La discussion avec Lyanna avait été courtoise nous connaissons. Nous aurions pu faire pire et nous aurions pu faire mieux. Au final, j’avais accepté d’aller chercher celui que je considérais comme mon meilleur ami. Il souffrait et il avait besoin de moi. Je le savais, car il était comme un membre de ma famille. La famille dépassant le sang. Une famille de coeur. J’avais accepté Karl comme partenaire. Une première depuis que j’avais perdu mon familier il y a seize ans. J’avais cependant peur de lui révéler toute cette histoire et ma souffrance. Il en avait déjà assez à gérer avec Lyanna. La dame n’était clairement pas de tout repos de toute façon.

J’avais donc laissé mon look de motard dans ma garde-robe pour enfiler un t-shirt noir sobre avec un jeans et une veste. J’avais préparé un petit sac de voyage et ma veste de cuir sobre. J’avais même demandé à Amarante son jet privé pour me rendre plus rapidement là-bas. Je sentais que j’allais devoir y aller doucement avec mon pote, car sinon, il risquait de se braquer et ne plus revenir. Je ne lui disais pas que je venais le voir. J’avais gardé cette information pour moi. Karl ne pourrait pas me fermer la porte au nez en me gueulant de partir. J’étais bien trop têtu pour ça.

Je devais donc me rendre en Irlande. C’était qui l’imbécile qui avait décidé que l’Irlande était une putain de destination de choix hein ? J’avais dormi durant le vol avant de descendre une fois l’appareil. J’allais devoir rester au moins quarante-huit heures, car la température était mauvaise. Il mouillait sans bon sens et je soupirais en entrant dans le petit aéroport. Je passais la douane sans le moindre souci. Les gens semblaient curieux de voir un type avec la double nationalité mexicaine et américaine débarquer ici. Je louais une voiture avant d’entrer l’adresse de l’auberge dans le GPS.

Je roulais sous ce temps de merde avant d’arriver à l’endroit. C’était triste et je levais les yeux au ciel avant d’envoyer un message à Lyanna pour lui dire que j’étais sur place et que je lui reparlerai lorsque j’aurai le temps. Je supprimais la conversation avant de fermer mon téléphone et le foutre dans ma poche de jeans. Il était près de 20h00 et il faisait noir comme chez le loup. J’entrais et j’allais directement au comptoir pour me prendre une chambre. Je demandais celle de Karl. Facile, il était le seul client ici en dehors de moi. Je montais à l’étage en faisant craquer le bois. Ma chambre était à côté en face de la sienne à ma demande. La décoration était absolument dégueulasse. Il ne manquait plus qu’un cadre avec un chat c’était le summum du truc kitch! Je posais mes trucs, je retirais ma veste mouillée et j’allais cogner à la porte de mon pote. Lorsque la porte s’ouvrait, je le regardais directement dans les yeux.

- Y’a plus de serviettes dans ma chambre. Je suis légèrement humide à cause d’un putain de temps de cul, car mon pote a décidé de s’isoler dans un trou perdu au milieu d’un climat complètement merdique. Tu n’aurais pas une serviette en stock à me prêter ?

Effet de surprise à Draven: Un.

Il pleuvait encore, mais l’on finit par s’y faire. Les éclaircies sont rares ici, c’est ce qui les rend d’autant plus appréciable. Et même si la chaleur californienne lui faisait défaut, Karl n’en demeurait pas moins à l’aise avec le climat. Les gènes d’Arthur prenaient-ils le dessus ? Un constat qui titillait légèrement la curiosité de Karl malgré la colère. Peut-être pourrait-il se servir de ce périple en terres irlandaises pour en apprendre un peu plus sur son père et ses racines britanniques. Au moins il pourrait se servir de ce prétexte pour se vider la tête et ne plus penser à toutes les conneries de Lyanna et à cet ignoble sentiment de trahison qu’il n’avait de cesse de ressentir lorsqu’il venait à penser à sa « chère » fiancée. Comment avait-elle pu oser ? Il ferma les yeux un court instant pour tâcher d’amoindrir et la souffrance et la colère qui l’animaient depuis son arrivée. Puis il quitta la pension où il logeait, pour s’en aller marcher sur la plage. Il se fichait bien de la pluie et se laissait bercer par le vent qui venait malicieusement lui caresser le visage. Puis il entreprit l’ascension de l’imposante falaise qui offrait une vue sans pareille sur l’horizon.

