Une fois que Prosper est parti, j'attends quelques secondes pour être sûre qu'il n'est plus du tout dans les parages. Je ramasse ensuite mon téléphone et appelle directement Jesus.
- C'est Myranda ! Il est parti après avoir poussé un cri de douleur ! Je ne sais pas où il est allé mais il est parti. C'était un piège ! Je ne comprends rien Jesus ! Il se passe quoi ? Je fais quoi ?
Jesus me répond qu'il sait et qu'il arrive. Comment ça il sait ? Je ne comprends rien... Et est-ce une bonne idée de venir me rejoindre ? C'est peut être encore un piège de la part de Prosper... Il raccroche.
Ne sachant pas trop quoi faire en attendant Jesus je commence par ramasser tout ce qui traîne, je souhaite retirer toute trace de la venue du démon. Je termine de ramasser les bouts de verre. Je nettoie également les traces de son sang au sol. Je jette tout ce qu'il y a sur la table basse et surtout je n'oublie pas de mettre du sel devant la porte de mon appartement et par réflexe je le fais également devant chaque fenêtre. Je ne veux pas prendre de risque.
L'appartement sent la javel mais ce n'est pas grave, au moins tout est propre. je tape sur les coussins du canapé pour qu'ils soient bien mis. Ne voyant pas Jesus arriver je file sous la douche. je me sens sale moi aussi. Je me déshabille rapidement et laisse couler l'eau brûlante sur ma peau. Je prends mon éponge de bain pour frotter partout, j'insiste surtout sur la marque qu'Asmodée m'a faite, comme si elle pouvait disparaître grâce à l'eau et au savon... Ma panthère est calme et essaie de m'envoyer des ondes positives. Elle a raison, au moins nous sommes unies elle et moi mais... A quel prix? Je sors rapidement de la douche, m'essuie et sors nue de la salle de bain en direction de ma chambre pour enfiler un short de pyjama puis la chemise qui va avec.
Jesus a décidé de prendre du bon temps. Et par « bon temps », évidemment, il n’est pas question de s’allonger sur la plage pour se dorer la pilule au soleil. Voilà trop longtemps que l’elfe noir prend des coups sans jamais les rendre. Il sent, au fond de lui, sa haine qui bout, qui s’agite, qui lui impose de s’écarter de Los Angeles. Comme à son habitude, il se contente donc de disparaître, pour quelques jours, sans prévenir personne autour de lui. Qui pourrait-il prévenir ? Il est persuadé que personne ne s’intéressera à son départ. Une semaine ou deux, qui pourrait le remarquer ? Ce n’est pas comme s’il ne prenait pas son téléphone après tout, dans le but de pouvoir répondre à quelques SMS, si le cœur lui en dit.
Mettre le cap sur une autre ville que la cité des stars n’est pas chose aisée quand, comme lui, on a déjà tapé dans tout ce qui est à côté. Jesus ne veut pas retourner dans un quartier qu’il a déjà visité. Une prudence salutaire pour le genre de vacances qu’il compte prendre là-bas. Il lui faut s’écarter un peu plus de Los Angeles et d’Hollywood. C’est ce qui le maintient loin de l’appartement confortable de Myranda tout ce temps.
Taper sur le premier gars qui croise sa route n’est pas, non plus, ce que fait Jesus. Il doit choisir, prendre quelqu’un d’isolé, attendre la nuit, se couvrir d’ombres. Ça lui demande du temps, de la concentration et il en oublie vite de s’inquiéter du téléphone portable, dans sa poche. Jusqu’à un SMS qui vibre et qu’il regarde d’un œil distrait, trop intéressé par sa future proie pour y faire vraiment attention. Du moins, jusqu’à ce qu’ils lisent les mots de Myranda. Une surprise ? L’elfe noir n’est pas sûr d’aimer ça. Il aime se préparer, non pas être pris en traître. Son côté prédateur, sans doute. Si l’invitation de la métamorphe est alléchante, Jesus voit, finalement, sa victime sortir du bar et s’enfoncer dans une allée obscure. Il n’a pas le temps. En quelques touches, il indique à Myranda qu’il ne viendra pas.
Il serait sans doute venu, dans d’autres circonstances, mais là, l’elfe noir a besoin de se défouler. Il a déjà tabassé un autre homme, à la sortie d’une discothèque avant-hier, mais le combat s’est fini trop vite, l’elfe noir est resté sur sa faim. Il a besoin de plus, beaucoup plus, ou il ne pourra pas revenir à Los Angeles comme si de rien n’était et finira par s’acharner sur un habitant de la ville des stars. Très mauvaise idée.
Occupé à tabasser un nouvel humain, ses ombres chéries tout autour de son corps pour le protéger des témoins, Jesus reçoit un appel, cette fois, qui le fait grogner comme une bête enragée. Il a très envie de lui dire d’aller voir ailleurs s’il y est, puisqu’il a bien précisé qu’il est occupé, mais il n’a pas le temps de s’énerver qu’une autre voix s’élève du portable. Ce n’est pas Myranda. Un homme qui s’adresse à lui comme s’ils étaient amis. Jesus se fiche pas mal de savoir qu’un autre homme a, en sa possession, le téléphone de la panthère. C’est une grande fille, il sait qu’elle peut se défendre toute seule et n’est pas jaloux pour un sou. Néanmoins, les mots, eux, le mettent en rage. Il sait qui lui parle, de quoi, et ce qu’il sous-entend de sa relation avec Myranda. Le feulement de la panthère, au bout de fil, ne fait que confirmer ses propos. Jesus n’est pas jaloux, mais il est possessif et il est hors de question de laisser un démon aussi pourri que celui-ci s’en prendre à la métamorphe. Que peut-elle faire, contre lui ? Asmodée a la fâcheuse tendance à utiliser son pouvoir de persuasion pour forcer n’importe qui à faire n’importe quoi.
Sauf que Jesus connaît un bon moyen de pression.
Sans plus attendre, l’elfe noir abandonne sa victime, lui vole sa voiture et conduit jusqu’à Los Angeles, à toute vitesse. Il s’était, heureusement, rapproché de la ville des stars au cours de son voyage défouloir. Il ne lui faut guère de temps, à cette vitesse, pour rejoindre Los Angeles. Le plus dur, maintenant, est de localiser Amanda, ce que Jesus fait en se basant sur ce qu’il sait de la dame. Un coup de chance, certainement, la met sur la route de l’elfe noir en moins de temps qu’il ne l’aurait cru.
Amanda était un témoin gênant, un jour que Jesus a laissé éclater sa haine dans les rues de L.A.. Il voulait s’en débarrasser à tout jamais, comme il le fait à chaque fois, mais la marque, sur la peau de l’humaine, l’en a dissuadé. L’elfe noir ne porte pas Asmodée dans son cœur, bien qu’il soit un démon, et il sait que son sentiment est partagé. Ce qu’il sait, aussi, c’est que la souffrance de ses possessions amène le démon sur-le-champ. Alors Jesus s’est trouvé un nouveau jeu, qui commencera dès aujourd’hui : tabasser la pauvre Amanda jusqu’à ce que le démon rapplique. Évidemment, le temps qu’il se pointe, Jesus sera déjà parti, juste pour l’emmerder un peu et tester les limites de ce lien, entre eux.
