Revoir Alessandro après tout ce temps était une bénédiction ; une de celle que l’on chérit à bien des égards surtout lorsque l’on vit des moments troublés. Le vampire qui le connaissait comme personne était semblable à un phare dans les ténèbres ; et même si cet aveu de faiblesse ne faisait pas plaisir à l’intéressé, James était néanmoins prêt à s’accrocher à son frère aussi fort qu’il le pouvait. Peut-être serait-il à même de l’aider à comprendre ce que lui-même peinait à appréhender ; à savoir son incapacité à tuer. Et puis avec Aless, James se pensait en sécurité et à l’abri pour un temps.

Les « fraicheurs » n’étaient plus, mais le trouble de l’anglais demeurait. Dès lors, il ne put s’empêcher de poser des questions tel un enfant avide de savoir. Par chance, son invité n’était pas du genre avare en explications et accepta sans mal d’endosser à nouveau les atours du pédagogue à la grande joie de Lovell qui écouta son compère avec attention. Le froncement de sourcils venait toutefois de trahir son incompréhension quant au fait que des humains soient au courant de leur existence et approuvent sans être forcés, de servir de calice.

— Comme c’est étrange ! L’on m’a fait savoir à plusieurs reprises qu’il était primordial que les humains ignorent tout de notre existence. Et voilà que j’apprends que certains d’entre eux sont au fait de tout ça et qu’en plus ils donnent leur sang de leur plein gré. Quelle bien étrange époque ! Mais, dis-moi, les humains qui peuvent prétendre nous connaître, sont-ils tous voués à être des calices ? Se pourrait-il que nous consentions à révéler notre existence sans leur demander de nous nourrir ?  Au mieux, les questions étaient floues, au pire trop précises pour qu’Alessandro ne cherche pas à comprendre ce qui causait tant de trouble chez James.

— Parfois, il y a du bon à ne plus être un monstre.  L’on pouvait percevoir une légère lassitude dans sa voix et dans ce regard un tantinet fuyant ; du moins plus qu’à l’accoutumée. L’aveu de faiblesse n’est jamais facile à accepter, plus encore lorsque durant des décennies vous avez été sur le toit du monde et que rien ni personne ne pouvait vous arrêter. Cette époque paraissait si lointaine à présent, mais conscient du trouble engendré par son attitude un brin mélancolique, James accepta de se livrer un peu plus ; après tout, Alessandro était sa seule famille et la personne en laquelle il pouvait se fier, si l’on omettait la charmante Eva qui demeurait dans l’ignorance quant à la véritable nature de son amant.

 — Non…  commença-t-il en inclinant légèrement la tête de gauche à droite avant de poursuivre  — Tu n’as pas à te sentir coupable, ni avoir l’impression de m’avoir abandonné. Et loin de moi l’idée de paraître prétentieux, mais je sais, du moins j’ai su me protéger. C’est la faute à pas de chance, dira-t-on ou alors peut-être étais-je trop prévisible en me rendant là où l’on m’attendait. Mais j’en arrive à me dire que peut-être toute cette souffrance n’était pas inutile. Je crois qu’on parle de karma n’est-ce pas ?  Il appréciait grandement l’investissement d’Alessandro et plus encore le fait qu’il mette l’accent sur la fraternité ; voilà longtemps que le Britannique n’avait pas ressenti de tels sentiments.

Et alors que James se perdait à nouveau dans les méandres de ses pensées, Alessandro se leva presque aussitôt attirant de ce fait le regard de son frère. — C’est très théâtral… commença-t-il un brin moqueur avant que le beau ténébreux ne reprenne la parole et offre à son camarade, une surprenante invitation au voyage. — Tu veux quitter cet endroit où cette ville ? Tu n’as jamais eu le sens de la mesure d’où ma question cher aîné. Il songea soudainement à Eva et aux récents évènements. Comment diantre avait-il pu occulter les chasseurs et ce piège dans lequel il était tombé. Sans moi, il est fort à parier qu’elle ne risque rien… Il avala bruyamment sa salive en songeant à nouveau à la belle chirurgienne qui ne quittait que rarement ses pensées, puis il se redressa à son tour.

— Mettons les voiles sans trainer. J’ai beaucoup de choses à rattraper, je compte donc sur toi pour m’aider. Par contre, je n’ai qu’une exigence, pas de bateau. De toi à moi, je n’ai pas de bons souvenirs de ma dernière traversée.

Avec intérêt, James écoutait Alessandro lui narrer tout ce qu’il avait à lui apprendre sur cette modernité qui lui faisait tant défaut. Mais ce qui retenait son attention demeurait ailleurs dans l’explication. De toute évidence, son aîné semblait pourvu d’une certaine appréhension à l’égard des humains ; ce qui rappela à l’anglais le discours tenu par Sarah Miller lorsqu’il s’était rendu pour la toute première fois dans sa boutique. — J’avais cru comprendre que les humains n’étaient pas au fait de notre existence et de celle des autres.  Cependant, il n’avait pas pleinement conscience du danger et pouvait, de ce fait, compter sur Aless pour le mettre en garde et ainsi partager son expérience d’aîné.

 — Je me souviens des traques. Durant un temps, j’ai dû réfréner mes ardeurs et cette appétence immodérée pour la violence. J’ai même failli me faire coincer en Irlande. Je les ai sous-estimés comme bon nombre de nos congénères avant moi. Mais n’ait crainte, je ne prendrais pas de risque inconsidéré avec ces chasseurs.  Néanmoins, il se garda bien de dire à son interlocuteur, qu’était entré dans sa vie, une humaine pour laquelle il était prêt à bien des choses, toutes plus insensées les unes que les autres.  — Ne t’en fais pas, je ne suis plus aussi téméraire et exalté que je l’eusse été jadis. Crois-le ou non, j’ai enfin atteint l’âge de raison. De ce fait, je peux aisément me targuer de faire preuve de sagesse.  Des mots encore, encore des mots pour couvrir une triste réalité dans laquelle James avait perdu de sa superbe et demeurait quasi inoffensif pour le commun des mortels. Sur l’instant, il se sentait honteux d’en être réduit à prétendre avoir atteint l’âge de raison et la sagesse plutôt que d’avouer qu’il était désormais impossible pour lui de faire du mal à quiconque. Par chance, Aless lui proposa une porte de sortie par le biais de cette perspective de voyage ; une alternative qu’il aurait été fou de refuser en de telles circonstances. Et puis Alessandro était ce qui se rapprochait le plus d’une famille pour James, de ce fait il pouvait lui faire aveuglément confiance.

Se laissant gagner par son impulsivité et sans réfléchir, le vampire semblait prêt à mettre les voiles sur l’instant ; et de toute évidence, il n’était pas le seul à en juger par l’attitude de ce cher monsieur Wright qui entraina son disciple à l’extérieur de l’établissement où l’air frais vint aussitôt caresser le visage de James ; qui apprécia la sensation, aussi futile soit-elle. Il reporta ensuite toute son attention sur son interlocuteur qui se laissait lui aussi gagner par la spontanéité.  — La France, rien que ça ? Je doute qu’en un seul week-end nous puissions visiter tout un pays. Contentons-nous de Paris, qu’en dis-tu ?  Il était loin de s’imaginer qu’il prêchait un converti et le propriétaire d’un appartement à Paris qui plus est. — Mais dis-moi, il est donc possible de voyager sans entrave pour nous ? J’ai cru comprendre que les avions étaient plus performants ; assez pour nous préserver du soleil ? Et si admettons, nous partons dès lors, quand arriverons-nous à Paris ?