De là-haut, le vent soufflait un peu plus fort, mais pas assez pour être emporté. Karl observait cet univers qu’il surplombait comme si c’était le sien. Jamais encore il n’avait connu pareil sentiment de liberté. Cependant, il se sentait encore et toujours incomplet en l’absence de Lyanna. « - Putain… » souffla-t-il en se frottant le visage. Sa barbe de trois jours, rendait le toucher rugueux, mais pas désagréable pour autant, assez pour réitérer l’expérience et prendre en main sa mâchoire. Puis il observa les goélands s’envoler non sans difficultés à cause du vent. Le spectacle était sublime, autant que les quelques couleurs qui se mêlaient au gris du ciel. Karl prit alors place sur l’un des bancs à disposition avant que la pluie ne l’humidifie totalement. Ainsi, il resta planté là durant de longues minutes avant de se décider à descendre de sa montagne pour aller faire un petit tour dans les environs. Une entreprise mise à mal par de multiples averses qui l’obligèrent à rentrer en catimini dans la charmante auberge qu’il louait le temps de son séjour.

La tenancière fut surprise de le voir débarquer ruisselant d’eau. « - Je crois que j’ai été trop optimiste. » Lâcha-t-il arborant un léger sourire. Il monta ensuite se changer, prenant grand soin de mettre ses affaires à sécher, puis il retrouva la tenancière et les très rares âmes qui erraient dans ce qui faisaient office de salle à manger. On lui servit une bonne soupe, un verre de brandy, du pain. Un repas spartiate pour ce soir, mais il savait qu’il aurait malgré tout un délicieux dessert fait maison. Son repas avalé, l’ancien régent regagna sa chambre pour se replonger dans la lecture d’un roman. Il s’installa donc dans son lit, souffla longuement avant de prendre en main son ouvrage et à peine avait-il commencé à lire la première ligne, que l’on vint toquer à sa porte.

« - J’arrive ! » fit-il entendre en traînant son corps hors de son lit. Il en profita pour déposer sur la table de chevet, l’ouvrage qu’il lierait plus tard, puis il s’approcha de la porte avant de l’ouvrir. Quelle ne fut pas sa surprise en faisant face à son équipier qu’il aurait été ravi de voir dans d’autres circonstances. « - Si j’ai décidé de m’isoler c’était pour être tranquille. » Et sans rien ajouter, le sorcier referma sa porte. Il n’avait pas envie de parler ce soir, encore moins à Shawn qui n’était pas là sans raison.

Je me doutais fortement que Karl n’aurait pas envie de me parler. J’avais tenté de jouer la carte de l’humour dans cet endroit dégueulasse ! Mais quelle idée de se rendre dans un putain de patelin isolé et terne comme l’Irlande ? Il ne pouvait pas choisir un endroit que je connaissais comme l’Amérique latine ou du sud ? Les Caraïbes étaient sympas aussi pour se changer les idées. Enfin bref, j’étais allé cogner à sa porte pour me prendre un vent des plus majestueux. Je haussais un sourcil avant de siffler alors qu’il venait de me fermer la porte au nez.

- Je suis content de te voir aussi.

Bien évidemment, j’étais plus tenace que ça. J’allais lui coller au cul comme une mouche à merde. Qu’il me frappe à un moment s’il en avait envie. J’étais là pour le soutenir dans toute cette merde surtout après ce que je savais. Je l’avais su par erreur et non parce que j’avais envie de le savoir ! Je retournais donc dans ma chambre et je décidais de m’allumer une clope en regardant la pluie tomber. Je regardais mon cellulaire et j’envoyais un message à Lyanna pour simplement l’aviser que j’avais amorcé le contact, mais c’était loin d’être gagné. Je rangeais finalement mon téléphone avant de regarder la décoration de la chambre. C’était un portrait de chat dans un cadre ? C’était plus grave que ce que je pouvais croire.

J’avais deux options qui s’offraient à moi. Je m’assoyais au pied du lit en réfléchissant. J’avais envie de lui casser les couilles, mais à un niveau. Je me mettais à rigoler tout seul avec ma clope dans le bec et je retirais mes chaussures. J’allais bien m’amuser cette nuit. Karl allait disjoncter et je risquais de morfler, mais c’était un risque à prendre. Je sortais de ma chambre et je lançais un sort pour isoler le bruit dans cette zone. Je ne voulais pas déranger les autres personnes qui risquaient de dormir. J’entrais donc dans ma chambre le temps de patienter. Après une heure, j’allais à la porte de Karl et je cognais tout en parlant assez fort.

