« Tout le monde a besoin de tout le monde »

Malgré ce que l'on pourrait espérer, la vie ne fut jamais faite que de bonnes rencontres. Nombreuses sont les personnes à avoir été profondément marquées par l'une d'entre elles, ou, pire, n'y avait pas survécu. Nombreux sont ceux à espérer ne jamais en faire, ou à prier pour que leurs proches n'en fassent jamais. Malheureusement, n'en déplaise à certains, ce sont les mauvaises choses qui nous forgent, nous rendent plus fort, nous rendent meilleurs et parfois même, plus touché par la sagesse. Peut-être que son âge avancé lui permettait d'avoir un certain recul, ou peut-être encore qu'avoir élargi sa pensée à travers ses innombrables voyages, en particulier en Asie, mais, Adam, comme il se plaisait à se faire appeler était certain que chaque mauvaise chose, il y avait du bon et réciproquement. Que serait une vie qui ne recèlerait que de bonnes choses ? Si ce n'était un rêve ? Qu'arriverait-il, le jour où quelque chose de mal se passerait ? Comment pourrait-on réagir, s'adapter à une mauvaise passe si notre esprit refusait d'admettre qu'une telle chose pouvait exister ?

Au cours de sa longue existence, Aldo, en avait vu passer des mauvaises rencontres. Certains même, qui auraient pu lui coûter la vie. Malgré sa nature passablement supérieure à l'humanité, qui l'avait longtemps rendu orgueilleux, le jeune dragon put avoir l'occasion de voir de ses propres yeux l'ingéniosité des Hommes et de leur débrouillardise, suffisamment pour avoir peur de la mort, face à des êtres qu'il croyait inférieurs. Après tout, n'étaient-ils pas responsables de la mort d'un nombre vertigineux de ses congénères ? N'était-ce pas à cause d'eux que sa race avait dû se résoudre à adopter cette forme ? Oui, malgré cet intérêt pour leurs histoires, leurs cultures et leur savoir, notre ami se sentait supérieur, bien au-dessus d'eux. Il ne fallut qu'une seule de ses mauvaises rencontres pour le ramener là où il se devait d'être, là où ses parents avaient toujours tenté de le placer. Cette peur de la mort, cette peur, tout court, lui avait apporté la raison et avait fait de lui un être meilleur, plus sage, plus ouvert. Cela pouvait sembler étrange pour quiconque n'ayant vécu pareille illumination, mais, quelque part, le vénitien remerciait le Ciel de l'avoir mis dans pareille situation. Les années avaient fini par lui offrir une certaine fierté, une immense fierté. Pas d'être devenu celui qu'il était, mais, d'avoir été capable de devenir celui que sa mère pouvait espérer qu'il devienne.

Peu lui importaient les joies, les tristesses, les victoires, les découvertes ou quoi que ce soit d'autre. La fierté de sa mère semblait ne pas avoir d'égal dans son cœur. Pourtant, sa chère mère avait toujours été fière de son enfant, ne le devenant que plus encore au cours des siècles. Bien qu'étant voué à devenir un grand bretteur, chose qu'il fit, son garçon devint aussi un lettré, un érudit même, ce qui lui fit le plus grand plaisir. Certes, certaines situations nécessitaient l'usage de la force brute, mais, le savoir capable de désamorcer de nombreux conflits, tel Ogmios le dieu irlandais,  en usant seulement son verbe était gratifiant. De son côté, son paternel, lui, était fier de le savoir capable de se mesurer à l'écrasante majorité de ses ennemis, chose qu'il prouva au cours de sa vie. Quelle joie, que de savoir ses deux parents fiers. Quelle joie. Rares devaient être celles et ceux à pouvoir se targuer d'une telle chose, n'est-ce pas ? Du moins, c'est ce que notre ami pensait avec fermeté.

