Mai 1519 - Amboise (France)
Je suis peinée. Alors que les beaux jours arrivent enfin, la perte d’un ami vient assombrir mon ciel ensoleillé. Mon ami Léonard de Vinci nous as quittés. Bien qu’il n’ait jamais su pour ma condition de vampire. Il avait tout de suite vu que j’étais différente. Et il me l’avait dit. Repenser à notre rencontre me fit sourire. Il m’avait comparée à une Déesse Grecque, me donnant aussitôt le sourire. Il n’a jamais su que je venais de Grèce.

Aux côtés de Léonard, j’ai beaucoup appris. C’était un passionné comme moi. Un fervent défenseur du bien. Il avait pour coutume de dire que “Celui qui néglige de punir le mal aide à sa réalisation”. C’est en partie dans ce sens que j'ai aidé les personnes mourantes dans des situations atroces en les transformants en vampires pour les aider à avoir une seconde chance comme Ahmès m'avait donné une seconde chance.

De Vinci est décédé au Château du Clos Lucé à Ambroise un village à proximité de Tours en France. Je m’étais rendue sur place pour lui rendre un dernier hommage. Les funérailles furent magnifiques. Même si je ne suis pas entrée dans l'Église, j’ai tout écouté de l’extérieur avec mon ouïe développée. Étant seule, j’ai même pu verser ma petite larme sans que personne ne puisse me voir ou me juger. Après la messe en son honneur, l’enterrement avait eu lieu dans le plus strict respect. Je ne m’étais pas rendue sur place. Je savais que durant la soirée, une petite fête lui serait consacré dans les jardins du domaine-royal de Château-Gaillard. Ces jardins magnifiquement mis en place par  Pacello da Mercogliano. Je n’y étais encore jamais allée et j’ai hâte de pouvoir les découvrir.

La soirée arriva rapidement et je portais une robe digne de la cour du Roi François 1er pour l’occasion. [visuel de la tenue]
Evidemment il y avait du monde mais alors que je parcourais de loin l’attroupement autour du buffet, je sentis la présence d’une autre personne de mon espèce. Un autre vampire était présent en ce lieu. Je me demanda alors si l’autre vampire connaissait aussi Léonard et partageait également une affection particulière pour les arts et les connaissances. A moins que cela ne soit un tueur sanguinaire en quête d’une proie. Ce n’était pas réellement le moment ni le lieu mais certains vampires n’avaient aucunes limites.

Bien que je sentais que l’autre vampire se rapprochait de moi, je ne bougeait pas de ma place. Je m’étais un peu éloignée des humains. Non pas que je n’apprécie pas leur compagnie mais je me doutais que si l’autre vampire me rejoignais c’était surement pour discuter et je voulais être tranquille. Mon verre de vin à la main, je conservais le regard sur les jardins alors que la vampire s’adressa à moi. Visiblement son identité était italienne. Je parlais d’identité car je savais pertinemment qu’au fil des années, les vampires changeaient continuellement d’identité pour se fondre dans la masse.

D’ailleurs moi-même j’avais l’identité d’une artiste-écrivaine française très peu connue. J’écrivais des romans mais ces derniers n’étaient que très peu publiés. Normal c’était un choix de ma part pour garder l’anonymat tout en continuant ma passion pour les écrits. Lorsque la vampire évoqua le décès de De Vinci, j'acquiesçai tristement en confirmant ses dires :

“En effet, c’est bien triste. Il va laisser un grand vide.”

Je bus également une gorgée de vin en me tournant enfin vers celle qui me faisait la conversation. Une vampire d’apparence noble. Un sourire s’afficha sur mes lèvres lorsqu’elle me donna son identité. Bien évidement je fis de même:

“Hélène Deschamps. J’appréciais beaucoup Léonard et son travail.”

J’avais quant à moi un accent très français. J’aimais énormément la France et j’y été depuis un bon moment maintenant. J’avais repris le prénom de ma mère pour lui rendre hommage durant quelques années. Elle me manquait terriblement tout comme le reste de ma famille mais c’était ainsi. Maintenant j’étais seule. Enfin surtout depuis quelques années. Je n’avais transformé personne depuis un moment donc je n’avais pas de protégés avec moi. J’avais pris l’habitude de conserver mes protégés à mes côtés durant quelques années avant de les laisser vaquer à leur occupations. ce n’était pas le cas de tous les vampires mais je tenais à préserver ma vision de ce que devait être un vampire. Pour les humains qui croyaient aux légendes, les vampires étaient des tueurs sanguinaires. Ce n’était pas toujours le cas, certains d’entre nous savaient se tenir et je faisais partie de ceux-là. J’arrivais toujours à étancher ma soif sans tuer. D’ailleurs, je tenais à connaître les intentions de Dame Salviati. Le meilleur moyen de savoir si elle était réellement respectueuse de l’artiste disparu. Reportant mon regard sur la foule qui peuplait le jardin, j’ajouta doucement :

“C’est une belle soirée pour lui rendre un dernier hommage. Pour ma part ce soir je ne boirais que du vin… Et vous très chère?”