- Bon ! Tu n’as peut-être pas envie de discuter, mais moi, je me suis ennuyé de ta charmante présence. Pourquoi l’Irlande ? Les Caraïbes et les bikinis tu n’en avais pas envie ? Un petit cul de Brésilienne dans un string sur la plage en monokini c’est toujours plus sympa que de regarder des moutons!

Je retournais ensuite dans ma chambre. Je me foutais de ne pas dormir. La seconde fois, je retournais cogner comme le gros lourd que j’étais et je parlais assez fort de mon vol de merde et du manque de bouffe de qualité dans les avions. La troisième heure, je chantais devant sa porte en m’appuyant dos au mur et finalement, la quatrième heure, je mettais de la musique de mariachis de mauvais goût. J’allais me faire tuer. Je restais dos contre le mur à côté de sa porte et je fumais tranquille. Finalement, j’avais un don pour obliger les gens à discuter avec moi ou me tuer… Ça dépendait de la situation au final.  

Le peu de bonne humeur qui l’habitait encore déserta son esprit lorsqu’il ouvrit la porte pour prendre connaissance de l’identité de son visiteur. S’il appréciait Shawn, il était certainement la dernière personne qu’il voulait voir. Bien sûr, il n’avait caché à personne sa destination et de ce fait il était fort probable qu’une connaissance s’amène jusqu’ici pour venir aux nouvelles. Toutefois, Karl aurait préféré qu’il s’agisse de son père qui pouvait aisément prétendre le connaître comme personne. Sauf qu’Arthur ne pouvait, aux vues de ses responsabilités de régent et de père d’un nourrisson, quitter l’Amérique pour le vieux continent. Et Lyanna malgré sa propension à la connerie (en ce moment), demeurait assez intelligente pour ne pas se risquer à venir jusqu’ici. Ils avaient donc envoyé Shawn. Mais pourquoi ? Dans quel but ? Car aux dernières nouvelles, Karl n’avait nullement l’intention de rester ad vidam aeternam ici.

En refermant la porte, l’ancien régent de Red House fut pris d’un doute. Quelque chose de grave s’était-il passé pour que Draven en soit réduit à venir jusqu’ici ? Mâchoires serrées, le sorcier luttait à présent pour ne pas céder à la tentation de la curiosité. Pour se faire, il reporta son attention sur la fenêtre et se mit à observer la trainée d’eau se répandant sur le verre. Dehors, une fois n’est pas coutume, les éléments se déchainaient, rendant toute sortie quasi impossible sauf pour les admirateurs de gros rouleaux et de sensations fortes. « Et pourquoi pas ? » songea-t-il l’espace d’un court instant.

Il savait pertinemment que Shawn n’allait pas le lâcher tant qu’il ne lui aurait pas décroché un mot. De ce fait, la tentation de mettre les voiles était forte, trop pour résister. Mais pour avoir la paix et tromper son équipier, le sorcier devait faire montre d’ingéniosité pour ne pas se faire repérer. Il attendit quelques minutes avant de s’approcher de sa porte et de fixer l’extérieur, par le biais du Judas. Rien n’était à signaler de prime abord, mais comme le sorcier était du genre méfiant, il jeta un sortilège sur cette même porte pour la rendre transparente ; permettant ainsi à l’observateur d’épier sans être épié. De toute évidence, l’ami Draven venait de retrouver sa chambre. « — Mais qu’est-ce qu’il fout encore ? » Avec précaution malgré tout, le fils d’Arthur et Peny fit le mur et quitta l’étage sans se faire repérer. Rapidement, il regagna l’extérieur, pas ébranlé pour un sou par la fureur des éléments. « — Qu’est-ce que je suis en train de faire ? » Planche sous le bras, il quitta la pension loin de se douter que son équipier avait prévu tout un programme pour les lui briser.