C’est ce que l’elfe noir fait sur la militaire, pour s’assurer qu’Asmodée abandonne Myranda. Il frappe, frappe, frappe encore, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans les ombres et la laisse dans un piteux état. La panthère ne tarde pas à l’appeler pour lui dire que l’autre est parti. Par réflexe, Jesus lui dit qu’il sait et qu’elle doit jeter du gros sel, dans son appartement, pour s’assurer qu’il ne revienne pas. Évidemment, l’elfe noir est persuadé qu’il ne reviendra pas tout de suite. Un cri de douleur, a-t-elle dit, ce qui a le don de faire sourire l’elfe noir. Une bien belle vengeance, sans le moindre doute.
Jesus file alors jusque chez Myranda. Il abandonne la voiture volée avec Amanda et se contente des moyens de locomotion de la ville. Quand il arrive à l’appartement, il ne pense pas à frapper. L’elfe noir s’engouffre immédiatement dans le salon, tout le corps recouvert d’ombres qui ondulent. Il se tient prêt, juste au cas où le démon soit assez bête ou intelligent, pour comprendre que Jesus voulait juste faire diversion, l’occuper ailleurs pour qu’il cesse d’emmerder sa panthère préférée.
« Myranda ? appelle-t-il, immobile au milieu du salon. »
Il avise les lignes de sel, le long de la porte et des fenêtres. Mais il ne voit pas la métamorphe, pour l’instant, et d’instinct, fait apparaître une dague, dans sa main, qu’il cache le long de son bras, juste au cas où. Il ne s’inquiète pas plus des quelques taches de sang, sur ses vêtements noirs, et sonde à nouveau la pièce du regard, pour s’assurer qu’aucune « surprise » n’essaie de le prendre à revers. Jesus se tient prêt à faire appel à ses ombres pour se défendre du démon ou de ses sbires.
Je frotte le plus fort possible sur la marque. J'aimerais la faire disparaître juste comme cela même si je sais que c'est impossible. Je réussi juste à rougir ma peau et laisser des traces de griffure qui disparaissent presque immédiatement... J'ai si peur que Jesus ne la découvre... Maintenant que j'ai compris que Prosper / Asmodée est un ennemi de Jesus, un vrai salopard je regrette un peu mon pacte mais je me dis aussi qu'au moins je vie sereinement avec ma panthère pour la première fois de puis notre naissance.
En sortant de la douche je me dis que le temps passe vraiment lentement. Où est Jesus ? Pourquoi n'est-il pas encore là ? Depuis quand Asmodée est parti de mon appartement ? Je ne saurais le dire, mais j'ai l'impression que cela fait déjà deux ou trois heures alors que c'est impossible. Enfin je crois. Je ne sais pas combien de temps j'ai mis pour ranger l'appartement et pour me doucher... J'ai hâte qu'il arrive même si cela veut dire que je vais devoir lui montrer la marque. Ou peut être pas. Je ne sais pas ce que je dois faire. Mais je me dis que tôt ou tard il finira par la découvrir... Il m'arrive d'être nue devant lui il ne faut pas l'oublier... Et plus vite il le saura mieux cela passera non ? C'est comme un pansement, plus ça va vite plus cela fini rapidement... Mais j'ai si peur de sa réaction... Ou peut être qu'il réagira bien, ou tout du moins qu'il s'en moquera... Je ne sais pas du tout... Toujours est-il que ce moment va être compliqué pour moi... J'ai tellement peur de le décevoir, de voir de la pitié dans son regard...
Je me dirige finalement dans ma chambre, j'enfile mon pyjama deux pièces. Au moment où je boutonne ma chemise j'entends la porte s'ouvrir... J'arrête de bouger, je fais le moins de bruit possible, je retiens même ma respiration. Et si Asmodée était revenu pour s'en prendre à moi afin de faire venir Jesus ? Non logiquement il ne peut pas entrer dans mon appartement, j'ai mis du sel devant la porte... J'entends soudain une voix m'appeler. Je la reconnais immédiatement. Jesus ! C'est Jesus ! Il est là... Il est venu... Je sors de ma chambre d'un pas rapide et me retiens de me jeter dans ses bras. Je ne remarque pas sur le coup qu'il a des tâches sur ses vêtements. Je m'approche de lui, me retenant de le toucher.
- Merci d'être venu... Je... Je n'ai rien compris de ce qui s'est passé ! Il a dit qu'il était ton ami ! On s'est croisé un jour et il savait qu'il se passait un truc entre toi et moi. Asmodée m'a dit que tu lui avais raconté notre histoire et que vous étiez des amis de longue date. On s'est vu deux ou trois fois. C'est pour ça qu'il était à la maison. Il avait envie de te voir et de te faire une surprise mais tout a dégénéré. Je ne comprends pas...
J'ai parlé vite, d'une seule traite. Mais j'ai omis de lui parler pour l'instant de la marque du démon sous mon sein. Je ne sais pas comment entamer ce sujet. Ce n'est pas évident de lui avouer que j'ai été une petite idiote sans cervelle... Pactiser avec un démon... Si mes collègues savaient je crois que j'aurais de gros problèmes et Morgana m'aurait passé un savon comme jamais... Venant de Jesus je m'attends à ce qu'il me hurle dessus et qu'il parte en claquant la porte. Je pense que je l'aurais bien mérité... J'ai été mais tellement conne ! J'ai eu une confiance aveugle envers Asmodée parce que je pensais qu'il était ami de l'homme que j'aime... Beaucoup, que j'aime bien quoi et que j'avais l'impression de me rapprocher un peu plus de lui. Et puis faire la paix avec ma panthère me semblait une très bonne idée sur le coup... Le pacte me semblait équitable...
N'arrivant plus à regarder Jesus en face je vais m'installer sur le canapé, me faisant la plus petite possible. Je plie mes jambes devant moi pour poser mes bras sur mes genoux et ma tête sur mes bras. Il faut que je lui avoue tout, mais les mots refusent de sortir... Je jure que je veux lui dire mais rien ne sort. J'ouvre la bouche une fois, deux fois mais non rien... Je n'ajoute rien pour l'instant... Je pourrais simplement lui montrer mais je dois le préparer à cela... Je ne sais pas comment faire.
Jesus n’est pas le même que d’habitude, à l’instant où il se tient debout, au milieu de l’appartement de Myranda. Il n’est pas la princesse en détresse qui s’amuse avec son petit prince, avec ses émotions et sa panthère noire. Finis les blagues, l’humour, les ricanements. L’elfe noir n’a pas envie de rire, pas avec un démon dans les parages. Même s’il sait qu’Asmodée est occupé à s’occuper de sa petite Amanda, il ne se détendra pas tant qu’il n’est pas certain que le démon n’a pas envie de revenir au galop pour se venger de ce qu’il a fait. Alors, le chauve reste debout au milieu du salon, plus sombre que jamais, recouvert d’ombres qui ondulent, comme de la fumée sur ses épaules. Ses poings sont serrés sur la haine et le besoin de s’écraser sur le monde. Il a très, très, très envie de faire parler sa colère et pourrait bien s’en prendre à n’importe quoi ou n’importe qui, si Myranda ne lui répond pas.
