Karl et Lyanna étaient en deuil, ils avaient du mal à se défaire de ce pesant fardeau qu’était le fait d’avoir perdu leur fils, sous leurs yeux qui plus est. Ils avaient décidé de passer le plus de temps possible dans leur villa isolée sur les hauteurs d Santa Monica Mountains, leur petit havre de paix loin du tumulte de la ville et de leurs responsabilités professionnelles. Se retrouver tous les deux leur faisait du bien. Du moins, Lily espérait qu’accéder à ce souhait de Karl l’aiderait. Pour sa part, la régente de White Chapel avait l’esprit totalement embrumé par la tristesse et la colère. Elle tâchait de son mieux d’épargner son fiancé et de ne pas pleurer devant lui, mais parfois c’était difficile.
Ils s’étaient réveillés dans les bras l’un de l’autre ce samedi matin. Lily dormait mieux depuis qu’elle prenait les tisanes confectionnées par Elisabeth, ce qui lui permettait des nuits sans rêve, et par extension sans cauchemars, et heureusement, parce qu’elle revoyait déjà suffisamment les images du meurtre de Zephyr en étant réveillée. Après un bon café, Lyanna avait proposé à Karl d’étrenner sa nouvelle planche de surf. Autant qu’il profite de s’adonner à sa passion puisque la maison jouissait d’une plage privée en contre-bas. Il suffisait de descendre un petit chemin en sable bordé de plantes sauvages pour arriver à ce petit coin de paradis. Le temps paraissait idéal.
Assise sur sa serviette de plage à se dorer en bikini, Lily observait de temps en temps ce que faisait son fiancé. Un sourire nostalgique se dessinait sur ses lèvres quand elle le voyait effectuer des figures compliquées. Tant de choses qu’il ne pourrait pas apprendre à Zephyr. Et Tyler ne semblait pas aimer ce sport. Quant à elle, elle n’avait pas assez le moral ou la forme pour tenter d’apprendre ce sport, et se retrouver confrontée à un autre échec ne l’aiderait pas à avancer, cela ne ferait que la plomber davantage. Elle replongea le nez dans divers magazines qui traînaient dans la maison et qu’elle avait descendu pour s’occuper pendant que Karl surfait. Il lui vint soudain une idée en voyant l’une des photos de couverture qui représentait un adorable poupon : et s’ils essayaient d’avoir un bébé ? Lyanna était a priori devenue stérile après la naissance chaotique de Zephyr, mais peut-être que ce n’était pas irréversible ? Un bébé à eux, le fruit de leur amour, un enfant qu’ils pourraient protéger et élever ensemble… Voilà qui soudain lui donna un peu d’espoir, alors qu’elle ne s’était même pas rendue compte que des larmes avaient recommencé à inonder ses joues.
Elle leva le nez pour regarder Karl, et soudain, elle ne le vit plus. Son coeur se serra et elle se leva d’un seul coup en s’approchant du rivage. Son regard parcourait l’horizon, les vagues étaient bel et bien présente, la planche aussi, mais pas Karl.
- Karl ? Kaaaarl ??? cria-t-elle en espérant qu'il l'entende.
Son coeur battait la chamade, elle n’était pas prête à perdre encore une personne qu’elle aimait. Elle se mit à réfléchir à toute vitesse pour trouver quel sort serait adéquat pour le retrouver.
Si le bonheur d’être enfin ensemble était réel, la perte de Zephyr l’était tout autant et rendait la vie de nos deux protagonistes, bien difficile. Karl aurait aisément pu s’enfermer dans le travail, lui qui œuvrait à nouveau à la BACS après avoir rendu la régence à son père. Mais non, le quadragénaire se refusait à faire à nouveau cette erreur. Fuir n’était pas la solution, encore moins lorsque votre compagne a besoin de vous et ce malgré le fait qu’elle déploie des trésors d’énergie pour tâcher de renfermer ses émotions. Mais Fitz n’était pas idiot et connaissait assez bien la sorcière pour oser prétendre lire en elle comme dans un livre ouvert. Il avait donc négocié avec Piper Bush, sa supérieure, quelques jours de congé, histoire d’être encore plus présent pour Lyanna, elle qui avait accepté aussi de s’octroyer du temps. Et quoi de mieux que leur résidence secondaire à Santa Monica pour essayer de panser les blessures qui pouvaient encore l’être ?