Éclairé par un léger sortilège qui lui permettait de se mouvoir sans difficulté malgré la faible luminosité, le sorcier rouge s’en alla retrouver la plage quasi déserte. Mais de toute évidence à en juger par la présence de quelques audacieux, il n’était pas le seul à avoir dégainé la planche de surf pour braver les éléments. Aussitôt, il mit un terme à son sortilège, les surfeurs ayant sorti tout le matos pour gentiment éclairer la plage. Puis il se joignit aux quelques personnes en présentiel, fit leur connaissance et s’octroya plusieurs heures d’amusement, loin du tumulte infernal de sa vie chaotique. Puis éreinté par l’effort, il revint sur ses pas et s’en alla retrouver la pension, mais plus encore son équipier. Il s’attendait à le retrouver devant sa porte, au lieu de ça, lorsqu’il s’approcha, il entendit une musique de bien piètre qualité semblable aux sérénades de chez Ô Tacos. « — Ok je vois le genre ! » Il s’en alla donc tambouriner contre la porte de son équipier, puis se décala en l’entendant arriver. La porte s’ouvrit alors sur ce cher et « charmant » Shawn Draven.

« — Je suppose que les mariachis, c’est la phase finale de ton plan pour m’obliger à sortir de mes gonds ? Juste pour infos, ça doit bien faire trois heures que tu t’échines à m’emmerder pour rien. J’ai fait le mur. »

Est-ce que j’étais chiant ? Totalement. Est-ce que Karl était fourbe et un peu con ? Ah bah oui entièrement ! Ce n’était pas pour rien que nous étions un binôme très efficace au boulot et que nous avions une grande complicité ensemble. J’oserais même dire qu’il était mon meilleur ami même s’il avait choisi une vieille harpie frigide comme future épouse. C’était son problème de l’endurer tous les jours. Elle avait tellement une voix merdique en plus. Rien n’était plus irritant pour mes oreilles. Je préférais recevoir une irrigation du côlon plutôt de manger en tête à tête avec la régente de White Chapel.

Néanmoins, je comptais mettre mon partenaire à bout. J’étais loin de me douter que pendant que je faisais le gros débile, lui, il avait fait le mur pour aller s’amuser à jouer dans l’eau. Je ne serais même pas surpris qu’il ait fait un château de sable en prime avec des bols de plastique fourni par sa mère dans ses bagages. J’en étais à la phase des mariachis lorsque mon ami venait tambouriner à ma porte. Ah ! Un signe de vie ! PUTAIN! Il est vivant ! J’allais ouvrir avec ma tête des bons jours. Bref, je faisais la gueule en le regardant en m’appuyant contre le cadre de porte avec une clope dans la bouche. Je me mettais finalement à rigoler en secouant la tête avant de le regarder dans les yeux.

- Toi, tu passes beaucoup trop de temps avec moi pour devenir aussi fourbe. Sache que les mariachis n’étaient pas la phase finale. J’avais l’option de pisser sur ta porte qui commençait à se préparer dans mon esprit. Défoncer cette dernière faisant partie des options également.

Je tirais sur ma clope avant de la prendre entre mon pouce et mon index. Heureusement que j’avais lancé un sortilège pour étouffer le bruit sinon, je crois que j’aurais rendu tous les gens fous ici. Je le regardais dans les yeux.

- Allez, on va bouffer et boire un verre. Il doit bien être midi quelque part dans le monde non ? Et je t’avertis que je n’ai pas envie de bouffer des trippes ou une vessie d’agneau avec des herbes. J’espère que l’on se comprend mon trésor.

C’était déjà le bordel dans ma chambre. Je prenais mon arme sur le bureau et je le mettais dans mon holster avant de fermer la porte.

- Si tu me dis que l’on bouffe ici, car c’est le seul restaurant, je te retire l’héritage que j’avais prévu pour toi mon vieux.

J’étais totalement sérieux. C’était ça le pire. Je gardais ma clope dans ma bouche avant de descendre les escaliers en les faisant craquer sous mon poids. La dame de l’accueil me regardait comme si j’étais un drôle de personnage. Je haussais un sourcil en la regardant avant de sortir. Elle n’avait probablement jamais vu de mexicain de sa vie et encore moins un motard, fumeur, mexicain et avec une gueule aussi détruite que la mienne. Je tirais sur ma clope en soupirant. PUTAIN ! Il pleuvait encore. 

Est-ce que Shawn Draven était un emmerdeur ? Évidemment ! D’ailleurs, la question ne se posait guère tant cela était évident. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il était (et demeure) plutôt doué dans ce domaine ; assez pour qu’on l’érige en roi incontesté. Bien qu’à y réfléchir, être ainsi considéré n’était pas si reluisant. Mais tout dépend du point de vue n’est-ce pas ? Toujours est-il que Shawn était un emmerdeur de première catégorie et Karl le savait en signant. Le voir ici n’était donc pas si surprenant, puisqu’il était, de toute la « Suicide Squad » le seul à même de réussir la mission ; du moins sur le papier. La réalité étant ce qu’elle est, les incertitudes demeurent même avec un plan bien huilé. Et si Draven était un emmerdeur en puissance, Karl n’en demeurait pas moins insaisissable et bien décidé à faire tourner en bourrique son indésirable « invité ».