Il entend, néanmoins, du bruit dans la chambre et relève ses yeux pour les poser sur la porte. La dague, le long de son bras, s’enfonce un peu dans sa peau. Il se tient prêt à bondir sur celui qui apparaîtra. Rien ne lui jure, après tout, que ce n’est pas le démon ou l’un de ses sbires, qui s’est amusé à jeter du sel partout, pour faire croire à Jesus qu’il n’y a plus aucun danger dans l’appartement. Tant qu’il ne s’en sera pas assuré lui-même, l’elfe noir ne relâche pas sa garde, les mâchoires serrées sur l’envie de sang. Il n’y a que peu de choses au monde qui l’énervent vraiment. Être arrêté en plein jeu pour une histoire de bonne femme, en fait partie. Devoir marquer son territoire pour ne pas se faire piquer, une nouvelle fois, ses proies, en est une autre. La présence d’Asmodée dans sa vie, également. Il rêve du jour où il pourra s’en débarrasser à jamais et pense, déjà, à pactiser avec un médium, un putain d’humain, pour faire sa fête à ce petit démon de rien du tout. Un démon même pas foutu de faire du mal à un humain, ça ne peut plus s’appeler, fièrement, un démon.
La tête qui apparaît dans le salon est brune et Jesus relâche un peu sa tension. Ses ombres ne disparaissent pas totalement de ses épaules, sur ses bras, mais elles se calment un peu. Il attend, les yeux fixés sur Myranda, de savoir s’il y a quelqu’un d’autre, dans la chambre de la métamorphe. Serait-elle prête à lui mentir, à lui faire croire que tout va bien si, dans l’autre pièce, elle était accompagnée d’un sbire d’Asmodée ou du démon lui-même ? Il en doute et, sans entendre le moindre bruit, décide de laisser tomber. Son adversaire a fui pour de bon, attiré par la douleur de sa nouvelle protégée. Jesus retient le sourire cruel que ça a presque attiré sur ses lèvres. L’amour du démon, pour ses humaines, finira par le tuer, il en est persuadé.
La dague disparaît, dans sa main, et Jesus se concentre sur la métamorphe. Elle n’a pas l’air blessée, seulement bouleversée et l’elfe noir ne comprend pas bien ce qui a pu se passer. Ce n’est pas la vengeance à laquelle il s’était préparé. Il pensait retrouver Myranda en pièces détachées, impossible à recoller. Ou que le démon se serait servi de ses pouvoirs moisis pour la contrôler, la forcer à le foutre à la porte ou essayer de le tuer. Ce qui aurait été le pire, puisque Jesus n’aurait eu aucun autre choix que de se défendre. Et entre sa vie et celle du gros chat, malheureusement… l’elfe noir n’hésiterait pas ou pas longtemps. Il n’en est rien. La métamorphe est presque en trop bonne santé, ce qui met la puce à l’oreille de Jesus. Il doit y avoir autre chose, il ne peut pas croire qu’Asmodée se soit contenté de squatter le canapé. Mais que peut-il y avoir d’autre ? Il est loin de se douter que la panthère ait ressenti le besoin de passer un pacte avec un démon.
Lui non plus ne comprend rien à ce qu’il se passe, encore moins aux idioties que lui débitent Myranda. Il préfère mettre ça sur le compte de la panique. Les humains sont trop faibles, sujets à des sentiments que lui ne connaît pas (ou qu’il aime faire genre que non, en tout cas). Cette histoire d’amis fait danser plus vite les ombres sur ses épaules. La suite n’a pas plus de sens à ses yeux. Ce truc entre eux ? Leur histoire ? Jesus est perdu et plisse les paupières, comme si ça peut l’aider à piger ce qu’elle raconte. Deux ou trois fois qu’elle rencontre un démon et la métamorphe n’a rien ? Même pas une petite égratignure ? Il aurait presque envie de dire qu’il a du mal à y croire, mais Jesus connaît Asmodée. Déjà à l’époque, le démon n’avait pas voulu blesser son humaine, il s’était contenté de la mettre K.O.. Ce n’est pas le meilleur démon que l’elfe ait connu, ça c’est certain.
« Je n’ai pas d’amis, grince-t-il, en regardant Myranda s’installer sur le canapé, comme une enfant traumatisée. Enfin… si, un seul, et ce n’est pas un putain de démon. Les démons ne sont amis avec personne. Ils profitent, ils piétinent, ils se fichent de tout le monde. »
Ce qui rapproche les démons de Jesus, mais il ne dit rien là-dessus. Lui non plus n’a jamais eu d’ami. C’est tout récent, à cause d’un oisillon tombé entre ses mains démoniaques. Une chose si fragile que Lucifer lui-même n’oserait pas lui faire de mal, le chauve en est persuadé. De toute façon, il ne le laissera même pas essayer. Maintenant que Lucas est tombé de son nid à la tanière du tigre, il peut toujours essayer de s’échapper… C’est un peu tard pour y penser.
« Asmodée et moi… Disons que s’il avait plus de courage, il m’aurait déjà tué. » (Ce qui le fait sourire, alors qu’il s’approche du canapé.) « Je ne l’ai pas vu depuis cinq ans et nous n’avons jamais été amis. Jamais. »
Jesus se souvient de la sorcière vaudou qu’il a maltraitée, de ce jour où il a compris que la marque d’Asmodée, sur un humain, attire le démon à l’instant où l’humain est menacé. Maintenant qu’il a trouvé Amanda et que le démon a décidé de lui déclarer la guerre, Jesus ne va pas se gêner pour aller taper un peu dessus et s’amuser. En attendant, l’elfe noir s’arrête devant Myranda et se penche pour être à sa hauteur. Ses ombres sont moins présentes, mais ne l’ont toujours pas quitté, pas tant qu’il ne sera pas certain qu’Asmodée est, bel et bien, le démon de pacotille qu’il a toujours été.
« Regarde-moi, exige-t-il, d’un ton sans appel. Est-ce qu’il t’a touchée ? Est-ce qu’il t’a blessée ? Tu sais qu’il ne faut pas croire un démon et certainement pas accepter les conneries qu’il a pu te débiter… n’est-ce pas ? »
L’elfe noir se fiche bien d’avoir l’air menaçant ou non, il veut juste des réponses, pour comprendre ce qui est arrivé. Un démon, même comme Asmodée, reste un démon. Et ils sont trop contents de pouvoir passer des contrats moisis et d’arracher l’âme des humains à tout va. Jesus ne veut pas laisser faire ça. Myranda, c’est son jouet à lui et à personne d’autre.