Ainsi nos deux fausses identité furent échangées. Je supposais que la sienne était aussi fausse que la mienne. Rares étaient les vampires qui ne cachaient pas leur véritable identités. J’avais le sentiment que cette vampire avait d’ores et déjà quelques années. Pas autant que moi bien sur. Hormis les Anciens, je n’avais jusqu’à présent rencontré que très peu de vampires aussi âgés que moi. Elle me rétorqua que le travail de De Vinci se devait d’être apprécier. Sa remarque me soutira un sourire amical. Elle avait raison. Puis la vampire prénommée Maddalena m’affirma qu’elle était enchantée de faire ma connaissance. Je lui répondis aimablement par un signe de tête accompagné de quelques mots cordiaux :

“Plaisir partagé Dame Salviati.”

Mais tout plaisir, quelqu'il soit, serait de courte durée si ses intentions n’étaient pas en concordance avec les miennes. Pour cela il allait falloir dévier le sujet vers ce qui m'intéressait vraiment. Le vin fut tout indiqué pour parler de breuvage. Attendant la réaction de ma congénère, je repris une gorgée du vin.
Elle me confirma rapidement que les breuvages français faisaient partis des meilleurs. Mais elle m’assura qu’aucun massacre ne serait commis en ce lieu. Je n’en fus que plus soulagée même si je ne laissais rien transparaître. Un faible sourire sur les lèvres, je compris tout de même que si un massacre n’était pas envisagé, elle serait sûrement tentée par une proie isolée. Je ferais surement la même chose mais rien n’était encore certain pour ma part. Puis Maddalena me demanda si j’étais toujours aussi “suspicieuse”. J’eus un léger rire avant de lui répondre. Et je me tourna enfin vers elle pour lui répondre :

“Outre le côté suspicieuse, je tiens à rester respectueuse vis à vis de De Vinci. Et puis, vous devez bien l’admettre. Toutes les personnes de notre rang que l’on pouvons rencontrer au cours de nos vies ne sont pas toutes aussi élégantes et raffinées que nous le sommes en cet instant.”

A ses mots je repris une gorgée de vin. J’étais curieuse d’en apprendre un peu plus sur elle. Je me permis de lui poser une autre question. Je savais que tous les vampires n’étaient pas aussi curieux ou prompts à parler d'eux mais je l’étais - curieuse - alors je tenta ma chance :

“Pardonnez mon indiscrétion Dame Salviati mais cela fait longtemps que vous foulez cette terre?”

Une façon comme une autre que j’avais eue de lui demander son âge. Dorénavant j’espérais qu’elle ne soit pas offusquer de ma requête. Par ailleurs, je serais prête à lui répondre si le besoin s’en faisait ressentir.

La douce musique en l’honneur de De Vinci avait le don d’échauffer les moeurs et les humains qui peuplaient les jardins commençait à festoyer avec plus d’ardeur. L’heure viendrait bientôt où ils seraient tellement ivres qu’ils faudrait les accompagner sans doute jusqu’à leur demeure. Mais si je devais festoyer alors je ne le ferais pas en ces lieux. Pour l’heure, la vampire qui me tenait compagnie semblait particulièrement charmante. Je pense qu’elle ferait comme moi. Pas de massacre en cette belle soirée mais peut-être un petit humain à se mettre sous la dent une fois les festivités terminées.

Les vampires avaient de manière générale une prestance que les humains n’avait guère. Outre le fait de pouvoir les sentir ou entendre leurs coeurs ralentis, il m'était facile d’en reconnaître un à son allure et sa présentation. Nous avions connu des civilisations entières. Et nous devions nous adaptés à travers les époques pourtant une part de moi avait le sentiment d’être continuellement tournée vers le passé. Il m’était presque impossible de penser à l’avenir alors que j’étais perpétuellement nostalgique de mon passé, de ma famille et des pertes accumulées au fils des années. Ma référence sur notre élégance la fit sourire rire et je l’accompagna sans difficultés.

