Mettre de la distance et dans un rêve, ne plus jamais revenir…

Je ne me fais cependant pas d’illusions, pour la forme, pour les apparences, Karl va sans nul doute remuer ciel et terre pour me retrouver. Si je l’avais voulu, j’aurai pu réellement disparaitre, je suis assez malin pour ça. J’aurai pu prendre le train, l’avion, j’aurai pu partir très loin. Mais je n’ai pas l’intention de quitter Los Angeles, même s’il y a beaucoup à redire, le peu de choses auxquelles je tiens se trouvent dans cette ville. Seulement… Je viens de perdre l’être le plus cher à mon cœur : ma mère… Ma mère vient de mourir. Et je suis obligé de vivre avec celui qui l’a poussé à mettre fin à ses jours. J’ai besoin de respirer.

Il se passera sans nul doute plusieurs heures avant que Karl s’apperçoive de mon absence, on peut dire qu’on ne passe pas beaucoup de temps ensemble lui et moi. Je reste cloitré dans ma chambre, non pas à me morfondre, mais je n’ai pas envie de la voir, est-ce un crime ? Parfois j’ai l’impression que l’on me regarde comme un gamin capricieux. C’est vrai, y’a plus malheureux, mais ça ne rend pas mes problèmes plus petits…

Je dépensais une partie de mon argent de poche dans un ticket de bus pour changer de quartier sans prévoir de billet de retour, je ne doute pas que celui-ci se fera en voiture avec un père qui tire une gueule de dix pieds de long ! L’autre part de mon argent parti dans l’acquisition d’une nouvelle paire d’écouteur et d’un hot-dog. Il me reste encore quelques dollars en poche, mais je pense bien profiter de cette journée pour me vider la tête.

Malgré la musique qui se joue contre mes tympans, j’étais attentif aux alentours et l’énergumène qui suit ne pouvait pas échapper à mon regard.

Je suppose qu’il attend le bus, mais il a l’air en plein conversation avec le vide, je comprend à son aura que c’est un surnaturel même si je ne saurais encore dire quoi exactement. Un médium je présume, je n’en ait jamais réellement rencontré avant.

- Salut…

Lançais-je en venant m’asseoir à côté de lui, faisant mine de regarder en direction de ce que lui semble voir avant d’observer le brun excentrique. Difficile de savoir s’il est défoncé, probablement, il a une de ses allures, ça me change des culs-bénis de l’académie.

- J’ai… Douze dollars. Tu ferais quoi avec douze dollars ? Tiens et si on lui demandait son avis ?

J’appuyais ma question avec un geste du menton en direction de l’invisible. J’esquisse un sourire, le premier de la journée, peut-être bien de la semaine…

- Ça a l’air de rien, mais j’ai que quinze ans j’te signale, eh non j'ai pas onze ans je sais que j'ai l'air plus jeune... Bref... J’te les donne si tu m’rend un p’tit service qui ne devrait pas être grand chose pour toi... Alors ?

Ça fait du bien de se sentir un peu libre, de s’éloigner de tous ceux qui m’ont blessé, qui prétendent vouloir m’aider. Si je ne pouvais rien éprouver, ça les arrangerait bien. Mais je ne suis pas 100% Fitzgerald, oui, moi j’ai un cœur…

Ce type là me change des gueules d’enterrements à la “maison”. Et puis, je le vois parler tout seul depuis tout à l’heure, faut pas être un génie pour deviner qu’il est médium. Ou un fou, mais je pense que les médium ont tous un petit grain…

Je souris face à sa réponse et suivit l’étrange type jusqu’au bar Irlandais, probablement va-t-il y claquer mes douze dollars, le vieux n’est pas loquace apparemment. J’imagine que tous les esprits sont vieux, mais celui-ci doit avoir l’allure d’un vieillard. Drôle de vie tout de même que d’être parmi les morts, ça doit pas être simples tous les jours. Ce mec me fait relativiser sur ma vie merdique, sur ma peine d’avoir perdu ma mère.

- Non je ne le vois pas, mais il a l’air charmant et de bonne conversation. Allons écouter quelques blagues alors...

Même si je ne les entendrait pas, l’inconnu est dans son monde, je l’envie un peu. Ouais ; il sent la drogue, pourquoi pas… Il n’a pas l’air plus malheureux qu’un autre.

On entre dans le bar, on ne peut pas dire que ça sent la rose par ici, mais je m’y accommode fort bien. Les lieux ont une ambiance à part, on se croit presque dans un autre pays, pile ce dont j’ai besoin finalement. Je le suis, il a l’air de savoir à quelle table se rendre, autant continuer à lui faire confiance. Il n’a pas l’air franchement méchant.

À le regarder gesticuler, je dois admettre que ça panse un peu ma peine.

- J’m’appelle Tyler, tiens prends c’que tu veux…

Je lui laisse mes douze dollars et des cacahuètes. Qu’est-ce que j’en ai à faire de cet argent de toute manière ? Ça ne vaut rien, comme tout l’reste… Je tourne la tête pour observer le barman qui me regarde du coin de l’oeil, à moins que ce soit le médium qu’il fixe comme ça.

- C’est ton pote le barman ?

Lâchais-je, plutot enclin à m’en prendre à quiconque me regarde de travers, parce que ça fait toujours un bien fou de se défouler sur quelqu’un d’autre. C’est comme ça, la nature humaine. Etre humilié par un gamin qui à l’air de faire onze ans, c’est toujours lourd à supporter, et j’excelle dans cet art. L’art de la colère.