Cette conversation était fort plaisante. Cela me faisait du bien de pouvoir parler des humains ainsi. Même si j’avais des protégés à droite et à gauche, je restais profondément solitaire, n’aimant que très peu parler de moi. Mais pour une raison qui m'était inconnu, cette femme, cette vampire m’était fort sympathique et discuter avec elle me faisait le plus grand bien alors pourquoi s’en priver. Et puis parler d’art, d'érudition et de philosophie autant que de psychologie était tout de même fort enrichissant.

J’écoutais avec attention la belle vampire qui se tenait à mes côtés. Elle estimait - à juste titre que nous prenions notre temps car nous avions conscience que la mort était un châtiment des plus terribles. Les humains quant à eux ignoraient tout cela et c’était fort dommage et en même temps cela leur donner une naïveté et une innocence tout à fait réjouissante. Puis elle fit un parallèle entre la condition des hommes et celles des créatures de la nuit et malgré tant d’efforts je ne pus conserver le sourire qui était sur mes lèvres.

“Soit s’il ne savent pas ce qui les attend cela les rend encore plus curieux et c’est tout à fait plaisant et divertissant de les regarder chercher et analyser la moindre informations en spéculant sur telle ou telle situation. Pour ce qui est des guerres. Je suis tout à fait d’accord, ils ne se rendent pas compte qu’ils se détruisent les uns les autres pour une cause qui finalement ne restera qu'éphémère mais à contrario, cela nous permet de passer inaperçus. Bien que pour ma part, j’évite soigneusement les guerres et autres conflits meurtriers…”

Je réfléchis un instant, cherchant mes mots avant de reprendre.

“Le fait est qu’ils sont obligés de vivre dans le présent et le futur sans profiter de l’instant ni même faire attention à eux. C’est cette particularité qui nous différencie. Nous nous laissons porter vers un futur qui nous est inconnu et que nous savons que nous connaitrons et de ce fait nous ressassons le passé afin de modeler notre présent et notre futur.”

Je ne savais pas si j’étais tout à fait claire dans mes propos mais un peu de philosophie temporelle ne nous ferais pas de mal.
J’évoquais alors l’oeuvre de Da Vinci qui je le pense restera mythique à travers l’histoire. Mon interlocutrice fut d’accord avec mes propos et elle ajouta que bien d’autres oeuvres seraient tout aussi importantes.

“Il est vrai que seul les arts, les inventions, les écrits traversent les époques. Alors que les actes, les paroles disparaissent avec les pensées et les dires de ceux qui ne foulent plus cette terre.”

Puis la vampire me posa une question plus personnelle, à laquelle je ne m’attendais pas et pourtant j’aurais surement dû m’y attendre. Dame Salviati me demanda le nom de mon créateur. J’avouerais que peu de personnes sont au courant de ma vie d’humaine, de mes origines et je n’allais certainement pas les dire à une vampire pour notre première rencontre. En revanche, donner le nom de mon créateur ne me posait aucun problème.

“Je peux vous donner son nom bien que j’ignore s’il est toujours en vie. Cela fait bien des années que je ne l’ai pas revu. Il s’appelle Ahmès. C’était un égyptien qui avait été lui même transformé par un des Anciens. Il a choisi une voie moins sanglante et plus spirituelle en ne transformant que des personnes vulnérables. Comme moi au moment de ma transformation. Et vous-même très chère? Quel est le nom de votre créateur?”

Si l’on me lançait sur des sujets tels que les arts comme la musique ou la peinture ou d’autres sujets comme les inventions et l’écriture, j’étais inarrêtable. Je pouvais en parler durant des heures. Cependant lorsqu’il s’agissait de parler de moi, j’étais bien moins loquace. Depuis ma transformation, parler de moi où de mon passé m'était douloureux alors si je pouvais éviter ce sujet, je le faisais. Parler de mon créateur n’était pas vraiment parler de mon passé puisque de fait, il m’avait transformé. Il faisait donc parti de ma deuxième vie. Dame Salviati réagit à la mention du nom de mon créateur. Visiblement elle en avait déjà entendu parler. Peut-être fréquentait-elle les Anciens. Dans ce cas, il serait logique que son nom fut évoqué. Les méthodes d’Ahmès n’étaient pas toujours approuvées par les Anciens car selon eux il était trop gentil avec les humains. Tout comme il me l’avait enseigné, le respect envers les humains était primordial. C’est ainsi que nous nous les sommes mis un peu à dos. Après avec les années, je n’ai pas eu forcément de nouvelles d’eux. Je fais ma vie, ils font la leur. Je ne les embète pas et il ne m’embête pas. C’était un bon compromis pour moi. Etant donné que je n’avais plus de contact avec Ahmès, je considérais que cela ne me regardais plus. Je me tiens à carreaux et je transforme uniquement des personnes que j’estime qui le mérite. Le plus souvent des personnes qui sont des humains battus ou qui n’ont pas eu une vie facile - comme moi.