Pourtant je me montrais particulièrement curieuse vis à vis de cette rencontre nocturne. Maddalena ne semblait nullement offusquer de ma requête mais pris tout de même le temps de me répondre.

Finalement j’appris donc qu’elle avait derrière elle plus de huit-cent années d’existence. Je lui sourit doucement alors qu’elle supposa - à juste titre - que j’étais plus âgée qu’elle. Mon sourire s’accentua davantage alors que je remarquais avec amusement qu’elle était aussi curieuse que moi. Je bus une gorgée de vin avant de lui répondre:

“Certes. Vous avez déjà vécus de belle époques en effet… Pour ma part, je foule cette terre depuis quelques décennies supplémentaires. J'avoisine les mille six-cent ans très chère.”

Déjà 1600 années… Parfois les années passaient à une vitesse olle et parfois c’était comme si le temps était suspendu dans le néant. Même si j’avais toujours soif de connaissances et d’érudition, je n’en restais pas moins une athénienne qui avait vu son empire grecque s’effondrer sans pouvoir agir outre mesure. Conservant un regard mélancolique sur le banquet et les convives à quelques mètres de nous j’ajoutais:

“Les humains évoluent et nous restons figés dans le temps. J’espère que d’autres hommes tels que De Vinci sauront voir plus loin que tout cela.”

Dame Salviati était forte respectueuse de ma personne. Je me serais douté qu’elle était au courant de la longévité de mon existence bien avant que je lui en fasse part. Il était coutume pour les vampires d’avoir une haute estime des vampires plus anciens. Pourtant je ne faisais pas partie de ce que l’on pouvait appeler les Anciens. J’étais une vampire millénaire. L’écrire et le penser me donne alors un frisson. Je me sens si ancienne sur cette Terre et pourtant je n’ai pas encore tout vu et tout découvert. Une vie humaine est tellement courte que je comprends pourquoi les humains sont toujours si pressés, toujours si avides d’en apprendre plus. Je pense que je ne pourrais jamais assez remercier Ahmès de m’avoir offert l’éternité pour apprendre.

Jadis mon père m’avait d’ores et déjà octroyé ce droit que peu de femmes avaient : Le droit à l'éducation. En grèce Antique, les femmes n’avaient en aucun cas le droit d’instruction mais mon père avait défié cette coutume pour mon plus grand bonheur. Je me devais de lui accorder au moins ça.

Mes réflexions quelques peu mélancoliques eurent un effet sur la vampire qui se tenait à mes côtés. Son sourire s’effaça légèrement et cela me conforta dans mon idée. Même si elle était plus jeune que moi, elle pouvait comprendre ce que je ressentais. Elle s’exprima à son tour en précisant que les humains ne pouvait nous comprendre. Et je fis un léger signe de tête d’approbation. Elle avait amplement raison. Eux n’avaient aucune idée de la complexité de notre façon de vivre et de voir le monde. A son tour, elle me questionna sur ce qui me plaisait chez les hommes… La question méritait une certaine réflexion et je ne manqua pas de boire une autre gorgée de vin. Mon verre se vidait mais j’avais pris soin de prendre une cruche avec moi. Je le remplis donc à nouveau et en proposant de faire de même avec le verre de ma camarade, je lui répondit:

“Les humains sont fascinants de par leur courte existence. Il ne savent que trop bien que leurs jours sont compter et ils se pressent dans chacune de leurs aventures. Nous avons toute l’éternité alors nous prenons notre temps mais pas eux.”

Je repris une gorgée et m’assit doucement sur un petit muret qui se trouvait derrière moi. Posément je me confessa en faisant attention à mes dires. J’avais pris l’habitude de ne pas trop en dire sur mon passé ou mes véritables origines. Par honte? Je ne crois pas. Par méfiance? Surement. Par la douleur du simple fait d’évoquer ma famille? Assurément. Avec un sourire non dissimulé j‘ajoutais

“J’ai toujours eu soif de connaissances entre autres chose… Mais les arts, leurs découvertes quelles qu'elles soient et leurs écrits sont une véritable inspiration. Comme vous l’avez énoncé, ils y mettent tout leur cœur et toute leur âme dans ce qu’ils font. Cela rend leurs œuvres d’autant plus belles pour des êtres comme nous qui en sommes dépourvus.”

Repensant à Léonard de Vinci, j’eus un léger sourire et j’ajoutais:

“L’oeuvre de Mona Lisa sera je pense une des plus belle en ce moment. Elle restera gravée dans l’histoire.”