Au fur et à mesure que je m'approche de lui je me rends compte qu'il est accompagné de ses ombres. Il doit être dans une colère noir et se tenir prêt en cas de danger, mais Asmodée est bel et bien parti, du moins je suis certaine qu'il n'est plus dans l'appartement. Mais j'avoue ne pas savoir où il est allé ensuite... Est-ce qu'il rode dans les environs ? Attend-il patiemment dans un recoin que Jesus ressorte ? Je décide d'expliquer tout à Jesus, pour qu'il comprenne bien les choses. Il m'écoute tout en me regardant. Je suis sûre qu'il cherche à voir si le démon m'a fait du mal. Mais non, il ne verra rien. Il cherche des blessures, mais il ne s'attend pas à voir ce que je vais lui montrer tout à l'heure... Il ne va pas s'attendre à la marque sinon je pense qu'il l'aurait déjà cherché. Il doit se dire que je ne suis pas assez bête pour pactiser avec un démon...
Pourquoi il fronce les sourcils lorsque je parle de notre histoire ? Je n'arrive pas à comprendre ce que cela veut dire et je préfère le mettre de côté pour l'instant, je n'ai pas besoin de rajouter des interrogations à celles que j'ai déjà. Pendant que je m'installe sur le canapé Jesus m'annonce qu'il n'a qu'un seul ami. Un, donc je ne fais même pas partie de ces amis... Encore un sujet que je préfère mettre de côté pour l'instant... Je préfère ne rien répondre à ce qu'il me dit pour l'instant. Il faut que je cherche à savoir comment lui annoncer pour la marque. Il s'approche de moi. Il m'avoue qu'Asmodée veut tuer Jesus... Cela me paraît tellement logique maintenant. J'ai oublié un peu trop vite qui j'ai en face de moi... J'ai oublié le gros dossier que j'ai caché sur l'elfe noir... Ce n'est pas un gentil et forcément il a des ennemis... Qu'est-ce que j'ai été bête. Je lève les yeux au ciel et pousse un soupir. J'ai vraiment été stupide sur ce coup. Je me retiens de fermer les yeux et de secouer la tête d'un air dépité. Il ne comprendrait pas pourquoi je fais cela. Et je ne veux pas lui expliquer qui je suis réellement et tout ce que je sais sur lui... Ce n'est vraiment, mais vraiment, pas le moment d'avouer cela.
Il se met à ma hauteur. Je lève un peu les yeux pour le regarder. Je vois ses ombres danser sur lui, je cesse de les fixer lorsqu'il me demande de le regarder. Je déglutis et monte un peu plus la tête pour plonger mon regard dans le sien. Je suis mal à l'aise. Il ne plaisante pas du tout, il est bien trop sérieux... Il veut savoir ce que le démon m'a fait. Il ne m'a pas touché... Non, il n'a rien tenté sauf quand je l'ai griffé... Mais il a fait pire au final et seulement par ma faute... J'ai cherché moi-même les ennuis... Mais comment lui avouer ? Je ne peux pas... Comment lui dire ? Putain... Je baisse mon regard. Je ne veux pas lire la déception dans ses yeux lorsque je lui aurais dit la vérité... C'est bien trop dur...
- Il m'a seulement plaqué contre la porte après qu'on l'ait griffé au visage...
Je garde le silence une seconde ou deux. J'inspire profondément et expire lentement puis je lui avoue... Que c'est dur... Je ne sais même pas pourquoi... Pourquoi sa réaction me fait si peur ? Pourquoi j'ai si peur de le décevoir ? Est-ce que j'ai des sentiments pour lui ? Non... Si... Eh merde...
- Je... J'ai... J'ai passé un pacte avec lui... Il m'a aidé à vivre en harmonie avec ma panthère en échange je ne peux pas parler de ce pacte sauf avec toi... C'était la seule contrepartie du pacte... Cela me paraissait honnête...
Je cligne plusieurs fois des yeux. Je dois retenir mes larmes. Ce n'est pas le moment de paraître faible, de me faire passer pour la victime. Je suis la seule coupable et je suis prête à subir la réaction de Jesus... Je suis prête à l'entendre s'énerver et m'abandonner ici... Je le mérite...
Jesus ne sait pas à quoi il doit s’attendre. Il a envie de croire que sa dernière rencontre avec Asmodée a suffi à faire comprendre au démon qu’il ne faut pas jouer avec l’elfe noir et ses possessions. Il a, pourtant, tout à la fois, très envie de voir que ça ne le retient pas, pour prouver qu’il est vraiment un démon et pas à moitié un humain. Néanmoins, il aurait préféré que le démon n’essaie pas de le lui prouver sur Myranda. La métamorphe n’a rien à voir dans cette histoire entre les deux cinglés qu’ils sont. Elle ne sait même pas ce qui s’est passé, à l’époque, et Jesus doute qu’elle sache quoi que ce soit à son sujet, ni même à celui d’Asmodée. Il ne sait toujours pas qu’elle est de la BACS, après tout, ce qui changerait tout à la donne.
Ses yeux sombres, presque noirs à cause de la colère, sont fixés sur la panthère. Il a très envie de l’entendre nier, dire qu’il n’a rien fait, qu’Asmodée n’est qu’un démon tout pourri qui se prend pour un humain lambda, incapable de toucher un cheveu des humains qu’il squatte depuis trop longtemps. Il sait, au fond, que c’est impossible. La haine du démon à l’égard de l’elfe noir est, sans aucun doute, aussi puissante que celle du chauve pour Asmodée, dont il ne connaît pas l’apparence actuelle. Un point sur lequel il devra revenir prochainement, pour ne pas se laisser surprendre par son ennemi du moment. La haine, entre eux, a sûrement poussé le démon à s’en prendre à Myranda, de quelque manière que ce soit. Jesus a très envie de croire que la panthère est assez intelligente pour ne pas se laisser avoir par un pacte, une vieille promesse pourrie faite par un démon. Quelle valeur ça a, ce genre de promesse ? Au moins autant que les promesses de l’elfe noir quand il ne s’agit pas de faire souffrir quelqu’un : moins l’infini.
L’elfe noir voit le dilemme dans les yeux de Myranda et grimace, dévoilant ses dents serrées sur la colère. Il ne veut pas l’entendre mentir, ne sait pas lui-même ce qu’il serait capable de lui faire pour lui arracher la vérité. Il n’a pas très envie de la blesser, une pensée qui l’étonne lui-même mais qu’il accepte presque trop facilement. Néanmoins, il a besoin de la vérité, pour pouvoir s’adapter et se venger correctement sur le petit Asmodée. Il ne doute pas que, quoi qu’il ait pu arriver, Amanda le sentira passer, même si elle n’a rien demandé. Après tout, Myranda, non plus, n’a rien demandé.
Les yeux de la métamorphe sont tombés et Jesus détourne les siens pour regarder la porte qu’elle mentionne. Plaquée contre la porte ? C’est bien Asmodée, ça. Se venger d’une belle claque par une toute petite prise de rien du tout. Il est presque déçu de ne pas avoir été là pour admirer la joue en sang du démon. Ça devait être beau à voir et bien fait pour sa gueule. Néanmoins, la suite des mots de la métamorphe ont tôt fait de le détourner de ce qu’il imagine déjà, sur l’ancien corps du démon.