Il était donc parvenu à quitter discrètement sa chambre pour rejoindre la plage et surfer quelques vagues malgré la tempête qui ravageait impunément une partie des côtes. Ces quelques heures de liberté lui firent un bien fou, assez pour occulter, l’espace d’un instant, ce que la cité des Anges avait de pire à lui offrir. Mais plus encore, durant ses quelques heures Karl avait littéralement oublié sa colère et le désespoir qui le rongeait depuis des mois ; le faisant littéralement voguer en eaux troubles. Toute bonne chose ayant une fin, le sorcier dut ensuite se résoudre à abandonner ses camarades d’un jour, pour retrouver la pension où il logeait depuis son arrivée.

Et de toute évidence, l’ami Draven n’avait pas chômé en l’absence de son équipier. Dommage pour lui que ses efforts soient vains et qu’il se retrouve ainsi confronté à un Karl légèrement narquois et fier de son petit tour de Trafalgar. Par précaution toutefois, le fils d’Arthur ne resta pas trop près de la porte au moment de l’ouverture.

« — Ôte-moi d’un doute, tu sais interpréter un pictogramme ? » Il lui désigna le petit encadré avec une cigarette barrée. « — Et tu sais, les Irlandais ont des toilettes, nul besoin d’aller faire ses besoins contre une porte, sauf bien sûr si tu cherches à marquer ton territoire ; ce dont je doute. » Il continuait toutefois à fumer sa cigarette l’air de rien, ravi sûrement de son petit effet. « — J’aurais moyennement apprécié que tu viennes défoncer ma porte cela dit. » Karl laissa cependant un léger soupire se faire entendre. « — Tu es certainement le type le plus exaspérant que je connaisse. Et pour ta gouverne, il n’y a pas que des trippes et des vessies d’agneau par ici. » Il acceptait toutefois de le suivre. « — Je suis donc ravi de savoir que je suis sur ton héritage. Il y a un pub par très loin d’ici. Il y aura tout ce qu’il faut, mais on va devoir se taper une adorable petite tempête avant d’y parvenir. » Ils arrivèrent à l’accueil où la tenancière des lieux les observait avec inquiétude. « — Il est avec moi, ne vous en faites pas. » Il lui signe à son équipier de retirer sa clope. « — Pardonnez-le, il est un peu déficient, il met du temps à comprendre les choses. »

- Interpréter un picto-quoi ? Je vois rien. Je suis complètement aveugle. C’est génétique du côté de ma mère. J’aurais défoncé la porte avant de t’attacher dans ton lit pour te raconter des histoires jusqu’à ce que tu capitules mon trésor. J’ai fait tout ce chemin pour ta gueule de chérubin alors tu restes gentil. Tu passes vraiment trop de temps avec moi… Tu deviens parfait.

Je descendais rapidement les escaliers en envoyant moyennement chier la femme de l’accueil. Je sortais en grimaçant et en voyant la température. Karl me connaissait bien. Il savait que si j’étais ici, c’était qu’il y avait une bonne raison non ? Il pleuvait comme jamais à l’extérieur et ça avait le don de m’irriter au plus haut point. Je poussais un fort soupir en regardant la température extérieure. Karl me faisait signe de retirer ma clope et je me contentais de pousser la porte pour sortir me faire mouiller et geler le cul !

- Un pub. Il est bien midi quelque part dans le monde non ? Sache que je suis fier d’être exaspérant et chiant et que tu hérites de ma moto. Sois heureux de ce que je te donne si je crève dans ce putain de bas monde. Il est où ce pub ? J’imagine que c’est dans les quatre bâtiments qu’on voit là-bas ? L’Irlande … Fallait que tu choisisses l’Irlande !

Exaspéré comme jamais, je marchais en fumant pour me rendre au pub avec Karl. Je gardais le silence durant notre marche. J’entrais et je secouais mon cuir en me passant une main dans les cheveux. Bradley aurait été bien pratique en cet instant. Ce petit con chauve élémentaire qui se prenait pour Aquaman. J’allais m’installer à une table en retrait et je retirais mon cuir pour le poser sur la chaise. Je m’effondrais avec nonchalance et je poussais un soupir. La serveuse nous donnait des menus et je ne l’ouvrais même pas.