La vampire a mes côtés me donne le nom de son créateur. Marcus Voltrane. Je le connaissais de nom également. C’était un ancien assez neutre. Ce n’était pas forcément un tendre mais il n’avait pas pris parti contre Ahmès donc je n’avais aucun à priori sur lui. Je souris alors doucement en répondant :

“Je le connais de nom également mais pas détails.”

Si elle connaissait le nom d’Ahmès et Marcus en revanche c’était une vampire qui fréquentais les Anciens. Devrais-je m’en méfié? Peut-être était-elle envoyée justement pour moi? J’hésita un instant puis demanda finalement:

“Vous fréquentez les Anciens? … Depuis longtemps?”

Attendant patiemment sa réponse, elle songea silencieusement à sa vie d’avant. Comme par nostalgie, elle songea à son frère. Il lui manquait terriblement. Elle aurait fait n’importe quoi pour l’avoir auprès d’elle. Les vampires étaient censés être sa deuxième famille mais il n’en n’était rien. Rien ne pourrait remplacer sa famille. Alors lorsque Maddalena lui demanda si elle avait des regrets. Elle ne put que penser à son frère. C’était son regret le plus cher.

“Parfois un peu. Surtout ma famille humaine. J’étais très proche de mon frère et j’aurais tellement aimé le revoir… Mais il a disparu et je ne l’ai jamais retrouvé. Je n’ai jamais su ce qu’il lui était arrivé alors j’ai pensé”

Restant songeuse, elle retourna tout de même la question à son interlocutrice:

“Et vous-même Maddalena, avez-vous des regrets?”

Je ne saurais dire pourquoi mais je me sentis soulagée d’apprendre que la vampire qui se tenait à mes côtés ne fréquentait plus les Anciens. Je n'étais pas la plus à l’asie qui soit pour parler d’eux. Alors je retenus simplement l’information selon laquelle elle avait vécu durant 500 ans à leurs côtés. Mais pour autant je ne répondis que par un simple hochement de tête sans prononcer un quelconque mot sur eux.

De toute façon, la conversation dévia sur les potentiels regrets que nous pourrions avoir à être devenues des vampires. Pour ma part, j’évoqua Ambrosos. Mon frère était un fragment de moi-même et je ne me sentais plus pleinement en vie sans lui. Il était donc évident que je devais l’évoquer. Mais les paroles de Maddalena furent réconfortantes. Ce n’était pas parce que je ne l'avais pas revu qu’il n’avait pas eu une belle vie. Un sourire se révéla sur mon visage. L’idée de voir mon frère heureux, entouré de personnes qu’il aimait et ayant un sourire sur son visage. Je devais garder cette image là de lui en moi. L’image d’Ambrosos avec le sourire qu’il me faisait. Dame Salviati, à son tour me fit part de son regret de n’avoir pu empêcher la mort des siens. Finalement c’était plus ou moins le même ressenti que j’avais. Nous avions donc un premier point commun. J’eus alors une parole pour sa famille au même titre qu’elle eut une parole pour mon frère:

“Je suis navrée pour votre famille. Mais sachez qu’ils vivront à tout jamais dans votre coeur ma dame.”

Finalement je reporta mon regard sur la foule qui s’apaisait, même si la musique battait encore son plein, la soirée était sur le point de se terminée. Alors que les mots de Maddalena se firent entendre à mon oreille et une fois encore elle avait raison. Un sourire revint alors à mes lèvres alors que je détourna mon regard vers elle. Elle était plaisante à regarder et je ne m’en rendais compte que maintenant.

“En effet, je suis de votre avis, nous avons le devoir de profiter de la vie qui s’offre à nous Dame Salviati”

Mon regard resta encore quelques instants gravé dans le sien. Puis finalement je me leva avec délicatesse. Il était tant de repartir chacune à nos vies, dans l’idée que peut-être nous nous recroiserons un jour. Je me tourna vers elle et lui fit une révérence amicale

“Maddalena, cette rencontre fut des plus plaisante. Merci pour cette conversation et au plaisir de vous revoir dans cette vie ou dans une autre ma Dame.”

Je lui adressa mon plus beau sourire. Sourire que j’avais retrouvé depuis ma transformation, depuis que j’étais à nouveau libre d’être moi-même. Puis doucement, je me tourna alors vers l'obscurité et disparut rapidement pour rentrer chez moi, songeant à Leonardo et à cette rencontre d’une nuit...