Les mots de l’ange aussi doux soient-ils, n’apaisaient en rien la façon néfaste que j’avais de me voir comme une âme damnée. Selon Gabriel, j’avais le droit au bonheur et il ne tenait qu’à moi d’en profiter. En même temps, il n’avait pas tort mais il n’était pas évident pour moi de le lui faire comprendre alors je me suis simplement contentée de sourire doucement à ses mots réconfortants.

De toute façon, que pourrais-je ajouter de plus. Il avait raison et c’était moi qui me mettais mes propres barrières mais je crois que je n’étais pas encore prête à accepter de m’ouvrir au bonheur tout simplement. 2000 années pour être prête…. Il faudrait peut-être alors que je songe à en faire part à quelqu’un.

Finalement lorsqu’Eden me demanda que l’on se revoit, je lui souris avec bien plus de sincérité et de naturel que je ne l’aurais pensé. J’accepte sans beaucoup d’hésitation et je me dis que peut-être en acceptant, je m’autorise à être bien en compagnie de quelqu’un et à lui montrer la vraie Ariane que je suis. Alors que je remarque qu’il semble tout aussi content que j’accepte, je me permets de lui proposer une activité que j’affectionne particulièrement mais si pour l’époque actuelle, elle pourrait paraître comme « démodée » : Aller au théâtre.

Je suis ravie de constater que ma proposition l’enchante. Il m’avoue alors avoir un attrait pour les arts. Mon sourire et ma curiosité à son égard n’en sont qu’amplifiées. Je suis vraiment ravie d’avoir fait pareille rencontre alors que ce n’était pas prévu. Certains parleront de destin sans doute mais je préfère rester lucide sur nos conditions. Je reviens rapidement à la conversation en lui répondant :

« Très bien. Je suis une grande amatrice de toutes les formes d’arts. J’imagine que cela nous fait un autre point commun avec celui de vouloir défendre les autres. Sinon, vous n’auriez pas choisi l’enveloppe charnelle d’un agent des forces de l’ordre. »

Je me reprends rapidement parce que je me rends bien compte que je le détaille un peu trop. Il est vrai que je me suis toujours demandé comment étaient les anges en réalités. Mais j’aime à croire que ce corps lui va parfaitement puisqu’ainsi, l’ange est plutôt plaisant à regarder. J’ajoute alors pour changer un peu de sujet que je suis nouvelle venue dans le coin et que je serais ravie de faire des connaissances comme avec lui, le qualifiant au passage d’être unique, ce qu’il est à mes yeux en tout cas. Visiblement je n’avais pas tout à fait tort en disant cela puisqu’il se qualifia lui-même de forte tête et en décalage par rapport à ses frères et sœurs.

Aussitôt mes yeux s’émerveillèrent, il me parlait vraiment de ses frères et sœurs anges. J’aurais voulu lui poser une tonne de questions mais je remarquais alors que nous arrivions devant la maison de mon frère. J’allais devoir le laisser mais je voulais encore prolonger cet instant de quelques minutes. Reportant alors à nouveau mon attention sur Gabriel, je me hasardai à poser une question :

« Et d’ailleurs, il se passera quoi pour vous s’ils apprennent que vous êtes ici sur Terre ? Avec des personnes comme… moi. »

Je me sentais confuse et intruse dans sa vie personnelle, alors instinctivement je baissais les yeux, culpabilisante :

« Je ne voudrais pas que vous soyez réprimandé parce que vous m’avez parlé où que vous avez passé du temps avec moi. Même si je dois vous avouer que ces quelques minutes sont parmi les plus agréables que j’ai passé depuis longtemps. »

Relevant les yeux vers Gabriel, je plongeais alors mon regard dans le sien sans ajouter un mot de plus. En même temps que pourrais-je ajouter alors que je me perds littéralement dans ses yeux bleus…

Il n’a jamais aimé le fait qu’on puisse décider du destin d’une personne à l’avance, de la condamner sans apprendre à la connaitre au moins au minimum. Les néphilims par exemple sont des êtres damnés, car le fruit d’une union entre humain et ange. Les anges sont des êtres purs, ils ne sont pas censés se mélanger aux humains et encore moins enfanter. Cela reviendrait à considérer les humains comme de la vermine impure, n’est-ce pas incohérent ? Ca l’est à ses yeux en tout cas, tout cela est prétentieux, jamais il ne s’est vu comme si important, si haut placé par rapport aux humains. D’ailleurs, trop de vénération a tendance à le mettre mal à l’aise, il préfère amplement que l’on agisse naturellement avec lui. Il en est de même pour les créatures, elles ne sont pas toutes dangereuses, mauvaises, certaines veulent juste vivre leur vie.