Il n’a pas besoin de plus que les premiers mots pour sentir le feu brûler en lui. Ça remonte toutes les veines de son corps et explose dans son crâne. Ses ombres ne sont plus sous son contrôle. Elles s’étendent partout autour de lui, englobent Myranda et se déversent sur le canapé, la table, une partie de l’appartement. Jesus sent des picotements au bout de ses doigts. Il a très envie de condenser ses pouvoirs, au creux de sa main, de refermer le poing sur une belle arme, noire, puissante, pour faire sa fête à ce démon de merde. Il n’en fait rien. Une dernière barrière le retient encore, l’empêche de cracher sa haine sur le premier truc qui lui passe sous la main. Heureusement pour elle, d’ailleurs, car elle est la première personne à portée et, à un autre temps, Jesus ne se serait pas gêné. Il ne partage pas ses jouets. Il préfère encore s’en débarrasser lui-même que de la savoir entre les mains d’un autre démon. Enfin, ça, c’était avant. Aujourd’hui, il se contente d’attraper, peut-être un peu fort, le menton de la métamorphe pour la forcer à lever la tête et le regarder.
« Honnête ? grince-t-il, bouffé par sa haine du démon. Les démons ne sont pas honnêtes. Asmodée a beau être un démon tout pourri, il reste un démon. Tu es sûre qu’il n’y avait que ça, dans les contreparties ? »
Jesus a du mal à y croire. Même s’il sait que c’est tout à fait le genre de ce démon-là, il est persuadé qu’il y a autre chose, comme une clause cachée. Que peut-il exiger d’elle ? Tout ça pour être en symbiose avec sa panthère ? L’elfe noir se doutait que Myranda n’aime pas son animal intérieur, mais il ne pensait pas que c’est à ce point-là. Il est persuadé qu’il existe des moyens naturels pour que les deux s’acceptent et s’entraident. Pas besoin d’un putain de démon pour ça, encore moins d’un pacte qu’elle ne peut pas briser. Ça l’énerve ! Ses dents grincent atrocement. Il ignore la douleur et se concentre plutôt sur ses doigts, serrés autour du menton de la brune. Il relâche un peu la pression et retient une affreuse envie de les refermer sur son cou. C’est dur, de lutter contre son lui intérieur. L’elfe noir sait ce que c’est, de se combattre soi-même, mais il ne connaît aucun remède miracle pour aider la métamorphe. Lui, il se laisse juste tenter, une fois de temps en temps, pour se libérer de la pression accumulée le reste du temps.
« Où ? Montre-moi. »
Son ton est sans appel, il exige et il sait qu’il obtiendra. Avec ou sans son autorisation.
Comment ma vie a pu autant changer en si peu de temps ? Depuis que j'ai commencé à pourchasser Jesus en fin de compte... Ou tout du moins depuis notre première rencontre officielle... Je n'ai enchaîné que mauvaise idée sur mauvaise idée. J'ai oublié d'être professionnelle... J'ai décidé d'abaisser mes barrières. Je me suis attachée à lui alors que je m'étais jurée de ne jamais m'attacher à un homme. J'ai caché son dossier alors qu'il est un homme horrible recherché pour un nombre incalculables de méfaits. J'ai invité un elfe noir criminel dans mon lit et je l'ai laissé entrer malgré moi dans mon cœur. Pour lui j'ai voulu sympathiser avec un démon pensant qu'ils étaient amis. Et pour enfin accepter l'animal que je n'avais jamais aimé j'ai fait un pacte avec ce dit démon... J'ai perdu le contrôle de ma vie, j'ai perdu de vue la femme que j'étais. Pour devenir quelqu'un qui me plaît ou du moins qui me plaisait... J'apprécie ce que je vis avec Jesus mais pour tout le reste je fais n'importe quoi... Je ne me reconnais plus. J'ai l'impression de devenir faible. La preuve, j'ai peur d'avouer à l'elfe noir qui me fait face que j'ai fait un pacte avec un démon simplement pour vivre en paix avec ma panthère. J'ai si peur de le décevoir et de le perdre... Est-ce cela l'amour ? Vivre dans la peur de perdre l'autre à chaque faux pas ? Ainsi donc je... Non, je ne le penserais pas et je ne le dirais encore moins... A la place je lui avoue pour le pacte.
Soudain je vois les ombres de Jesus se mouvoir un peu plus, elles le quittent même pour envahir la pièce. Je ne les sens pas sur moi, je ressens juste un frisson, une sensation désagréable. Par contre je les vois ramper de plus en plus sur ma peau et autour de moi. Il fait plus sombre, l'endroit devient limite inquiétant. Je n'aime pas cela. Je comprends que Jesus est en colère après moi... J'avoue avoir peur qu'il s'en prenne à moi... Je l'ai déçu et j'ai fait des conneries. Mais au lieu de se servir de ses ombres, il m'attrape le menton fermement. Je grimace sous la douleur mais je le laisse faire et lève la tête pour lui faire face. Je n'arrive pas à savoir si c'est après moi qu'il est en colère ou envers Asmodée et moi. Il me demande d'avouer le reste, de tout lui dire concernant le pacte. Je suis tentée de baisser les yeux mais je décide de ne pas le faire. Il faut que je le regarde en face pour lui donner les termes exacts du pacte.
- Avec le pacte il peut savoir où je me trouve et sentir s'il m'arrive quoi que ce soit de violent ou si j'ai peur. En gros il a placé un GPS magique en moi qui en plus de lui indiquer ma position peut lui dire si j'ai peur et si je ressens une grosse colère... Je lui ai demandé de ne pas se servir de cela. Je n'ai pas envie qu'on me suive à la trace comme un chat... Et si jamais je parle de ce pacte à quelqu'un d'autre que toi, celui-ci sera brisé et... … … La panthère me consumera..
J'ai eu du mal à dire la fin de ma phrase. Parce que cela me terrifie... Je n'arrive pas à imaginer ce que cela pourrait donner... Mais avec sa main qui m'empoigne le bas du visage je savais que je n'avais pas d'autre choix que de lui avouer. Heureusement il desserre un peu sa prise. Il veut voir où se trouve la marque... Il veut voir ce symbole... Je dois lui montrer la vérité en face et je vais devoir subir son regard... Il ne me laisse pas le choix, je l'entends au son de sa voix... Je dégage ma tête de sa main. Le moment est venu de lui montrer ce que je pensais être une bonne surprise mais qui se révèle être mon pire acte commis ces derniers temps. Ma chemise de pyjama est trop serrée pour pouvoir la lever assez haut, il faut donc que je la retire mais je ne peux m'y résoudre. J'opte donc pour un entre deux. Je défais les boutons en partant du bas sans écarter pour l'instant le tissu. Je laisse les deux derniers boutons du haut attachés et soulève finalement la partie droite de la chemise pour laisser apparaître la marque du démon qui se situe juste sous mon sein droit. On la voit en partie, un peu plus de la moitié. Je n'ose pas la révéler en entier...
- Elle est là...
Et maintenant j'attends sa colère, sa déception... Je suis prête à subir son courroux... Et s'il ne comprend pas pourquoi j'ai fait cela je lui expliquerai tout. Je lui expliquerai que je n'en pouvais plus de vivre avec ma panthère indomptable, que je pensais qu'il serait content de voir que je m'entends à merveille avec son chat préféré. Que j'ai fait ça pour moi oui mais aussi pour lui... Et pour lui montrer que je m'entendais avec son ami... Même si au final c'est un ennemi... Mais comment pouvais-je le savoir ? Bon d'accord, j'aurais pu deviner mais j'ai été aveuglé par mes sentiments...
