D’un coup de main précis, l’homme décapsule sa bière. La bouteille bouge à peine sur la table tandis que la capsule saute, expulsée de son promontoire, pour s’écraser sur le sol de la pièce en plusieurs clic, clic métalliques. Dans un ralenti magnifique, la vidéo remontre l’exploit surhumain de celui qui n’a, à l’évidence, rien de mieux à faire de ses journées que d’user de kung-fu contre une boisson, sauter dans un canapé, une main plongée dans un pot de pop-corn, et regarder un bon match de football américain bien violent.
L’écran échappe soudain au regard de Jesus, penché au-dessus de l’épaule d’un inconnu, pour mater impunément ce qu’il regarde sur son téléphone portable. L’autre n’a pas l’air ravi, les dents serrées, la gueule outrée, et le chauve le fixe en retour, totalement indifférent à ses protestations. Son téléphone à lui n’a pas un écran si grand, prêt à casser à la moindre chute. L’idée, d’ailleurs, de donner un malencontreux coup de main au mauvais endroit, pour admirer le vol plané de l’appareil, arrache un sourire mauvais à l’elfe noir. L’inconnu, lui, n’apprécie pas la grimace du chauve et s’éloigne, non sans manquer de lui cracher quelques insultes à la figure.
Jesus s’étire sur son banc, enfin débarrassé de l’humain à côté de lui. (Précisons qu’il est arrivé avant lui.) Il plonge une main dans son pot de pop-corn chauds, enfourne le tout dans un grand bruit de mastication visant à énerver le plus de public possible et se fait la réflexion que, lui aussi, il décapsulerait bien une bière avec sa main, pour se poser devant un match de football, un combat de MMA ou tout autre sport présentant ne serait-ce que le moindre risque de faire gicler un peu de sang. Néanmoins, l’elfe n’a pas besoin de se lancer dans une telle entreprise pour savoir ce qui finira pas arriver : la bouteille lui explosera entre les mains et regarder la télé, pour une minuscule goutte de sang sur la caméra, finira par le soûler. Il préfère abandonner l’idée aussi vite qu’elle lui est venue.
Un vent frais caresse sa joue au passage d’une robe sombre devant son banc. Le chauve relève les yeux, attiré par le tissu noir qui claque sur les chevilles, accroche l’arrondi de la hanche et souligne la taille fine, juste sous la poitrine bombée. La femme presse un mouchoir sur son nez rouge et recrache la tristesse de la veuve éplorée, dans un bruit discret. Une main masculine vient aussitôt se refermer sur les épaules frêles. Jesus ne détourne pas le regard pour autant, plus attiré par la détresse des humains qui est, pour lui, un véritable délice, que par la beauté de la veuve dans ses atours noir corbeau. Son humanité ne réveille aucune autre étincelle, dans le cœur de l’elfe, que celle de la haine, de la violence et de l’envie de sang, de vengeance.
Le photographe réajuste ses lunettes noires sur son nez, se lève du banc et suit le chagrin de ces parfaits inconnus, attiré par le malheur comme une mouche par une bonne grosse merde. La comparaison ne peut que le faire sourire, alors que ses yeux sombres détaillent les visages tristes, les vêtements noirs, les larmes aux paupières et la morve aux nez. Il pourrait tout aussi bien exploser de rire, au milieu de la procession funèbre, juste pour montrer au monde entier que lui est heureux, quand les autres, eux, croient être tombés au fond d’un ravin.
Il n’en fait rien, docile, et suit les endeuillés jusqu’à la cathédrale, à quelques mètres de là. L’étrange bâtisse arrache un sourire à Jesus qui se sent prêt à entrer, comme chez lui, pour contempler la bêtise humaine face à la domination divine. Cependant, l’elfe noir décide de rester sur le seuil, adossé à la porte, pour mater le cercueil du mort et les pleurs de son entourage. Il pourrait entrer, s’incruster, se faire passer pour une connaissance, lui aussi en peine d’avoir perdu un super ami, mais il préfère rester là où il est. Il n’est pas sûr de pouvoir jouer son rôle jusqu’au bout sans avoir envie d’exploser de rire, de crier à tous ces petits cons tout le bien qu’il pense d’eux et de leurs cérémonies inutiles.
Alors il reste dans son coin, mâchant, un à un, ses pop-corn caramélisés.