La nuit passée, ils avaient un peu parlé avant de s’endormir dans les bras l’un de l’autre. Mais toujours soucieux de protéger Lyanna, Karl s’était encore réveillé au beau milieu de la nuit, gardant un œil averti sur sa fiancée avant de se rendormir quelques minutes plus tard pour ensuite se réveiller à nouveau tout contre la régente de White Chapel. Après le café de rigueur et visiblement inspirée la sorcière incita son fiancé à sortir du placard la planche de surf qu’elle lui avait offerte. La mer étant tout prêt, il fallait en profiter. Et puis cette sortie semblait être la meilleure des excuses pour prendre l’air en amoureux sur leur « petite » plage privée à l’abri des regards et du tumulte de la ville.
C’est donc main dans la main que nos deux sorciers retrouvèrent leur plage. Le soleil brillait intensément sans que sa chaleur ne soit étouffante. Karl acheva d’enfiler sa combinaison, déposa un léger baiser sur les lèvres de Lyanna qui prenait place sur sa serviette de plage. « - Magnifique le bikini ! » tenta le sorcier en l’affublant d’un dernier clin d’œil avant de s’éloigner la planche sous le bras, près à affronter les vagues et à lui aussi se vider la tête. Il était loin de se douter, que pendant qu’il s’adonnait à son sport favori, sa fiancée laissait son esprit vagabonder sur le papier glace et sur quelques images de bébés.
La prochaine vague était un peu plus conséquente que les précédentes. Karl ne pouvait donc se résoudre à la rater. Par la force des bras, il s’éloigna un peu plus du rivage, se mit dos à la vague avant de prendre de l’élan pour monter sur sa planche. Mais alors qu’il était au creux d’un rouleau, il perdit l’équilibre et se cogna la tête contre sa planche. Un filet de sang s’échappa aussitôt de son front alors qu’il perdait connaissance et commençait à s’enfoncer.
Le triton nageait près des côtes. Il avait effectué quelques jours plus tôt sa première excursion dans le monde d'en haut et en était ravi. Il avait eu la chance de tomber sur un terrestre extrêmement sympathique, généreux et bavard, qui lui avait un peu fait découvrir la ville. Il avait été émerveillé par toutes les inventions humains et avait tâché de tout raconter à sa tante, l'alpha de sa colonie, même s'il était loin d'avoir compris tout ce qu'il avait vu et entendu.
Pour le moment, il était malheureusement hors de question qu'il reste sur la terre plus de quelques heures d'affilée. Il ne comprenait pas assez le monde des humains, malgré ses connaissances théoriques, et plus il interagissait avec les terrestres, plus il risquait de se faire repérer. Il passait donc du temps près des côtes, pour les observer et les écouter de loin.
Actuellement, il regardait deux humains, un mâle et une femelle. La femelle avait retiré une partie de ses vêtements, rituel que faisaient les terrestres lorsqu'ils venaient sur la plage et qu'il faisait chaud, et elle s'était installée sur le sable. Le mâle, vêtu des habits que les terrestres portaient lorsqu'ils allaient dans les eaux froides, prit une sorte de petite planche plate et colorée, pour grimper dessus et aller flotter sur l'océan. Curieux… Était-ce parce qu'il ne voulait pas être mouillé ? En ce cas, pourquoi aller sur l'eau avec une embarcation si petite ? Et qui, de surcroît, ne semblait pas stable du tout ?
A l'évidence, l'humain ne semblait pas savoir comment s'y prendre avec son tout petit bateau, puisqu'il changeait sans cesse de position dessus : allongé sur le ventre, accroupi, à genoux… et même debout ! Il était courageux, ou bien inconscient des dangers de l'océan, car il nageait droit sur les vagues au lieu de les éviter. Forcément, ce qui devait arriver arriva : le terrestre perdit l'équilibre, tomba de son embarcation et commença à couler.