- Un whisky et un café et non, je ne veux pas le whisky dans le café. Merci. Ah et un cendrier!

Je n’ouvrais même pas le menu. Mon petit-déjeuner américain allait vachement me manquer en cet instant. Je regardais mon pote dans les yeux et je fouillais dans mon cuir pour ressortir mes clopes directement. Je fumais comme un dingue et je m’en foutais tellement. La serveuse revenait avec le saint cendrier et je m’allumais une nouvelle clope.

- Disparaître sans me laisser la moindre trace. Le moindre putain de mot. T’as une idée à quel point je me suis inquiété Karl ?! Merde ! Tu m’aurais dit que tu voulais venir dans ce trou dégueulasse pour respirer je t’aurais foutu la paix ! À quoi tu as pensé ? Même un message texte aurait suffi. Tu aurais pu répondre à ceux que je t’ai envoyés d’ailleurs. Si j’ai des cheveux blancs en plus, ça sera foutrement de ta faute.

Il y a des gens qui ne devraient pas se côtoyer. Tant par leur personnalité que par leur différence. C’est un fait, mais dans la réalité et puisqu’il ne subsiste aucune règle, il y a aussi des personnes que tout oppose qui se côtoient ; pire qui travaillent ensemble et sont amis. On amour, on dit parfois que les contraires s’attirent ; partons du principe que cela équivaut pour l’amitié. Ainsi, nous pourrions attester de l’existence d’un tel prodige. En d’autres termes, tout est possible en amour comme en amitié, mais plus encore en amitié et il suffisait d’observer Karl et Shawn pour s’en convaincre.

— Un pictogramme ! Tu veux peut-être que je te l’épelle pour que ça rentre mieux à défaut de le voir ? Pour l’invitation à une partie de bondage, désolé mais ce n’est pas mon truc. Il faudra trouver autre chose mon trésor. Pour ce qui est de ta présence, dans d’autres circonstances j’aurai été touché par la démarche, mais là j’aimerais juste qu’on me foute la paix. Pourquoi crois-tu que je suis parti aussi loin ? Pas assez de toute évidence. Écoute tu es mignon, mais pas la peine de jouer les babysitteurs, je me gère très bien tout seul.

Passé l’intermède des « retrouvailles » Karl accepta malgré tout de quitter les lieux en compagnie de Shawn, histoire d’aller prendre un ou deux verres. Il espérait surtout pouvoir l’amadouer pour que ce dernier finisse par lui foutre la paix. En était-il seulement capable ? Le doute assaillait Karl sur cette question. Toujours est-il que Shawn n’avait point perdu de sa verve et de sa capacité à râler ; une capacité qui de toute évidence déteignait sur l’ami Karl. — Tu ne devrais pas être fier d’être un emmerdeur Draven. À la longue, ça nuira à ta libido, je te le dis. Et pour ce qui est du pub, on va devoir enfourcher nos bécanes parce que ce n’est pas à quatre pâtés de maisons. Karl sortit son casque du porte-bagages avant de nouer la sangle à son coup. — Tu devrais respecter cette terre sainte petit ingrat, c’est celle de mes ancêtres. Et ce sont sur ces mots que Fitz junior fit vrombir le moteur de sa moto et prit les devants pour guider son équipier en direction du pub le plus proche, qui se trouvait à environ cinq kilomètres d’ici.

Le trajet fut rapide malgré la tempête, mais le cuir de Draven avait comme qui dirait pris l’eau pendant le petit périple en pleine tempête. — Je t’offrirais un autre cuir pour te récompenser de tant d’abnégation. Tu veux que je te l’épelle ce mot aussi ? Un brin moqueur, le sorcier prit place à son tour tandis qu’une serveuse approchait pour prendre leur commande. Shawn fut le premier à se livrer tandis que Karl zieuter sans grande conviction la carte. — Je vais prendre un whisky et un fish & chips. Ça devrait faire l’affaire. Merci ! La demoiselle s’éloigna aussitôt, laissant les deux équipiers seul à seul. Karl demeurait silencieux et observer attentivement le frère d’Ezéchiel, qui venait de s’allumer une clope et qui comme par magie, semblait retrouver la parole ce qui incita Fitz à en faire de même. — Wow monsieur est finalement un grand sentimental. Passe-moi une clope ! Une demande qui tranchait avec la moquerie tant elle était inhabituelle venant de Karl.  — Il me faudra au moins ça et un whisky pour un semblant de réponse. Un whisky qui arriva en grande pompe et en double. Le sourire aux lèvres, la jeune serveuse déposa le tout sur la table avant de repartir.