Peut-être bien qu’il en a fait tomber un ou deux, par inadvertance, sur le sol de l’église.
Et peut-être bien qu’il en a lancé un sur l’un des tableaux de son cousin le petit Jésus.
Jesus est presque plus obnubilé par le portrait de Jésus, pas très loin de sa position, que par la tristesse humaine qui pue dans la cathédrale, renifle bruyamment et l’attire, pourtant, inexorablement. Le barbu a quelque chose de profondément idiot sur le visage, dans le regard, la position des mains, cette façon débile qu’il a de ployer les épaules pour porter une croix sur laquelle il sera cloué vivant. L’elfe noir doit bien avouer que les humains sont inventifs, quand il s’agit de punir les gens qu’ils ne supportent pas. Mais il sait qu’ils ne pourront jamais rattraper son imagination à lui, et encore moins celle de ses parents.
Le chauve plonge la main dans son pot de pop-corn. Les boules caramélisées lui collent aux doigts, rendent chacun des mouvements de ses mâchoires plus difficiles. Il fait exprès, évidemment, de mâcher fort, la bouche à moitié ouverte, pour énerver les endeuillés les plus près de la porte d’entrée. Quelques regards en biais, d’ailleurs, viennent se poser sur lui pour aussitôt se détourner. À croire que le mort était un saint ! Que le monde va crever avec lui ! Jesus ne veut pas y croire. Aucun humain ne peut avoir tant d’importance.
Dans une nouvelle pichenette plus ou moins maîtrisée, l’elfe noir envoie le prochain pop-corn sur le portrait de Jésus. Le caramel qu’il a, peut-être un peu, juste un petit peu, léché, s’accroche à la toile ancienne. Le chauve, lui, lance les paris. La boule va-t-elle tomber ou tenir bon ? Aura-t-elle le temps de sécher avant qu’on ne la remarque ? Pourront-ils l’enlever sans déchirer ou abîmer la peinture ? Évidemment, il mise sur toutes les options qui énerveront le plus les humains. Peut-être bien qu’il pourrait revenir le lendemain admirer les dégâts…
Jesus entend soudain des pas dans l’allée, alors que, concentré sur le petit Jésus faible qui ne s’insurge même pas de l’attaque injustifiée de l’elfe noir, il grimace à l’attention du tableau. Si Dieu surveille vraiment ses petits humains adorés, ne devrait-Il pas le foudroyer sur place ? Aucun orage n’éclate au-dessus de sa tête, personne ne vient le remettre à sa place, ou essayer de le remettre à sa place. Dieu est une arnaque. Même pas foutu de protéger son propre fils, alors pourquoi s’inquiéterait-il de mortels ?
Alors que la silhouette, dans l’allée, est plus proche maintenant, Jesus détourne les yeux du tableau et détaille le gamin, derrière ses lunettes noires. Il a eu l’espoir fou, pour une petite seconde à peine, de voir apparaître un curé en robe sombre pour lui dire d’arrêter d’emmerder le monde. Mais il ne s’agit que d’un enfant, un adolescent tout petit qui passe à côté de lui en le regardant bizarrement. Ou peut-être pas bizarrement, mais aux yeux de Jesus, c’est ainsi que ce sont passées les choses.
Le gamin a le costume noir du deuil, mais son regard n’est pas si triste que ça. L’elfe noir enfourne une autre poignée de pop-corn sans vraiment s’en inquiéter. Les enfants sont un mystère qu’il ne veut pas résoudre. Il préfère se tenir le plus loin possible d’eux. Très, très loin. Ce qui n’est, malheureusement, pas le cas avec celui-ci, tandis qu’il s’arrête sur le parvis pour allumer une cigarette. Jesus plisse un peu les yeux. Il n’est pas sûr d’avoir vu un briquet dans les petits doigts de l’adolescent. Par quel miracle le feu lui sort de la bouche, maintenant ? La question l’intéresse si peu qu’il détourne les yeux et reprend sa contemplation de la cérémonie.
Sauf que le gamin ne veut pas lui foutre la paix. Jesus se tourne à nouveau vers l’inconnu et mastique ses pop-corn, sans répondre. Qu’est-ce que ça change, qu’il le connaisse ou non ? A-t-il une tête à connaître des morts ? Cette pensée arrache un sourire amusé à l’elfe noir. Oui, en fait, il connaît un bon paquet de gens morts, mais pas vraiment de la même façon que tous ces petits cons coincés dans la cathédrale.