Jesus a des envies de meurtre. Ça le prend à la gorge, fait naître un affreux goût de fer, sur sa langue, ça réchauffe tout à l’intérieur de son crâne, comme une couveuse géante qui, bientôt, lui fera mal. Il le sait. Il connaît. L’elfe noir est habitué à tout ça, à subir la haine qui bout en lui, à se laisser contrôler par elle. Il ne veut pas laisser ça arriver. Derrière la colère, il sent un poison plus dangereux encore, comme une épine qui s’enfonce dans son esprit et creuse, creuse, creuse aussi loin qu’elle peut. Quand elle aura totalement disparue dans son cerveau, que restera-t-il de lui ? Le bon fils à papa, le gentil fils à maman. Un être sombre, beaucoup plus sombre que tous ceux qui le connaissent ne l’ont vu jusque là. Une créature faite d’ombres et de sang, ne vivant que pour faire le mal. Ce qu’il aurait dû devenir depuis longtemps, s’il n’avait pas abandonné la voie tracée par ses parents pour en défricher une autre, devant lui, en s’enfonçant dans l’inconnu.
Aussi bizarre que ça puisse paraître, le chauve ne s’énerve pas contre Myranda. Il sent, au fond de lui, la compréhension. Une chose étrange sur laquelle il se penche rarement, voire jamais. Qu’est-ce que ça peut lui foutre, de comprendre les motivations de la panthère ? Est-ce ça rend le « crime » moins grave ? Il a comme un doute. Pourtant, il ne peut s’empêcher de la comprendre, de savoir, sans qu’elle n’ait besoin de le dire, pourquoi elle s’est laissée avoir par un démon. Asmodée n’est pas le plus terrifiant de tous, de son avis à lui. Elle ne s’est pas assez méfiée et elle en paie le prix désormais. Mais il comprend. Il comprend et il ne lui en veut pas. Le seul être qu’il a très envie de réduire en bouillie, c’est Asmodée lui-même pour qu’enfin, il lui foute la paix.
L’elfe noir apprécie que Myranda continue de le fixer droit dans les yeux pour lui avouer les termes de leur contrat. Il préfère la voir affronter la vérité, que de fuir la colère de l’elfe qui n’est, de toute façon, pas tournée contre elle. Il a besoin de voir, dans ses yeux bleus qu’il n’aime pas, mais qu’il ne déteste pas autant qu’il l’aurait cru, si elle dit la vérité, si elle ose lui mentir. Sa haine pourrait bien se retourner contre elle, si elle ose garder certaines choses cachées, ne pas avouer toute la vérité, rien que la vérité. Mais les mots qui s’échappent de ses lèvres sont sincères et les ombres de Jesus se calment un peu, à peine. Il a besoin de les voir, tout autour de lui, sous son contrôle, pour maintenir sa haine en laisse, ne pas la laisser exploser contre elle.
Jesus ne sait pas si la panthère pourra vraiment consumer la métamorphe. Il est toujours parti du principe que l’humain et l’animal ne sont que deux faces d’une même pièce. L’une et l’autre sont la même personne, séparées en deux entités par des sorcières qui se prennent pour Dieu. Pour un crime que ses ancêtres ont dû commettre, Myranda est coincée avec un animal dont elle ne veut pas. Les enfants doivent-ils payer pour leurs parents ? L’elfe noir n’a même pas besoin de se poser la question. Sa race entière a toujours dû payer pour la trahison de ses ancêtres et c’est ça, qui a poussé ses parents à devenir complètement cinglés. Et c’est peut-être ça, cet étrange point commun, entre eux, qui pousse Jesus à apprécier les métamorphes.
« La douleur, aussi, grince Jesus, pour compléter les propos de Myranda. Avec ce pacte à la con, Asmodée sait quand tu as mal. C’est même plus que ça : il ressent la même douleur que toi. Il te l’a pas dit, ça, hein ? Tant que tu restes consciente et que tu souffres, il souffrira aussi. » (Un détail que le démon a donné lui-même à Jesus, lors de leur première rencontre.) « Asmodée est un démon faible, il ne te fera pas de mal. Il a trop peur d’avoir mal, lui aussi. »
Il n’essaie même plus de cacher sa haine du démon. Jesus n’aime pas Asmodée et il sait que ça ne changera jamais. Le démon est trop loin des standards de sa race et il a osé, à l’époque, l’empêcher de torturer une sorcière vaudou. À qui ça peut manquer, une sorcière vaudou ? Une femme qui n’a passé un pacte, elle, que pour obtenir le pouvoir. Aux yeux de l’elfe noir, ce n’est pas une raison. Les humains feraient mieux d’apprendre, une bonne fois pour toutes, qu’ils sont et resteront à jamais des êtres faibles dont il a très envie de se débarrasser.
La soudaine pudeur de la panthère réveille un peu la haine de Jesus. Ses ombres s’intensifient, dansent plus vivement. Il n’apprécie pas de voir que le démon a réussi à changer la métamorphe. Elle, d’habitude si impudique, prête à lui renvoyer ses blagues moisies en pleine gueule, à lui prouver qu’elle n’a peur de rien, ou presque. Il a, de toute façon, déjà tout vu de son corps, pourquoi se cache-t-elle, désormais ? Jesus n’aime pas ça. Il grogne un peu, comme l’animal qu’il n’est pas tout à fait, mais attend sagement que Myranda relève un pan de sa chemise pour dévoiler la marque d’Asmodée, sous son sein droit. Rien que la vue du signe, sur sa peau blanche, ravive les ombres, autour de lui. Elles se condensent sur son bras, glissent sur sa main. Jesus tend les doigts vers la marque, effleure le symbole. Il a très envie d’invoquer un couteau, de découper la peau tout autour de la marque et de l’arracher à jamais du corps de la panthère. Il est presque trop tenté, persuadé qu’elle guérira plus vite qu’il ne peut l’imaginer. À la place, il laisse ses ombres glisser sur le ventre de la métamorphe et recouvrir la marque du démon, pour qu’elle disparaisse de sa vue.
« Il faut le forcer à briser lui-même le pacte. » (Manifestement, il ne lui demande pas son avis.) « Tu n’as pas besoin de ça pour t’entendre avec ton animal, Myranda. Et il le savait très bien. Il a joué avec un sujet sensible pour pouvoir t’amadouer. Il veut juste se venger de moi, il s’en fiche pas mal de savoir que tu t’entendes, ou non, avec ta panthère. »
Jesus n’essaie de pas ménager la métamorphe. Il veut qu’elle comprenne dans quoi elle s’est embarquée. Il reste persuadé qu’elle n’a pas besoin d’un pacte moisi pour s’entendre avec son animal intérieur. Mais le plus important, désormais, est de trouver un moyen de briser le pacte, sans que ça ne vienne de Myranda. Asmodée doit annuler le contrat. Et si, pour ça, Jesus doit faire d’Amanda son nouveau punching-ball préféré… ce n’est pas lui que ça va déranger.