Au cours de sa longue vie, il y avait un événement qui, selon lui, pouvait fort bien montrer cette dualité entre le bon et le mauvais. Qui montrait aussi une certaine chance, mais aussi, une certaine maîtrise en certaines compétences, tout comme son orgueil qui, malheureusement, était toujours présent. C'était une belle soirée de printemps, le soleil commençait doucement à se coucher, laissant la charmante ville de Los Angeles dans une légère pénombre, ne promettant rien d'autre qu'un peu plus de fraîcheur, pour le plus grand plaisir du dragon. Resté tard dans l'établissement où il travaillait pour finir la préparation de cours et de corriger certains devoirs, Adam se retrouva bien seul en sortant de l'université, si ce n'était la présence du gardien qu'il salua amicalement, comme à son habitude. S'étirant doucement, une fois dehors, encore légèrement engourdi par ses longues heures passées assis, notre ami s'avança doucement en direction de son appartement, ne faisant guère attention au petit groupe qui semblait l'avoir pris en filature.
Arrivé dans un endroit un peu plus calme, bien à l’abri des regards indiscrets, l'un des membres du fameux groupe s'avança vers lui pour l'accoster, couteau à la main, lui ordonnant de vider ses poches,  rajoutant que, peut-être, aucun mal ne lui sera fait. Se retournant dans un long soupir, le dragon put apercevoir les six autres membres du groupe se placer autour de lui, espérant lui couper une quelconque voie de repli. Il était vrai que le multicentenaire pouvait se méfier des humains, en particulier des chasseurs, mais face à de la petite racaille comme celle face à lui, les craintes n'avaient que peu de raison d'exister. Déboutonnant les deux boutons de la veste de son costume, afin de ne pas l’abîmer en cas de mouvement brusque, Adam afficha un sourire chaleureux à celui qui l'avait abordé. « Je crains fort de devoir refuser votre proposition, messieurs. J'ai cependant une offre à vous faire, une similaire à la vôtre. Laissez-moi ce que vos poches recèlent et vous pourrez rentrer en un seul morceau, qu'en dites-vous ? » La seule réponse à cette offre, pourtant alléchante, fut un grand rire. Haussant les épaules ainsi que les mains, le professeur laissa s'échapper un nouveau soupir. « Bien, dans ce cas … Je me dois de vous enseigner un petit quelque chose. Le nombre est inutile si votre force individuelle est inexistante. » Voyant des sourcils se froncer, le faux irlandais dût se montrer plus explicite. « Ce que j'essaie de transmettre à vos esprits primitifs c'est que, si vous êtes effrayé d'affronter quelqu'un, seul, venir en nombre ne sera pas toujours la bonne solution et … » L'un d'eux, passablement ennuyé par cette leçon jugée interminable tenta de l'attaquer dans le dos. Sans se retourner, l'enseignant monta le genou avant de se pencher légèrement vers l'avant pour venir balancer violemment sa jambe vers l'arrière, venant frapper, du talon, le menton de son assaillant, le mettant hors d'état sur le coup. « Voyez, que se passerait-il si quelqu'un se montrait sans peur, face à votre nombre ? Cela n’insufflerait que la peur parmi vous qui, confortablement installés dans votre orgueil crasseux, ne serez pas capables de riposter. »

Un nouveau soupir, avant de se retourner, frappant avec célérité la trachée d'un des hommes, main ouverte, avant de lui attraper la nuque pour attirer son visage vers un genou montant avec puissance en pleine face, brisant nez et dents dans un craquement difficilement supportable pour ses congénères, le tout accompagné par un horrible hurlement de douleur. Voyant la chose et paniqué, l'homme au couteau se rua vers le solitaire qui, de son côté, n'ayant pas encore lâché sa proie, se saisit du bras de sa victime, pour venir faire de cet avant-bras un bouclier parfaitement adapté à la situation, bien que peu réutilisable. Un nouveau hurlement et la main du blondinet vint se saisir du poignet armé, tandis que l'autre, lâchant l'homme blessé, vint se resserrer en un poing solide. Son bras recula, avant de partir en direction de la tempe de ce dernier, le frappant à plusieurs reprises, dans une certaine effusion de sang, tandis que sa volonté ne s'envolait petit à petit. Bien vite, il y eut un nouvel homme courageux, tandis que les trois autres semblaient pétrifiés. Un boxeur, à en croire sa posture, semblant fier et hautain de ses compétences. Bien qu'assez peu habitué à une pareille forme de combat, Adam mima sa garde, espérant faire passer un message. Il y eut un direct et, le dragon passa dessous avec aisance, remontant avec cruauté en un uppercut violent qui brisa la mâchoire de sa cible.