Puisque le gamin a décidé de lui adresser la parole et que Jesus doit bien avouer qu’il se fait profondément chier, il décide d’entrer, lui aussi, dans la conversation. Il coince un nouveau pop-corn entre ses doigts et, d’une pichenette, envoie la boule caramélisée sur le gamin, un grand sourire aux lèvres.
« Bah alors, gamin, ta maman t’as pas appris à pas parler aux inconnus ? se moque-t-il, en s’emparant d’un autre pop-corn qui fait, lui aussi, un vol plané jusqu’à l’adolescent. »
Très fier de lui, Jesus s’écarte de la porte pour approcher de l’autre. Il le toise de haut en bas, sans gêne, et baisse finalement le regard sur son pot de pop-corn. Le chauve a, évidemment, fini par tout manger ou lancer sur Jésus et le gamin devant lui ; il ne reste pas une seule boule caramélisée au fond du pot en carton. Pourtant, Jesus se pare d’un regard presque compatissant et tend le pot à l’adolescent.
« Tiens, pour ta peine, dit-il en essayant de se débarrasser vite du déchet entre ses mains. Et pleure pas, gamin, bientôt ce sera ton tour, t’sais. C’est la vie. »
Jesus n’aime pas les gosses. Il ne le dira sûrement jamais assez. Il déteste ça, ça lui donne des envies de meurtres, de sang, de taper sur les joues pleines, rebondies, d’arracher les beaux cheveux un à un, avec une patience qu’on lui connaît peu. Les gamins, ça a toujours quelque chose à dire, ça a peur de rien ou, en tout cas, ça croit avoir peur de rien. Ça pue, parfois, souvent, presque tout le temps ? Ça fait beaucoup de bruit, ça braille sans cesse, ça fait le malin. Non, décidément, Jesus déteste les gamins. Une bonne gifle, ça remet les idées en place. Un nez cassé, ça force à obéir. Quelques dents en moins ? Ça traumatise à vie. Oh oui, pour ce genre de choses, il aime les gosses. C’est fragile, ça remue sans pouvoir se défendre, ça crie, ça hurle, mais ça fait pas mal. Des petites pichenettes, les coups d’un gosse. Des chatouilles, tout au plus. Alors, face à celui-là, Jesus se pare d’un grand sourire pour résister à l’envie de lui enfoncer la tête entre les épaules, littéralement.
Sauf que le gamin, il fait le grand, avec sa clope coincée entre les dents. Il inspire et expire son poison comme s’il craint rien. Jesus grimace un peu quand la fumée vient sur lui. C’est blanc, c’est moche, ça pue. Un peu comme la tronche du môme devant lui. Lui aussi, il peut souffler, même cracher. Il l’a déjà fait, le fait même très souvent, en vérité. La dernière fois qu’il la fait, c’était sur une elfe blanche, ou presque blanche, qui a fini partiellement chocolat. Du vrai chocolat. Pire qu’un lama, le petit Jesus, et il doit se faire violence pour se retenir de recommencer sur l’inconnu. Un peu de patience, ça sert, des fois, dans la vie. Alors il patiente, il titille un peu le môme qui se prend pour un adulte. Il aime ça, emmerder le monde, Jesus, et il veut savoir jusqu’à quand le gamin pourra se retenir avant de vouloir le frapper. Mais avec ses tout petit bras d’adolescent… quel mal pourra-t-il lui faire ?