« On trouvera un moyen. Et tu apprendras à faire amie-amie avec ta panthère naturellement. Maintenant, tu dois comprendre que tu n’as pas besoin de la combattre, non ? Si tu l’aimes, elle t’aimera. Ce n’est qu’un gros chat. »
L’elfe noir a une façon bien à lui d’appréhender la relation de Myranda et de sa panthère, mais il veut qu’elle comprenne que l’une et l’autre sont, de toute façon, obligées de cohabiter. Tout ceci lui permet, en tout cas, de se débarrasser, un peu, du surplus de colère qui bouillait en lui. Il sent sa haine revenir à un niveau normal, à ce niveau dont il a l’habitude et qu’il sait contrôler. Alors Jesus rappelle ses ombres à lui, détourne le regard pour ne pas voir la marque d’Asmodée et s’assoit – ou se jette presque – sur le canapé, à côté de Myranda. Il a toujours très envie de taper sur quelqu’un, mais il sait comment faire taire cette envie-là.
Je n'aime pas cette tension qu'il y a entre nous. C'est la première fois que les choses sont aussi sérieuses et ce n'est pas dans le bon sens du terme... Jesus a l'air furieux et ses ombres ne font que le confirmer. Elles ont refroidi la pièce et l'ont assombri par la même occasion. Il n'y a plus d'humour entre nous. J'ai brisé quelque chose, je le sais bien. Il va me virer de sa vie aussi vite que j'y suis entrée. Il va me dire mes quatre vérités en face. Il va sans doute me dire à quel point j'ai été stupide, sans cervelle, inconsciente et tout ce qu'on veut de négatif dans ce genre. Et pour être franche il aura parfaitement raison. C'est normal qu'il soit en colère après moi. Je le suis également. Je m'en veux. Pour l'heure ce n'est plus ma panthère que je déteste, non, c'est moi tout entière.
Jesus ne réagit pas. Je n'aime pas ça. Pourquoi il ne me fait rien ? Je l'ai connu bien plus sarcastique, bien plus cinglant... Mais là il reste, le regard plongé dans le mien, à scruter je ne sais quoi. Même les ombres parlent plus que lui dans un sens. Elles circulent toujours autour de nous, un peu moins rapidement certes, mais elles sont toujours là, ce qui prouve que Jesus est très en colère. Il n'a jamais perdu le contrôle à ce point. Il me les a montré une fois, une seule fois ces ombres et à très petite dose. Là elles sont immenses, sombres comme jamais. Cela me met mal à l'aise mais encore une fois je l'ai bien mérité... C'est de ma faute s'il est dans cet état.
Lui avouer le pacte n'a pas été facile à faire. Surtout lorsque je lui ai avoué que ma panthère me consumerait si jamais je ne respectais pas le pacte. Je ne sais pas trop ce que cela signifie mais c'est vraiment angoissant. Est-ce que cela voudrait dire que je deviendrais une panthère à jamais ? Je resterai sous ma forme animale pour toujours ? Je serais chassée voire même tuée. Et mon existence en tant qu'humaine serait finie... Myranda disparaîtrait du jour au lendemain. Laissant Morgana et Lucas... Ils seraient morts d'inquiétude... Rien que d'y penser cela me rend triste. Le pire c'est que si je deviens panthère réellement, je n'aurais plus ma part humaine et je ne pourrais donc pas prévenir qui que ce soit car l'humaine ne serait plus...
Heureusement Jesus prononce enfin quelques mots. Me permettant d'oublier le fond de mes pensées bien lugubres. Il m'annonce qu'Asmodée peut ressentir physiquement ma douleur. Je m'arrête d'écouter ce qu'il me dit à cet instant. Ainsi donc si je me blesse il pourrait le sentir ? Une lueur apparaît dans mes yeux. Mais j'y pense ! Je suis une animorphe ! Je guéri vite ! Je pourrais peut être planter mes griffes de panthère quelque part pour le faire souffrir ! Mais oui ! Même si cela ne sert pas à grand chose dans le fond cela pourrait être une idée... En plus il ne saura pas forcément que c'est moi qui me suis fait du mal...
J'oublie encore une fois bien vite mes idées lorsque je vois la tête de Jesus. Il éprouve de la haine... Je le vois bien. Et je sais que cela m'est destiné. C'est pour cela que je n'ose pas le regarder lorsque je défait légèrement ma chemise pour lui montrer l'ignoble marque. Cela ne plait pas à Jesus... Il grogne... Mais pas de plaisir. Non il n'est pas content. Sans doute parce que je ne vais pas assez vite pour lui. Mais je ne peux pas retirer ma chemise en entier. Je ne peux plus. J'ai honte de ce corps abîmé par ma faute. Honte de cette marque... Lorsque la marque est visible les ombres glissent sur la main de Jesus. Il n'ose pas me toucher sans elles... Je le dégoûte. Son effleurement me donne un frisson désagréable. Je vais pour avoir un mouvement de recul lorsque les ombres viennent se poser sur mon ventre. Elles se mettent à cacher la marque. Il n'arrive pas à la regarder et préfère la faire disparaître durant un temps. Je décide alors de me décaler pour ne plus lui faire face. Espérant les faire fuir de ma peau et surtout pour cacher ce symbole. Je ne veux plus que Jesus la voit... C'est bien trop dur. Et cela me permet de ne plus lire dans ses yeux la haine et la déception. Si je continue de le regarder je vais finir par me mettre à pleurer et cela ne me ressemble pas du tout. Je ne veux pas pleurer devant lui. Je ne veux pas paraître encore plus faible que je ne le suis déjà. Il veut qu'Asmodée brise le pacte. Il pense que je peux m'entendre avec ma panthère sans ce pacte. Peut être... Je ne sais pas... Mais cela m'étonnerait grandement. J'ai eu tout le temps d'apprendre à vivre avec elle et ce n'est que lorsque le pacte a eu lieu que j'ai aimé ma deuxième personnalité. Je me retourne de nouveau face à lui avec regret.
- Il ne le brisera jamais... Jamais... A moins qu'il en ait marre de souffrir par ma faute...
Il pense qu'on peut trouver un moyen pour aider. On ? Il veut encore m'aider ? Mais pourquoi ? Il dit cela juste pour être sympa mais à la moindre occasion il m'abandonnera et il aura bien raison. Finalement il s'installe à côté de moi... Mais sa présence est bien trop dure à supporter. Je veux retrouver nos moments de complicité. Nos discussions idiotes, ses petites réflexions pour me pousser à bout et même nos moments torrides... Mais je pense que je peux faire une croix dessus...
Soudain ma petite idée me revient en tête. Mais oui ! Si j'ai mal en permanence il brisera peut être le pacte. J'inspire un grand coup et pendant que j'expire ma panthère fait apparaître ses griffes. Je me lève d'un coup du canapé et fait face à Jesus.
- J'ai une solution pour qu'il retire ce pacte. Je vais le faire souffrir jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Je dois trouver une solution par moi-même et c'est la meilleure des solutions... C'est la seule. Ce n'est pas ton problème, comme tu l'as dit si souvent tu as d'autres princes en attente d'un signe de ta part.