— Tu devrais goûter, leur fish & chips n’est pas si mauvais. Ah oui revenons à ce pourquoi tu as bougé ton cul crasseux jusqu’ici. D’ordinaire, Karl n’était pas aussi familier, mais il avait appris à composer avec Shawn et savait que pour communiquer il fallait s’adapter à lui et ne pas le laisser prendre l’ascendant. — Je t’aurai bien laissé un petit mot mais j’avais peur que ça soit trop élaboré pour que tu comprennes. Et puis ton illettrisme supposé ne joue pas en ta faveur. Je me suis donc dit que le silence radio était le meilleur des moyens pour te voir débarquer ici un jour de pluie. Quoique, tu n’es pas arrivé jusqu’ici tout seul je me trompe ? Qui t’envoie ?

Trajet en silence en dehors du bruit des motos. Je me foutais parfaitement de la température. Pas la première fois que je conduisais sous la pluie et certainement pas la dernière. Karl ne semblait pas comprendre mon point de vue et pourtant, il était légitime. Il était mon meilleur ami après tout. Je tenais à lui. Je lui aurais foutu la paix s’il m’avait simplement dit où il allait en me disant qu’il avait besoin de respirer. J’étais le premier à comprendre ce besoin. Je le ressentais tous les jours ou presque. Un isolement profond avec ma bouteille de tequila quand je ne beurrais pas la gueule à cause de mon manque interne qui ne regardait que moi. C’était une fois dans le pub que Karl me narguait encore. Il passait vraiment trop de temps avec moi celui-là.

- Va te faire foutre Karl.

Je m’ouvrais la gueule directement. Pas le temps pour des conneries et des propos sans détour. Karl semblait surpris d’ailleurs. Je pense qu’il ne mesurait pas l’importance qu’il pouvait avoir dans ma vie. Non, je n’étais pas un homme parfait, mais j’étais tout de même présent au maximum et il lui suffirait de hurler mon prénom pour que je lui vienne en aide les yeux fermés. Je faisais glisser mes clopes vers ce dernier en m’installant complètement avachi sur ma chaise. Je le regardais dans les yeux en serrant la mâchoire.

- Tu me prends réellement pour le dernier des imbéciles Karl merde ! Vous vous imaginez tous que je suis un pauvre con alors que ce n’est absolument pas le cas. Tu es sans doute le mieux placé pour le savoir, car tu passes pratiquement toutes tes journées avec moi. Je ne me suis pas tapé des heures d’avion pour me faire insulter par mon meilleur ami.

J’écrasais ma clope alors que le whisky arrivait avec le café. Je passais mon tour sur le fish & chips. Au petit matin, ce n’était pas un plat que j’affectionnais. Karl venait de me blesser et il ne s’en rendait même pas compte. Je me prenais une autre cigarette après avoir pris une longue gorgée de whisky.

- Pourquoi tu es ici, je m’en bats les couilles. Les gens sont inquiets de ton silence et tu es demandé à Los Angeles. Tu sais quoi ? Fais ce que tu veux hein… Tu t’imagines que tu es le seul être blessé dans l’univers et par une femme ? J’ai des petites nouvelles pour toi, tu es loin d’être le seul. J’ai une putain d’âme en morceau au sens propre et figuré. Je vis quand même et il est hors de question que tu deviennes aussi grincheux que moi. Le Grinch c’est moi. Pas toi. Ce n’est pas dans ta nature. On s’en fout de qui m’envoie. Je te cherchais comme un dingue en faisait bouger tous mes contacts. Tu aurais fait quoi si c’était moi qui avais disparu sans laisser de trace ?

Oui, j’étais un peu agressif dans mes propos, mais je pensais chaque mot. Je tenais à mon meilleur ami. Le dire à haute voix était énorme pour ma personne. Je prenais une gorgée de café en grimaçant. Starbuck me manquait. J’ajoutais mon verre de whisky dedans pour masquer le goût.