Avoir rencontré Ariane l’a conforté dans cette idée, elle n’a pas eu une vie facile et n’a pas demandé à devenir une de ses créatures, si seulement elle pouvait avoir un peu de répit maintenant. Ils ne connaissent pas depuis très longtemps, mais il ne laissera pas quiconque poser les mains sur elle. Tout cela est tellement injuste, cela l’énerve, intérieurement il est furieux d’une telle injustice. Mais il ne peut rien faire, au final ce n’est pas lui qui décide. Il ne fait qu’exécuter les ordres et propager la parole.

Il voulait la revoir, pour apprendre à la connaitre, en savoir davantage sur elle. Il était ravi de voir qu’elle acceptait, qui plus est il était vraiment partant pour aller un théâtre. Il en avait déjà entendu parler, mais n’avait jamais encore pris le temps d’y aller. Il était déjà venu sur Terre, mais généralement il ne restait pas très longtemps. Là, c’était la première fois qu’il vivait vraiment comme un humain et il était curieux et impatient d’essayer un tas de choses.

«Oui, cela facilite les choses pour ce que j’ai à faire».

Il était ravi que l’inspecteur Thomas, le véritable inspecteur accepte qu’il le possède. Quand il repense à la détresse de cet homme, cela le rendait triste un peu, mais il savait qu’il avait fait le bon choix, c’est que lui voulait aussi son hôte. Il était fatigué de la vie, mais s’il pouvait se rendre utile encore, cela serait bien. Un homme au grand coeur, il n’aurait pas pu rêver de meilleur hôte. Il lui parla ensuite de ses frères et soeurs, comme quoi il a tendance à sortir du lot. Cela semblait inquiéter Ariane qui lui demanda ce qui allait se passer s’ils apprenaient pour moi. Il prit un air plus sérieux, échappant un soupir.

«Ne vous inquiètez pas, jamais ils ne pourront me faire du mal, ils ont besoin de moi, surtout en ce moment. De plus, je ne permettrez à personne de vous faire du mal. Il a bien plus urgent en ce moment, ils ne remarqueront très probablement même pas».

Il serra les poings de rage, mais aussi de frustration.

«Tout cela me rend malade, ce n’est pas juste...» Dit-il, détourna le regard, fixant un point imaginaire vers l’horizon.

«Je suis désolé». Dit-il, avec une pointe de tristesse dans la voix.

Il s’excusait plus pour ses frères et soeurs, il voudrait que certaines choses changent, mais cela n’est pas prêt d’être le cas.

Parfois la vie avait le don de nous faire un véritable cadeau et j’avais pour impression que ma rencontre avec Gabriel était un véritable cadeau en cet instant. Un ange qui aimait les arts, qui voulait découvrir le monde et qui voulait protéger les autres. En soit c’était la définition même des anges qui sont des êtres à part et doté d’une grande curiosité. Mais avoir croisé la route de l’archange Gabriel était pour moi une source d’un bonheur immense et d’une satisfaction profonde. J’avais envie de le revoir mais plus fortement, j’avais envie de répondre à ses interrogations sur la vie humaine. Humanité que je côtoyais depuis bien longtemps maintenant. En termes de réponses j’étais une vraie bible pour lui – façon de parler bien entendu.

Je m’émerveillais de l’entendre me parler de sa famille et pourtant en même temps que la joie de découvrir à mon tour quelque chose de nouveau en sa présence, j’avais une certaine appréhension à l’idée qu’on le découvre en ma compagnie. Pour une grande majorité des personnes – humains et êtres surnaturels – les vampires sont des créatures obscures et néfastes qu’il ne faut absolument pas approcher ou même côtoyer. Alors je ne peux m’empêcher de lui poser la question directement.

Si je me permets de lui poser la question, je me sens obligée de me justifier dans la foulée. Je ne voulais pas être responsable de représailles contre lui et je ne voulais pas l'entraîner dans la déchéance des anges à cause du fait qu’il me fréquente. Et cela même si sa présence à mes côtés me procure un bien et une sérénité que je n’ai connue qu’en de rares instants dans ma vie, qu'elle soit humaine ou vampire.

Gabriel se veut rassurant avec moi. Il affirme que ses frères et sœurs ne lui feront rien et il ajoute même qu’il ne laissera personne s’en prendre à moi. Sa remarque me fait sourire de gêne. Il est tellement gentil avec moi et je perçois tant de sincérité dans ses paroles que j’en suis tout de suite très touchée.

Je voulais lui répondre et le remercier de ses paroles par la même occasion mais il poursuivit et je n’osais pas l’interrompre. Il semblait en colère contre ses semblables. Je cru alors comprendre que c’était ma peur – qui pour lui n’était pas nécessaire – qui le mettait en colère. Et puis il s’excusa.