Le gosse a un regard étrange. Jesus s’y plonge un instant. Il cherche, dans ses yeux bleus, l’impression de déjà-vu qui le prend au ventre, lui hurle à l’oreille de continuer, de pousser le gamin à bout. Puis, finalement, il abandonne. Il se dit que c’est juste un regard d’enfant pourri gâté. Un bambin bercé trop près du mur ou devant une télévision branchée sur les guerres, les crimes, le sang. Un peu comme lui, peut-être, oui. Mais il sait que ça reste juste un enfant, un môme qui se prend pour le maître du monde mais qui, face à la véritable peur, face à un vrai meurtrier, pissera dans son froc. Alors, il abandonne l’idée de le voir exploser, de découvrir un tueur-né. Les humains sont bien souvent décevants, il préfère ne pas avoir d’attentes. Ce, même si le regard du gamin, il doit bien l’avouer, ressemble à celui qu’il voyait, dans le miroir, au même âge…
Le voilà qui se rebelle ! Jesus rit et reprend son paquet de pop-corn vide. L’autre n’en veut pas, tant pis. Il hésite, une seconde, à lui mettre de force sur la tête. Finalement, il préfère le lancer dans un coin du parvis de l’église. Un déchet devant ce qui s’apparente à une grosse benne à ordures (vu le nombre de macchabées dans le cimetière, la comparaison n’est pas si exagérée), ça trouve sa place comme un elfe blanc dans une blanchisserie. Débarrassé de son fardeau, le chauve accueille la fumée, volontairement crachée sur lui, d’une grimace dégoûtée qui se transforme en indignation suprême alors que le mégot vient s’écraser contre sa belle chemise noire. Il panique un peu, chasse la cendre sur son beau tissu à grands coups de mains, au mépris total du mégot qui lui brûle, à peine, un doigt. Alors, comme ça, on se permet de l’attaquer ? D’attaquer ses vêtements parfaits ? Jesus relève les yeux sur l’adolescent et sourit, d’un sourire dépourvu d’amusement. Du moins pour quelques secondes. Très vite, l’elfe noir pétille de joie, d’excitation et d’envie de le lui faire regretter en l’emmerdant comme on ne l’aura certainement jamais emmerdé de toute sa vie.
« Oooh, petit bébé pas content ? Et tu comptes faire quoi, hein ? Me frapper avec tes tous petits poings ? C’est con, regarde. Si je fais ça, tu peux même pas m’atteindre. »
Jesus pose une main sur la tête du gamin et tend le bras. Il rit de sa connerie et secoue un peu cette affreuse tignasse avant de pousser fort sur le front, pour faire reculer le môme. Il a très envie de tirer sur ces grosses joues qui se permettent de le menacer lui. Néanmoins, il se perd un instant, encore, dans ces yeux bleus qui le fixent. Il est certain d’avoir déjà vu quelque chose de semblable quelque part, ailleurs, dans un autre temps, certainement. Alors, il soulève un peu ses lunettes noires et plisse les yeux pour détailler cette tête à claques. Un regard aussi mauvais, il n’en a pas vu souvent et, la plupart du temps, ils ont perdu de leur vilenie à l’instant où ils croisaient la route d’un elfe noir déchaîné, sans limite, comme un fauve lâché contre ses tortionnaires. Ou un petit Jesus lâché contre des nazis.
« Dis donc, la mocheté, t’aurais pas deux/trois ancêtres nazis ? Du genre très vilains, très laids, qui ont très mal fini… ? »
Jesus est tant concentré sur le regard de l’adolescent qu’il en oublie presque qu’il n’est pas tout seul, sur le parvis de l’église, accompagné d’une paire d’yeux familière. L’image a peut-être de quoi gêner un humain et lui faire crier que c’est absurde ! Mais, lui, en digne elfe noir qu’il est, pourrait bien se retrouver, un jour, seul avec une paire d’yeux à mater, sans qu’il n’y ait aucun corps autour. Peut-être même qu’il l’a déjà fait. Avec une vie comme la sienne, on en oublie facilement tous les méfaits que l’on a faits.
Il sait qu’il a déjà vu une lueur aussi mauvaise ailleurs. C’est un regard particulier, une envie de meurtre qui dépasse le stade de l’envie physique, du besoin inscrit dans la chair. C’est, un peu comme lui, une soif de sang qui trouve sa source beaucoup plus loin, tout au fond de l’âme. Néanmoins, Jesus peut le jurer, le cracher s’il le faut : il n’a jamais vu d’elfe noir avec les yeux bleus. Lui-même, s’il était né ainsi, aurait sûrement fini suicidé. Quoi que… à bien y penser, ses parents l’auraient sûrement achevé avant, persuadés de lui faire une faveur.
Un regard aussi malsain, Jesus en a déjà vu sur les nazis de la guerre de 39/45. Évidemment, ces gens-là faisaient les malins, à l’époque, mais ils ne tenaient pas longtemps devant lui. Aucun humain ne peut rester foncièrement mauvais devant une promesse de mort lente et des tortures terribles. Même pas des Allemands aussi cinglés que ceux-là. Alors, l’elfe noir tente quand même le coup, mais est presque sûr de ne pas avoir trouvé la bonne réponse.
