Diana était arrivée à Los Angeles la veille et n’était pas encore tout à fait habituée à la ville des anges. Une chose était certaine, elle devait quitter le centre ville et ses quartiers huppés pour se rapprocher des coins plus abordables. Elle pourrait sûrement y trouver des centres d’hébergement et des soupes populaires. Avec un peu de chance, elle trouverait même un travail dans une supérette ou même dans un bar, si elle mentait sur son âge. En vérité, n’importe quel travail lui conviendrait, tant qu’elle pourrait gagner suffisamment d’argent pour se mettre un toit au-dessus de la tête. Une fois ce problème réglé, tout irait pour le mieux.
Elle attendait donc un bus, près d’une artère commerciale. Avec son pull de laine, elle détonnait un peu entre toutes les demoiselles en débardeurs. Avec la chaleur ambiante, elle essuyait quelques regards interrogateurs, quelques remarques chuchotées à l’abri de quelques mains, mais elle ne s’en offusquait pas. Elle avait l’habitude. Et puis elle serait la cible de plus de commentaires si elle exposait ses bras et son cou.
Ce n’était pourtant pas le haut de son corps qui l’embêtait le plus, présentement. Sur ses cuisses, les coupures ne s’étaient pas correctement refermées et le papier toilette dont elle s’était enroulé s’imbibait trop rapidement pour être efficace. Il y avait aussi la douleur qui lui faisait se pincer les lèvres dès qu’elle marchait un peu trop longtemps. Assise sur le banc, elle s’était mise sur le bord pour ne pas appuyer ses plaies contre la grille métallique du siège. Ce ne fut que lorsqu’elle baissa les yeux qu’elle remarqua que son jean tournait au rouge, proche de ses genoux. Elle se leva rapidement, tirant sur son pull pour tenter de couvrir les taches, mais elles étaient trop basses. Les yeux rivés sur le sol pour ne pas attirer l’attention, elle se dirigea vers la station dans l’espoir qu’il y ait des toilettes publiques.
Elle ne regardait pas devant elle, trop occupée à retenir des larmes. Ce n’était pas si douloureux, mais elle détestait être si faible. Elle détestait qu’il ait laissé tant de marques sur son corps qu’elle devait se laisser étouffer sous la laine de son pull, qu’elle ne pouvait pas s’asseoir sans faire attention, qu’elle n’allait probablement pas pouvoir garder le seul jean qu’elle avait. Dans sa hâte chancelante, elle heurta une femme.
« Pardon, » murmura-t-elle si bas qu’elle doutait qu’elle ne l’ai entendue.
Enfin une journée de congés. Eva avait l’impression qu’elle n’en avait plus eu depuis des lustres… Alors qu’en réalité, cela ne remontait qu’à la semaine passée. Mais les journées étaient chargées. La jeune chirurgienne avait donc des tas de choses à faire : des courses, du ménage, du rangement… Après une bonne grasse matinée bien méritée, elle s’était accordé une petite heure de sport dans son salon avant de prendre une douche, un bon petit déjeuner et finalement s’était décidée à sortir pour aller faire quelques courses. Son frigo était désespérément vide et il fallait bien qu’elle consente à ne pas faire que commander des plats dans des resto qui livraient. La belle brune préférait marcher quand c’était possible et éviter le métro ou les bus, autant le faire tant qu’elle n’avait pas les bras chargés de courses. Elle avait opté pour un débardeur, la chaleur se faisait torride à Los Angeles comparé aux autres villes plus au nord. Eva avait l’esprit ailleurs, elle rêvassait, songeant aux dernières interventions qu’elle avait faites, aux derniers patients avec qui elle avait discuté. Elle se demandait toujours s’ils n’allaient pas essayer de la contacter juste quand elle était en congé. Elle se mettait à leur place, attendre vingt-quatre heures quand on s’inquiétait pour sa santé, c’était long, très long. Le Dr Cortez le savait pour être passée par là quand, plus jeune, sa propre mère était souffrante. Etant plongée dans ses pensées et avançant d’un pas décidé, elle n’avait pas remarqué la toute jeune femme vêtue d’un pull en laine, alors que tout le monde suait, qui s’approchait dangereusement jusqu’à lui rentrer dedans, ce qui réveilla instantanément la chirurgienne.
- Oh non, c’est moi, j’étais ailleurs, dit-elle en posant machinalement une main sur son épaule pour la retenir d’une éventuelle chute.
Machinalement, elle la regarda de haut en bas pour vérifier qu’elle allait bien. Ce fut là que son visage se crispa en remarquant les traces de sang sur son jeans. Immédiatement, ses iris chocolatées se plongèrent dans celles de son interlocutrice.
Etait-ce une femme battue ? Venait-elle d’avoir été agressée ? Les possibilités étaient multiples et malheureusement, les violences faites aux femmes ne diminuaient pas suffisamment et pas assez vite. Personne ne méritait qu’on attente à sa personne et ce genre que chose révoltait Eva qui avait perdu ses deux parents assassinés. Elle ne supportait pas la violence.
- Je peux vous aider, je suis médecin. Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
La pauvre demoiselle avait l’air perdu, et puis… elle portait un pull ?
- Je m’appelle Eva, et vous ?
Se présentait permettrait déjà de peut-être désamorcer un peu la situation, peut-être que la jeune femme se sentirait plus en confiance. Eva n voulait surtout pas la brusquer, mais si elle était grièvement blessée, elle voulait pouvoir la soigner dans les temps, mais elle ne pourrait le faire qu’avec le consentement de la demoiselle.
