais lorsqu’ils sont amoureux, mais Keon excelle en la matière !

Le médium suit le parcours qu’il commence à maitriser, à chaque de ses visites il s’efforce à retenir au moins dix nouvelles choses, ce qui n’est pas une mince affaires. Il les inscrit dans son carnet, bien concentré devant une représentation du système solaire quand un groupe lui barra le champ de vision. Une douzaine d’individus écoutant un grand dadais en train d’exprimer un charabia bien plus complexe que ce que racontait Damaris !

C’est quoi une exoplanète ?

Le médium se mit à les suivre, prenant maladroitement des notes qui souvent se résumaient à des dessins du dadais coiffé de divers chapeaux ridicules…

Bien qu’il soit trentenaire, il se glisse sans problème dans la masse avec son air candide, ses fringues de seconde main et le sérieux qu’il semble employer à ses dessins. Cependant le médium garde dans le viseur un type qui n’arrête pas de le reluquer depuis tout à l’heure. Un esprit, c’est bien sa veine. D’abord il tente de l’ignorer, avant de le regarder franchement, son troisième œil lui donna la vision de l’esprit en ce corps et la marque sur son cou fit instinctivement porter sa main sur sa propre gorge. Loin de penser qu’il puisse avoir l’air menaçant à cet instant, fixant le jeune avec l’amertume du passé dans le regard.

Alors qu’ils quittent la salle parlant des atomes, Keon s’arrête au niveau de la piscine à balles pour enfants, une activité ludique pour construire des atomes en s’amusant. Le médium n’aime pas les regard que lui jette cet esprit, il est trop faible pour réellement se battre après avoir invoqué cette épée céleste qui l’a brulé à de nombreux endroits. Si ses plaies sont guéries il n’en est pas de même pour son énergie, frôler les cieux de si prêt ça vous retourne pour des semaines ! Le médium attrape l’une des balles, une verte, et la jette en direction de l’esprit qui commence à lui donner froid dans le dos mine de rien…

Poc, en plein dans la nuque !

Le groupe continue de se diriger vers la salle suivante, le médium attendit devant la piscine à balles, si cet esprit lui cherche des noises eh bien il va voir ! Il n’a pas besoin de ses ondes médiumniques pour lui botter ses fesses d’ectoplasme !

Le Griffith Observatory était un des endroits préférés de Theo à Los Angeles. Sa silhouette de pierre blanche dominait toute la ville. L'esprit se souvenait encore très bien de son inauguration en 1935. Vivant et âgé de 13 ans à cette époque, il y était allé avec son père. Ce jour là il avait espéré de manière assez enfantine de pouvoir un jour voyager vers les étoiles. Mais l'enfant qu'il était n'existait plus. Seule une âme en peine flottait dans une réalité trompeuse et effrayante. D'ailleurs un esprit pourrait-il survivre dans l'espace ?
D'abord réservé aux seuls scientifiques, l'observatoire était désormais un lieu de partage de connaissances, et Theo adorait y étudier.
Si la plupart de ses cours étaient à l'université, certains se déroulaient hors les murs et quoi de mieux d'aller au planétarium pour rencontrer les spécialistes de l'astrophysique. Il avait choisi de profiter de l'apparente éternité devant lui pour en apprendre plus sur la Physique en espérant ainsi mieux appréhender à la fois ses pouvoirs mais aussi le monde dans lequel il se trouvait. Le mince voile où il évoluait entre vie et mort devait bien trouver une explication scientifique quelque part ! Il le fallait ! Était-ce une dimension parallèle ? Une courbe dans l'espace-temps ? Le Paradis et l'Enfer existent-ils ? Il ne connaissait que ce monde et celui des esprits, des limbes grises éclairées par une lumière sépulcrale. Theo poursuivait l'idée vaine que trouver la réponse à ses questions sur son état lui permettrait de mieux l'accepter. Si son existence durait encore des siècles, il n'osait imaginer tous les savoirs qu'il aurait accumulé d'ici là. Ou bien il aurait complètement perdu l'esprit et devenu un psychopathe…