Malgré l’énervement dû à cette arrivée surprise en terres irlandaises, Karl ne pouvait nier le fait qu’il soit ravi de voir son équipier ici. Et puisqu’il venait de passer quelques heures agréables à surfer, le sorcier semblait à présent de meilleure humeur ; assez pour laisser sa chance à Shawn et ainsi passer un peu de temps en sa compagnie. Au moins, il pouvait penser à autre chose et ne pas laisser trop de place à cet infâme mélange de tristesse et de colère qui l’habitait depuis peu et mettait à mal son discernement.

Le vrombissement des destriers métalliques cessa d’émettre lorsque les deux motards virent se garer sur ce qui faisait office de parking. La pluie continuait de s’abattre sur eux rendant la visibilité incertaine si l’on omet la lumière venait du pub et accessoirement son enseigne éclairée telle la lumière d’un phare en pleine tempête. Preuve que l’espoir demeurait malgré les aléas climatiques et les cœurs esseulés. Karl n’était pas du genre « pathos » est préféré dès lors se risquer à faire quelques efforts pour rendre cette sortie agréable. Au moins, il avait à présent la meilleure des excuses pour ne pas songer à toutes les raisons qui l’avaient poussé à venir se terrer ici. Du moins pour l’instant, car il savait que sous peu et au nom de leur amitié, il devrait des explications à Shawn.

À peine eurent-ils pénétré l’établissement, que la bonne humeur assaillit Karl au point de charrier sans modération aucune son comparse ; au grand dam de ce dernier qui lui demanda d’aller se faire voir sans y mettre les formes. Preuve que l’on ne change pas les bonnes vieilles habitudes même à des milliers de kilomètres de la Cité des anges. « — Eh bien vas toi aussi te faire foutre, mais en bonne et due forme quand même. » Le sorcier prit rapidement place suivi de près par son équipier qui alors que le fils d’Arthur se perdait en lecture, consentit à se livrer. Une surprise pour Fitz qui n’avait vraisemblablement pas l’habitude de voir son ami aussi sincère et quelque peu sentimental. Mais pour ne rien laisser paraître de sa gêne et du sentiment de culpabilité qui venait de l’assaillir à l’écoute du soliloque, Karl préféra continuer à charrier gentiment son camarade.

Ensuite et assez maladroitement, il se saisit de la clope qui venait de lui être offerte. Briquet en main, il alluma presque sans attendre l’extrémité de cigarette qui devient rougeoyante au contact de la flamme. Shawn n’en avait pas fini avec les reproches ; tandis que l’ancien régent de Red House tirait longuement sur son mégot, tellement qu’il ne peut s’empêcher de tousser au contact de la fumée lui qui n’avait pas l’habitude de se livrer à de telles pratiques. « — Décidément, je manque d’entrainement », tentait-il avec une légèreté qui faisait défaut à son comparse bien décidé à faire entendre tout ce qu’il avait sur le cœur.

« — Ça va, je t’insultais gentiment. » Mais une fois encore, Karl se confrontait à un Shawn bien incapable de continuer à s’amuser de la situation. Il venait d’écraser sans ménagement sa cigarette pour en reprendre une autre tandis que les boissons et le plat commandé par le sorcier rouge faisaient leur arrivée dans une ambiance pesante. Il fallait y remédier, mais comment ? Fitz serra la mâchoire et observa longuement son assiette tandis que Shawn délesta son verre d’une imposante gorgée avant de se lancer dans un nouveau monologue qui désarçonna complètement son équipier.

« — Je ne me serais pas imaginé que tu t’inquièterais pour moi. Je me sens honteux d’avoir si mal évalué notre lien » commença-t-il bien incapable de croiser son regard dans un premier temps. « — Je suis venu ici parce que je voulais mettre le plus de distance possible avec ma vie. Ce n’est pas juste le fait d’être blessé par une femme comme tu le laisses entendre. Elle a tenté de mettre fin à ses jours est-ce que tu t’en rends compte ? Pour moi, c’est la pire des trahisons. Elle a préféré mourir plutôt que d’essayer de se battre avec moi. Alors, à quoi bon rester hein ? J’ai n’ai pas pu sauver mon fils et la femme que j’aime. » Il se tue presque aussitôt pensant à présent à ses parents, qui eux n’avaient rien demandé et qui l’avaient toujours soutenu. « — Je ne voulais blesser personne. J’avais juste besoin de solitude, j’aurais peut-être dû le préciser au lieu de te laisser galérer à me retrouver. Ça me coûte de le dire, mais je suis désolé d’avoir été un connard au moins avec toi. Tu n’avais rien à avoir avec cette histoire. J’aurais dû faire la part des choses. »