La main que l’inconnue mit sur son épaule fit reculer Diane, et elle s’en voulut dès qu’elle croisa son regard. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas vu d’inquiétude pour sa personne dans les yeux de quelqu’un d’autre… Avait-elle besoin d’aide? Oui. Non. Les deux réponses trottèrent dans sa tête sans qu’elle puisse s’arrêter sur celle qu’il fallait sortir, laissant entre les deux femmes un long silence. Diane ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, regarda derrière la belle brune puis le haut de ses baskets à nouveau propres, le tout en surveillant du coin de l’œil les gestes de son interlocutrice. Elle serra ses genoux l’un contre l’autre et grimaça au frottement du jean contre les plaies.
Puis l’inconnue mentionna être médecin et la tête de Diane se releva avec une pointe de curiosité. Elle se pinça les lèvres. Elle ne pouvait pas se permettre d’aller à l’hôpital, mais elle ne pouvait pas non plus laisser ses jambes dans cet état. Le temps qu’elle réfléchisse, l’inconnue lui donna son nom.q
« Diane, » soupira-t-elle en réponse. « Pas d’hôpital, s’il vous plaît… »
Elle se retint de refuser l’offre d’Eva. Aussi tentant qu’il était de passer son chemin, de dire que tout allait bien, qu’elle n’avait pas besoin d’aide, la précarité de sa situation lui fit se tenir la langue.
« Auriez-vous des bandages ou des pansements? Je suis tombée. »
Le mensonge était naturel, une habitude qu’elle avait prise lorsque l’infirmière scolaire ou un de ses profs posaient des questions sur un bleu. Elle espérait juste que la docteur ne demande pas à regarder plus en détail. Les chutes ne causaient pas de marques de griffures sur les cuisses.
Autour d’elles, la population continuait son train-train, ne donnant même pas un regard vers l’adolescente effrayée et la femme généreuse. Diane se demanda même s’ils leur prêteraient attention si elle se déshabillait au milieu de la rue. La décence intimait à ne pas chercher la réponse et c’est avec un certain soulagement, sachant qu'elle ne lui demanderait pas à voir ses jambes, qu’elle releva la tête vers la bonne samaritaine.
« Je peux m’en occuper, avec des pansements… »
Elle avait connu pire. Avec un peu de chance, elle ne connaîtrait plus pire.
Les grandes villes laissaient souvent place à de drôles de rencontres, du moins des rencontres inattendues, c’était ce qu’Eva avait retenu de sa vie à Los Angeles et brièvement à San Francisco pour son internat de chirurgie. A présent de retour dans sa ville natale, celle où ses parents avaient été assassinés, elle s’apercevait que les choses ne changeaient pas.
La demoiselle qu’elle avait percutée avait l’air en souffrance, une certaine fragilité mais aussi une grande force émanaient d’elle, comme si elle n’avait pas le choix que de se protéger elle-même. La chirurgienne avait vu nombre de patients dans sa jeune carrière, et ce regard ne lui était pas inconnu.
- Enchantée Diane, répondit-elle avec douceur.
Le fait qu’elle veuille absolument éviter l’hôpital n’était pas anodin. Eva hocha la tête.
- Bien, on fera comme vous voulez, mais il faut vous soigner, vous risquez une septicémie.
Diane voulait des bandages ou des pansements ? Elle prétendait être tombée… Eva aurait pu soupirer si elle avait assisté à cette scène devant un écran de cinéma, mais ce n’était pas de la fiction, ce genre de déni arrivait quotidiennement.
- Sacrée chute, commenta-t-elle avec un sourire compatissant qui trahissait le fait qu’elle ne la croyait pas. Ecoutez, je suis chirurgien, et au vu du sang que vous semblez avoir perdu, il vous faut des points de suture.
Elle parlait avec douceur, d’un ton calme. Le but n’était pas d’inquiéter la jeune fille outre mesure mais de lui faire prendre conscience du fait qu’elle avait besoin de soins sérieux.
- Je vous propose une chose. J’ai tout ce qu’il faut chez moi. Est-ce que vous accepteriez de m’accompagner pour que je m’occupe de votre blessure ? Et puis je pourrais aussi vous offrir un peu de café. C’est à peu près la seule chose que je sais faire, ajouta-t-elle avec humour.
Eva espérait que Diane accepterait, sans quoi il lui faudrait trouver une autre solution mais ce serait difficile de la soigner avec autant de précaution. Pour une raison qu’elle ignorait, cette demoiselle la touchait et elle ne voulait pas la laisser dans cette galère, avec cette blessure. Elle voulait lui venir en aide.
Accueil 
La main que l’inconnue mit sur son épaule fit reculer Diane, et elle s’en voulut dès qu’elle croisa son regard. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas vu d’inquiétude pour sa personne dans les yeux de quelqu’un d’autre… Avait-elle besoin d’aide? Oui. Non. Les deux réponses trottèrent dans sa tête sans qu’elle puisse s’arrêter sur celle qu’il fallait sortir, laissant entre les deux femmes un long silence. Diane ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, regarda derrière la belle brune puis le haut de ses baskets à nouveau propres, le tout en surveillant du coin de l’œil les gestes de son interlocutrice. Elle serra ses genoux l’un contre l’autre et grimaça au frottement du jean contre les plaies.