Ce jour-là, des pensées bien sombres le submergeaient et il prenait des notes mécaniquement. Il n'avait parlé à aucun de ses camarades, il n'avait pas envie d'engager la discussion avec qui que ce soit. Cela faisait quelques mois que sa fille Dahlia était décédée dans sa maison de retraite. Une belle fin, entourée de ses proches dont il n'avait jamais pu faire partie. Theo avait décidé de mettre fin à ses jours en ignorant qu'il allait devenir père. Le Destin l'avait irrémédiablement chassé loin de sa fille. Theo l'avait vu grandir, s'épanouir et vieillir que de loin. Avec la mort de Dahlia, une nouvelle part de l'humanité de l'esprit s'envolait pour toujours. Elle avait trouvé la paix dont lui était privé.  
Il n'avait pu lui adresser la parole et lui dire adieu qu'en tant que petit-fils quand il avait décidé de posséder son propre descendant, son arrière-petit-fils. Depuis, il n'arrivait pas à faire son deuil. Ce n'était vraiment pas le moment de le provoquer...

- Aie !

Theo n'eut pas vraiment mal mais s'était plutôt exclamé sur le coup de la surprise. Quelque chose l'avait tapé au niveau de la nuque de son corps d'emprunt. Ils se retourna et ramassa la petite balle verte sur le sol. Bien évidemment il pensa tout d'abord aux enfants qui jouaient dans la "piscine d'atomes" et regarda vers eux. Mais les bambins jouaient entre eux sans se soucier des adultes...
Alors qui ? Theo ne put s'empêcher de soupirer en voyant le coupable. Facile à deviner, il le regardait fixement avec une attitude étrange. L'esprit activa son corps pour s'élancer dans sa direction.

- Hé ! Vous êtes sérieux là ? Vous avez quel âge ? C'est vous qui avez lancé ça hein ?

Theo arrivait maintenant face au type avec son air ahuri. L'inconnu suivait le groupe depuis un certain temps. Il avait l'air d'avoir la trentaine mais à part ça pouvait totalement passer pour plus jeune avec ses fringues et sa dégaine. Mais le fantôme savait qu'il ne faisait pas partie de la classe.

- T'es qui d'abord ? Je ne t'ai jamais vu à la fac...

L'expression de Theo se faisait plus familière et plus menaçante. En temps normal il aurait laisser couler et aurait mis fin à l'incident. Mais en ce jour de merde il ne laisserai pas passer ça. La suite le surprit lui-même après coup.
En usant de ses pouvoirs, il fit tournoyer la petite balle verte sur son majeur pointé vers le haut. L'esprit ne risquait pas de paraître bizarre, les humains autour penseraient juste qu'il était un très bon jongleur voilà tout. Puis en rétractant les autres doigts à part le majeur, il fit un magnifique doigt d'honneur au jeune homme en face de lui.

- Tu le vois celui-là ??

Puis lorsque la balle s'arrêta de tourner, d'une pichenette l'esprit la balança sur la tête du mec. A cette distance il ne pouvait pas manquer sa cible et la petite balle tapa le type entre les deux yeux...
En parlant de ces yeux... L'esprit eut tout à coup un mauvais pressentiment... C'est étrange on pourrait presque penser qu'il pouvait voir sa véritable forme...  Était-ce possible ? Il avait littéralement la tête d'un mec qui "voyait un fantôme" comme le disait l'expression. En tout cas il y avait quelque chose dans son regard qui ne passait pas.

- Je te conseille de me foutre la paix et de retourner à la maternelle ! Je n'ai pas de temps à perdre avec toi !

Theo tourna les talons, déterminé à ne pas trop attirer l'attention sur lui. C'était pour essayer de mener une existence normale qu'il possédait ce corps après tout.

