C'était un mardi, ou peut-être un mercredi. Benjamin n'avait pas vraiment la mémoire des jours. En tout cas, ce n'était pas le week-end, c'était sûr et certain. Il n'avait pas du tout les mêmes horaires le week-end, il ne travaillait que l'après-midi. Tout ce qu'il savait, c'était que la veille, il avait pris une bonne volée, d'un bêta qui s'était disputé avec un autre et qui avait eu besoin de se calmer. Ça n'avait pas été plus violent que d'habitude, il en était déjà presque remis. Si il n'était pas un loup avec beaucoup d'instinct, on pouvait malgré tout lui reconnaître qu'il guérissait bien plus vite que la moyenne d'entre eux. Un avantage certain...

Mais en tout cas, ne pas être en week-end ne signifiait qu'une chose : il allait pouvoir manger dehors. Et par dehors, cela voulait dire, la majorité du temps, le diner dans le même quartier que Avalon. Benjamin y allait depuis des années, depuis qu'il travaillait comme vendeur en fait. Il y allait au moins une fois par semaine, souvent deux, voire trois. Il aimait bien l'endroit, on y mangeait bien et il y avait cette fille qui était toujours gentille avec lui. Quel était son nom déjà...? Ellie ? Ali ? Melly ! Ce devait être Melinda, son prénom complet, mais Benjamin l'appelait toujours Melly, c'était comme ça qu'elle se présentait.

C'était l'heure de sa pause, alors le loup s'était rendu, comme bien souvent, au diner. Sur le chemin, la tête en l'air, il avait rencontré quelqu'un. Heurté serait un bien meilleur mot. Il s'était excusé, tout en bafouilles et regards fuyants. Les gens ne se fâchaient pas contre lui, en général, ils se rendaient compte qu'il n'était qu'un simplet, ou du moins en avaient-ils l'impression en le voyant si peu sûr de lui, et pardonnaient rapidement. Mais voilà, le loup était perturbé, il se faisait petit pour éviter de rencontrer les épaules d'autres personnes et alla s'asseoir directement au comptoir, comme toujours, quand il entra dans le restaurant.

Son air était presque maussade, comparé à d'habitude, mais c'était uniquement parce qu'il avait la mine basse, pour éviter les regards des gens, rien de plus. Melly s'approcha, tout sourire, comme d'habitude. L'ombre de la jeune femme lui fit relever la tête et son visage s'éclaira peu à peu. On aurait presque pu croire qu'il était un paresseux, son visage bougea lentement, jusqu'à qu'un large sourire s'y dessine et qu'il s'exclame :  « Oh je suis content de te voir ! Je vais prendre comme d'habitude, avec le supplément patates et bacon. » Elle rigola un peu, elle rigolait toujours un peu à ses éclats de joie et de voix soudains. Elle repartit annoncer sa commande et lui ramena la tasse de thé qui allait avec et qu'il commandait toujours, pas de café pour lui, trop amer, trop fort, le thé était bien meilleur.

Cependant, Melly ne s'en alla pas comme d'habitude. Elle resta en face de lui, derrière le comptoir, lui demandant comment il allait, si ça se passait bien au boulot et d'autres questions du genre. Légèrement penchée en avant, mettant en valeur ce qu'elle pensait être ses atouts et minaudant face au loup, on ne pouvait pas dire qu'elle était subtile. Sauf qu'elle n'avait pas affaire à un homme normal, elle avait affaire à Benjamin et lui...Ce genre de signaux, il les loupait à coup sûr, il ne faisait que répondre gaiment à ses questions, sans comprendre où elle voulait en venir, persuadé qu'elle ne discutait que parce qu'elle était gentille. Et que, peut-être, elle avait vu les quelques traces restantes d'une nuit difficile pour la meute, quelques traces sur ses avant-bras, découverts par ses manches retroussés, ou sur le bas de sa mâchoire, même si celle-là n'était presque plus visible maintenant...