Ma décision est prise, si je dois souffrir pour que le démon souffre ce sera avec plaisir. Je guérirai vite si je ne touche pas un organe vital. Et cela me permettra sans doute par la même occasion de me remettre les idées en place. Bon par contre je n'ai pas envie de tâcher mon salon. Je cours donc sans prévenir jusque dans la salle de bain et entre dans la douche. À peine ai-je mis un pied dedans que je plante mes griffes dans la chaire, sous mon seins droit et je griffe jusqu'à l'autre côté. Je fais attention à ne pas trop les enfoncer. La douleur est insupportable. Je me mords les lèvres pour ne pas crier. Je laisse juste mes larmes couler. Elles coulent à cause de la douleur mais également parce que je me sens stupide et parce que je sais que je vais perdre ce que j'ai avec Jesus... Je regarde le sang couler et les traces commencer à se refermer d'elles-mêmes.
Que le démon ait choisi pile Los Angeles pour venir faire chier le monde, ça ne plaît pas du tout à l’elfe noir. Il apprécie d’être le seul cinglé du coin, de pouvoir faire ce qu’il veut de cette ville sans craindre d’être trouvé et emmerdé par un autre prédateur. Enfin… prédateur est un bien grand mot pour un tout petit démon du genre d’Asmodée. Jesus a l’impression d’un gamin qui vient d’entrer au collège et qui s’amuse à prendre la tête de ceux qui vont bientôt quitter l’établissement (si cette métaphore a le moindre sens pour un homme qui a arrêté l’école très tôt…). Un malin qui croit qu’il peut faire comme les grands, mais qui sait à peine articuler un « agaga » comme un gros bébé qui a besoin d’une nouvelle couche. Quel mal pourrait lui faire des mains potelées ? Le démon ne peut pas s’en prendre à lui directement, alors il s’en prend à ses jouets. Vraiment comme un gamin. Mais Jesus refuse que qui que ce soit pose la main sur ses possessions et s’amuse à les casser. Et ce n’est jamais bon d’énerver un homme comme lui.
Sauf que c’est, exactement, ce que le démon s’amuse à faire, aujourd’hui. Jesus a le sang qui bout à l’idée de le lui faire regretter. Jouer avec Myranda est un privilège exclusif à l’elfe noir qui ne partage pas. Certainement pas avec un homme comme l’autre, en tout cas. Avec quelqu’un d’amusant, à la limite, il aurait pu prendre deux secondes de réflexion avant de s’énerver. Avec Asmodée, il n’a pas besoin de s’en donner la peine. C’est mort. Mort de chez mort. Jesus préfère encore tuer la métamorphe, là, maintenant, que de voir le démon tenter de lui faire quoi que ce soit de plus. Une idée qui effleure son esprit, mais sur laquelle il ne se penche pas plus que ça. Il ne veut pas offrir l’âme de la panthère au démon. Il trouvera, plutôt, un moyen de l’obliger à briser ce pacte.
Ce dont il fait part à Myranda. La brune n’a pas l’air d’accord, mais Jesus ne lui demande pas son avis. Que croit-elle ? Elle s’est mise dans la merde, il ne compte pas vraiment sur elle pour se sortir de là. Si le démon ne représentait pas une menace réelle, Jesus se contenterait de regarder, les bras croisés. Il n’est pas du genre à aller chercher un chaton coincé dans un arbre. Si la bête est grimpée, elle peut redescendre. Pareil pour Myranda. Si elle a accepté ce contrat, elle peut se démerder toute seule pour le briser. Néanmoins, face à un démon, les choses sont plus compliquées. Il se sent presque obligé de l’aider. Parce qu’elle n’a pas la moindre idée de ce que c’est, de faire face à un démon, sinon elle n’aurait jamais accepté. Puis, il ne va pas mentir, se trouver une cible régulière sur laquelle faire passer sa frustration, c’est une opportunité sur laquelle il ne peut pas cracher.
« Il le brisera, grince-t-il, des idées plein la tête pour faire souffrir son humaine. Ne me sous-estime pas, Myranda. J’ai déjà un moyen de pression sur lui. Je le ferai craquer. »
Jesus ne doute pas un seul instant d’y arriver. La petite Amanda ne résistera, de toute façon, pas éternellement au traitement qu’il lui prépare. Si Asmodée ne finit pas par briser son pacte avec Myranda, alors la militaire mourra. Jesus en fait son affaire. Peu lui importe que la mort d’Amanda entraîne celle de Myranda. Ça le fera chier, c’est sûr, mais au moins, l’elfe noir aura été le premier à frapper et à emmerder le démon. C’est, déjà, une victoire. Lui, il est bien capable de s’en contenter.
Néanmoins, il n’a pas le temps de se poser plus de questions. Myranda quitte le canapé et il aperçoit, à ses doigts, de longues griffes noires. Il grogne, dans son coin de canapé, et relève, sur elle, un regard qui essaie de la dissuader de faire quoi que ce soit de stupide. N’en a-t-elle pas fait assez ? Apparemment pas. Ses mots sonnent comme la chose la plus stupide qu’elle ait pu dire depuis qu’ils se connaissent. Jesus n’aime pas ça. La voilà qui s’envole dans la salle de bain ! L’elfe noir grogne plus fort et bondit à sa poursuite. Il ne la laissera pas faire. C’en est hors de question.
L’elfe noir débarque dans la salle de bain comme une tornade. Il ne réfléchit même pas, il s’élance sur Myranda et referme ses doigts sur le cou de la métamorphe. Le mouvement la plaque contre le mur de la douche avec un peu plus de force qu’il ne l’aurait voulu, mais Jesus est en colère. Il voit le sang qui glisse sur son ventre, les entailles sous sa poitrine. Cette femme est-elle cinglée ? Il n’en doute pas, mais il est, justement, là pour lui rappeler que le plus cinglé d’entre eux, ici, ça restera à jamais lui et seulement lui. Alors, l’elfe noir lève l’autre main à hauteur de son visage et fait apparaître une dague d’ombre, entre ses doigts.
« Tu veux que je t’aide, peut-être ? » (Sa voix n’a plus rien d’amical.) « Crois-moi, je connais parfaitement le corps humain, je sais où enfoncer cette lame pour que tu souffres le plus, sans jamais mourir. C’est ça que tu veux ? »
Il la provoque exprès pour la faire réagir, qu’elle se défende et comprenne que son idée est complètement stupide. Jesus n’a pas envie de mettre ses menaces à exécution. Et il se fiche bien de lui faire comprendre quel psychopathe il a toujours été. C’est peut-être, justement, l’occasion de pousser l’humaine dans les dernières limites qu’il peut lui rester. Traîner dans l’entourage d’un tueur en série, d’un homme né pour torturer, ça n’est pas donné à tout le monde.
« Le faire souffrir jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus ? Tu rigoles, j’espère. Qu’est-ce que tu comprends pas, dans le mot démon ? Il vient des enfers, Myranda, des enfers. Pas du paradis ou du trou du cul du monde. Des enfers ! Ça y est, tu piges ? »
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