Cet esprit ne lui inspire rien de bon, il ne sait pas pourquoi, mais il trouve que celui-ci… Le lorgne un peu trop, c’est tout ! Ou alors c’est dans sa tête ? Est-ce que toutes ces histoires d’exorcisme commencent à lui monter à la tête ? Peut-être bien… Pourtant, il en connait des esprits de confiance, mais il doute de plus en plus… Si maintenant on peut se faire tuer par un démon sans raison, alors pourquoi est-ce qu’il faudrait qu’il continue à être ce gentil petit médium naïf ? Mais comment est-ce qu’on se méfie des autres ? Il n’en a aucune idée lui, alors il ne sait pas le Keon, il tente un truc, il balance une balle sur ce type sans savoir quoi faire d’autre. Il ne veut pas se bagarrer pourtant, il n’en a pas l’énergie. Il est encore convalescent le Quill, encore fragile, il pourrait à peine invoque l’esprit d’une fourmi !

L’étudiant s’approche de lui, Keon ne bouge pas, il le fixe, il ne veut pas baisser les yeux devant un esprit, même si beaucoup d’entre eux foutent les jetons.

- Euh… Trente ans, mais c’est quoi l’rapport avec mon âge ?

Qu’il questionne à son tour en fronçant les yeux. Quelle importance ? Il a le droit de lancer une balle si ça lui chante, quoi, il en veut une autre dans la face ?

- Tu crois que j’vais te dire mon nom ?

Bon en fait il risque rien à le lui dire, pas comme les esprits qui font bien de garder leur identité secrète s’ils ne veulent pas être soumis à la volonté qu’un médium, un démon ou même à l’occasion, un sorcier. Le plus âgé n’est pas impressionné par son petit jeu avec la balle, il a vu bien pire comme manifestation, il en faut bien plus pour lui en mettre plein les yeux, ça c’est de la rigolade ! Il lève les yeux au ciel face au doigt d’honneur qui lui est adressé et il lui répondit :

- Oh super tu sais jouer avec une baballe, moi aussi j’sais me servir de mon doigt et d’mes boules alors…

Poc, la balle lui arriva sur le visage entre les deux yeux, ce qui eut le mérite de ne pas le laisser aller au bout de ses propos ! Le médium fronce les sourcils et rétorque avec impatience, la fatigue parle pour beaucoup, Keon n’est pas un bagarreur, toute sa vie il est passé à côté des conflits en s’aplatissant devant les autres, mais pas aujourd’hui.

- Tu t’fous d’ma gueule j’espère ? Tu veux la paix ? C’est, c’est vous ! Vous tous ! Vous êtes toujours là, partout, à m’faire chier et à m’demander des trucs impossible ! A m’coller la migraine ! Ici c’est mon endroit préféré en ville, j’vous laisserais pas y foutre la merde ou tout casser comme vous faites tout l’temps. Alors me parle pas de vouloir la paix ! C’est vous les emmerdeurs de médiums alors tu vas pas m’dire ce que j’ai à faire espèce de… De mec tout mort ! Ouais hein, tu crois quoi ? Y’a pas que ton doigt d’honneur tout pourri que j’vois, j’vois ta vrai tronche !

Voilà qui est fait ? Après ça on pourrait dire qu’il pourrait se calmer, mais non ! Keon attrape plusieurs balles et les lance sur le mec. Allé, prends ça ! Pour une fois qu’il peut emmerder un esprit lui aussi, ah, il l’a cherché celui-là ! Seulement la colère de Keon s’envole au fil des balles envoyés, toutes ces couleurs ça l’amuse, il n’a jamais vraiment eut l’occasion de jouer de la sorte en étant enfant et c’est plutôt drôle. Assez drôle pour qu’il finisse par rire faiblement en envoyant encore une balle qui volla à travers la pièce après avoir rebondi sur le crâne du possédé !