Quittant ma valise des mains, je m’avançais doucement vers Gabriel qui semblait tellement soucieux et triste. Il regardait un point dans le vide mais j’osais alors poser mes doigts sur sa joue pour lui faire relever la tête vers moi et pouvoir le regarder :

« Vous n’avez pas à vous excuser de tout cela. Ce n’est pas votre faute. Au contraire, vous êtes tellement gentil avec moi que j’en oublie votre nature. »

Je retire doucement ma main mais je garde un contact visuel qui semble de plus en plus fort. Comme si nos yeux étaient aimantés l’un à l’autre.

« Ne le prenez pas mal mais passer outre le fait que vous êtes une créature divine, je vous trouve tellement gentil et attentionné envers ma personne que je préfère voir en vous plus loin que l’ange, je préfère voir la personne que vous êtes. »

Je reste alors quelques secondes supplémentaires auprès de Gabriel avant de finalement rompre le contact peut-être par gêne de ce que je viens de lui avouer. Je regarde alors la maison de mon frère et ajoute :

« Bon ben je crois que je suis arrivée chez mon frère… »

Je retrouve doucement le regard de Gabriel et je ne peux m’empêcher de rajouter à demi-mots, telle une confession :

« … le trajet fut plus rapide que je ne l’aurais cru. J’apprécie beaucoup votre compagnie. »

Cela lui faisait extrêmement de bien de parler à quelqu’un ainsi librement, partager une simple conversation avec une personne qui connaît sa véritable nature. Il sentait vraiment heureux d’avoir pu croiser la route d’Ariane, ce sont des personnes comme elle qui le conforte dans son idée que toutes les créatures ne sont pas néfastes. Il faut qu’il trouve un moyen de convaincre les siens, il aimerait, mais il faudrait plus que de simples mots sinon on finirait vite par le traiter d’hérétique, certains ne s’en gêne pas d’ailleurs déjà... Les anges ont été crée ainsi, ce sont de parfaits soldats, obéissant aux ordres, mais ils ressentent des choses.

Cela fait plusieurs fois qu’il se rend sur Terre, fasciné par les humains et c’est ainsi qu’il a appris en observant, apprit à exprimer ses sentiments, ce qu’il y a au plus profond de lui. Cela lui a permis aussi d’enfin penser par lui-même et se faire ses propres opinions, tout comme aussi de faire ses propres choix. D’autres anges sont eux aussi passés par là, mais il reste toujours des différences d’opinions au sujets des humains, des créatures, des néphilims.... Ce sont des points sensibles, certains n’osent même pas émettre d’opinion sur le sujet de peur de subir le courroux des autres.

Il sait qu’il faudra donc temps donc et de réelles preuves pour espérer que cela change, en attendant il ne peut que s’excuser, car il trouve cela révoltant au fond de lui. Pourtant, il sait que la colère est un élément néfaste, c’est un péché capital, il ne faut pas y céder. La plupart du temps donc il se contient, il garde pour lui ses frustrations, alors là avec Ariane, cela fait du bien d’en parler. Il tressaute très légèrement lorsqu’elle pose sa main sur sa joue pour lui faire relever la tête. Il plonge son regard dans le sien, il n’a pas l’habitude des contacts physique, alors cela le déstabilise un peu, il en reste figé et un peu tendue sûrement.

«Vous avez raison, mais je me sens quand même un peu responsable. Quoi qu’il en soit, cela m’a fait du bien d’en parler avec vous».

Elle enlève sa main, mais ils ne quittent pas du regard, il y a quelque chose de magnétique lorsqu’il la regarde, c’est étrange, mais il a l’impression qu’elle le comprend comme rares sont les personnes à le faire, comme une sensation de proximité, pourtant ils ne connaissent à peine. La personne qu’il est... Cela le laissa songeur.

«Merci... Vos paroles me touchent beaucoup. Moi aussi, j'apprécie beaucoup votre personne» Dit-il, affichant un sourire, vraiment touché par ses mots.

Ils arrivèrent finalement devant chez son frère et ils durent fatalement se quitter, mais il n’était pas triste, il avait passé un excellent moment. Il ne voulait pas forcer les choses, s’il elle choisissait de ne pas le revoir, il comprendrait, bien qu’il serait un peu déçu c’est sûr.

«Si jamais vous avez besoin de moi, il vous suffira de m’appeler en priant. J’ai apprécié aussi le temps en votre compagnie, ce serait un plaisir d’apprendre à davantage vous connaitre. Mais je ne vous oblige en rien... Sur ceux je vous souhaite une bonne soirée». Il lui offrit un sourire bienveillant et s’en alla.