La peur semblait déjà bien présente chez les survivants, mais, du coin de l’œil, notre homme remarqua une silhouette pas tout à fait inconnue, proche d'eux, semblant prête à en découdre. Dame Angelika, gérante d'un bien bel établissement où notre ami avait l'habitude de se rendre, en partie grâce, ou à cause d'elle. Il y avait quelque chose chez elle qui l'intriguait et, ce quelque chose, le dragon ancestral n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Pourtant, ce n'était pas uniquement dû à sa beauté. Car oui, belle, elle l'était, à s'en damner. Voyez-vous, le dragon avait énormément voyagé au cours de sa longue vie, des femmes incroyablement belles, ce dernier en avait croisé. Certaines avaient inspiré de légendes, des chansons, des romans et même, certaines, étaient la cause de guerres. Pourtant, cette femme-là, il n'y avait probablement qu'une pincée de ses connaissances capables de rivaliser sur ce plan. Comme si cela ne suffisait pas, la voir avancer, sans crainte vers le danger le laissa rêveur, un instant, suffisamment pour que l'empalé retire son couteau pour venir attaquer son bourreau, tentant de la planter dans le bas du dos, abîmant son costume neuf, mais se retrouvant bien vite confronté à quelque chose de suffisamment solide pour empêcher la lame de s'enfoncer : sa peau. Se retournant alors, une grande colère dans le regard, Adam pesta contre l'état de son haut avant de l'amener à terre et continuer à le frapper en plein visage, déjà bien amoché, jusqu'à ce que la douleur suffise pour que sa conscience ne s'évapore.

Une fois son adversaire complètement hors d'état, Adam se releva pour constater que la belle avait elle aussi fini de son côté, chose qui lui permis de présenter une moue tant surprise qu'impressionnée. « Eh bien, si je m'attendais à ça. Vos talents semblent pouvoir rivaliser avec votre beauté ... » Un petit froncement de sourcil. « Si tant est que vos charmes puissent avoir un quelconque égal dans ce monde. » Un léger sourire avant de poser sa main sur son cœur et s'incline doucement vers l'avant. « Je vous remercie de votre aide, vous mettre en danger pour me secourir … Voilà quelque chose que je n'oublierai jamais, soyez-en sûre. Si d'aventure vous me demandez de traverser les enfers pour vous venir en aide, sachez que je le ferai sans sourciller. J'ose espérer qu'ils ne vous ont pas blessés.» Bien entendu, Adam n'avait pas vraiment besoin d'aide, mais, le fait de la voir se jeter ainsi vers un potentiel risque de blessures et de mort avait de quoi réchauffer le cœur. Cœur qui devait être particulièrement grand chez cette femme. Finissant par lever son index comme s'il venait de se rappeler de quelque chose. « Oh, j'allais oublier, nous avions un accord avec ces … Gougnafiers. Une histoire d'argent. » Un petit rire avant de se pencher vers le plus proche d'entre eux. Avant même de fouiller leur portefeuille, le dragon prit un de leur téléphone pour appeler les secours, certains d'entre eux étaient dans un état qui demandait cruellement de l'aide. Une fois raccroché, le professeur se mit en quête des billets présents dans chacune de leur poche, probablement les récoltes de leurs précédents larcins. Une fois relevé, notre ami agita doucement son trésor devant la quarantenaire. « Pour vous remercier de votre geste et, par souci d'équité, j'ai une proposition à vous faire. » Un doux sourire en coin. « Que diriez-vous de dîner avec moi ? Nous avons là de quoi largement payer un bon restaurant, nous n'aurons qu'à partager le reste, équitablement, cela va de soi. » Un petit rire doux et chaleureux. « Avant que vous ne me donniez votre réponse, il me faut être franc avec vous ... » Une profonde respiration. « Voyez-vous, depuis que je suis venu dans votre établissement, vous n'avez cessé de me fasciner ... » Fronçant doucement les sourcils en plissant les yeux, Adam repris doucement. « Pas d'une manière étrange et lugubre, bien entendu. Mais vous êtes … Enfin, vous êtes suffisamment belle pour subjuguer bien des esprits et cela, je suis certain que vous êtes consciente de cela, mais … Il y a quelque chose de plus. Quelque chose dont je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. » Un grand soupir. « Cela m'a toujours intrigué, je n'ai jamais osé vous déranger, ou même invité, dans votre établissement. Non pas par timidité, mais par respect et bienséance. Je gage que dans votre situation, vous devez déjà recevoir bien des propositions ennuyeuses. Sachez cependant que, malgré ces aveux, je n'ai nulle intention mal placée, j'aimerais seulement apprendre à vous connaître, en dehors de cette relation de clientèle et, bien entendu, vous prouver ma gratitude. Bien entendu, vous l'aurez remarqué, j'ai une certaine tendance à … Trop parler, je m'en excuse d'avance. »