L’envie du gamin d’énerver le chauve le fait sourire. Il a très envie de lui répondre qu’il sait parfaitement utiliser les organes vitaux des autres, mais il n’est pas sûr qu’un sale gosse puisse comprendre ce qu’il entend par là. Avoir le cœur sur la main, est une expression que Jesus affectionne tout particulièrement. Mais il sait que peu de personnes au monde savent véritablement ce que ça fait de tenir un cœur chaud entre ses doigts, de le sentir essayer de se débattre une dernière fois et éjecter son sang. Il se souvient, lui, du dernier rebond du palpitant et se perd, un instant, dans ce délicieux souvenir. Il pourrait peut-être expliquer à cette affreuse frimousse ce que ça fait, mais il n’y a rien de mieux pour apprendre que la pratique, non ?
À deux doigts de craquer face à son envie de faire taire le môme, Jesus fronce un peu ses sourcils imberbes et prend le temps de comprendre qui est ce « charmant Iggy ». Il ne voit aucun charmant à l’horizon et le visage enfantin de l’adolescent est trop laid, à ses yeux à lui, pour que l’information lui paraisse évidente. Il pense, d’abord, au fameux mort qui attend sa messe dans la cathédrale. Peut-être que c’est lui, le charmant Iggy, un humain qui s’est pris pour un saint et qui a dû le regretter le moment de mourir venu. Le père du môme, peut-être. Et le détachement du gamin face à la mort ne peut que faire écho à ce détachement face à l’héritage de sa famille. S’il n’aime pas son daron, alors pourquoi pleurer sa disparition ou connaître ses ancêtres ? Tout est plus ou moins logique.
Puis vient la suite sur son prénom et Jesus se pare d’une pokerface magnifique, le temps que l’information fasse le tour de sa boîte crânienne et lui revienne en pleine gueule. Si tout se débloque enfin dans son cerveau, le chauve ne retient, en vérité, qu’une seule et unique information de l’incroyable coïncidence qui l’a jetée, à nouveau, sur la route d’un démon. Une information qui, inévitablement, le fait exploser de rire et se tordre en deux sous la puissance de son fou rire.
Si Jesus pensait pouvoir maîtriser son hilarité, il se rend bien vite à l’évidence : c’est impossible. Ses abdos le font souffrir et l’air lui manque un peu. À genoux devant le môme, il s’accroche à ses vêtements comme un torturé supplie son bourreau de le tuer. Ce qui s’apparente un peu à de la torture alors que l’elfe sent tout son crâne le chauffer et les larmes lui monter aux yeux. Il lui faut plusieurs minutes pour se calmer. Jesus masse alors ses joues mises à mal par le rire et se relève en s’appuyant impunément sur le gamin qui, de toute façon, n’en est pas vraiment un. De nouveau debout, très près du môme, il pince et tire un peu sur les grosses joues qui lui font face.
« Bébélial est bougon ? » (Il mime un enfant boudeur, les yeux brillants de larmes.) « Pas content d’avoir une tête de bébé ? Avoue… être un nazi, c’était quand même plus fun ! Et tu leur as dit, à tes petits-copains, que t’as piqué le corps d’un gamin ? J’suis sûr que ça va bien faire marrer tout le monde ça aussi… »
Lui, en tout cas, se poile bien alors qu’il recule et se fend d’un nouveau rire amusé. La curiosité l’emporte un peu sur l’hilarité et Jesus se demande si, dans ce corps aussi, Bélial peut le tuer, lui faire mal, le frapper aussi fort que ce jour où ils se sont rencontrés dans une forêt française. Mais la tête de gamin du démon le perturbe et amène, sans cesse, sur ses lèvres, un grand sourire amusé. Passer d’un grand tueur allemand à… ça… Vraiment, l’elfe noir ne peut pas comprendre et a du mal à se retenir de rire.
« Oh, allez… Te mets pas à pleurer, Bébélial, où je vais devoir te trouver une tototte pour te détendre, se moque-t-il en regardant, autour de lui, s’il n’y a pas une poussette à qui voler tétine. »