Le triton sentit l'odeur du sang. L'humain était blessé. Il ne bougeait plus. Il sombrait, comme un objet inanimé, vers le fond de l'océan. Morgan hésita. Devait-il lui porter secours ? Il risquait de se faire voir par la femelle… Mais s'il n'y allait pas, le mâle allait se noyer… Les terrestres n'étaient pas faits pour rester longtemps sous l'eau. S'ils ne pouvaient plus respirer de l'air, ils finissaient par mourir.
Il hésita… oh… au moins une seconde. Puis il se précipita vers le terrestre, l'enserra avec ses bras et battit des nageoires pour le remonter vers la surface. Une fois la tête sortie de l'eau, il nagea à toute vitesse vers la berge. Lorsqu'il fut à portée de voix de la femelle, il cria à son intention :
« Je te ramène ton ami ! Il ne va pas bien ! »
Le triton n'avait encore jamais sauvé quelqu'un qui se noyait, aussi n'avait-il aucune idée de ce qu'il fallait faire, à part le sortir de l'eau. Il espérait que la terrestre saurait comment agir. Tant pis pour la discrétion. Il nagea jusqu'à la plage et déposa le mâle inconscient sur le sable mouillé. Puis il recula un peu, afin de bien garder la partie inférieure de son corps dans l'eau. Si les parties émergées de son corps avaient commencé à changer - les belles écailles sur son visage, sur le haut de son torse et sur ses bras s'étaient résorbées, ses dents et ses mains étaient devenues plus humaines et ses branchies s'étaient refermées - il ne voulait pas se transformer complètement, il ne voulait pas perdre sa queue tant qu'il n'avait pas à aller sur la terre ferme. Il lui fallait pouvoir fuir rapidement en cas de danger.
Lily avait souri à la remarque de Karl sur son bikini. Elle avait choisi, pour le taquiner, un deux pièces orné d’images d’ananas, une petite blague entre eux. Et même si elle n’avait pas vraiment le coeur à rire ces derniers temps, ce maillot était là et elle savait que cela plairait à Karl.
Absorbée par ses pensées, la sorcière ne remarqua pas l’accident qui venait d’avoir lieu. Elle tâchait de réprimer ses envies de boire du whisky, de penser à autre chose qu’au décès de Zephyr, puis s’imaginait avec un bébé de Karl dans les bras. Ce ne fut que lorsqu’elle voulut le regarder à nouveau qu’elle constata avec horreur qu’elle ne le voyait plus. Que s’était-il passé ? Son regard parcourait frénétiquement l’horizon, le coeur serré, la gorge nouée et l’angoisse de perdre l’être qu’elle aimait le plus au monde bien ancrée. Sa voix parvint néanmoins à sortir pour l’appeler, mais en vain. Le stress et l’angoisse s’emparaient d’elle, ses larmes dévalaient ses joues, son coeur battait la chamade et cognait si fort qu’il aurait pu bondir hors de sa poitrine.
Mais soudain, comme si miraculeusement ses prières avaient été entendues, le visage de Karl apparut hors de l’eau… avec celui de quelqu’un d’autre. Une drôle de créature qui avait cependant eu la gentillesse de venir en aide au beau surfer du dimanche. Lily se précipita dans l’eau pour l’aider à le traîner sur le rivage.
- Mon dieu, merci merci !
Si la situation n’avait pas été critique, elle aurait probablement posé mille questions au jeune homme, si l’on pouvait l’appeler ainsi. Mais pour l’heure, elle devait s’occuper de Karl inconscient. Elle l’allongea sur le dos et constata qu’il ne respirait plus. Tachant de garder son sang froid, elle entreprit un massage cardiaque pour le forcer à recracher l’eau qu’il avait sans doute ingurgitée de travers.
- Allez Karl, respire, réveille-toi mon amour !
Agenouillée à côté de lui, elle appuyait de toutes ses forces sur son sternum pour forcer l’air à entrer et sortir de ses poumons. Les quelques secondes lui parurent durer une éternité, mais enfin il recracha l’eau qui entravait sa respiration. Aussitôt, la belle brune passa son bras derrière la tête de son fiancé pour l’aider à se redresser un peu et mieux respirer.
- Là, chéri, respire doucement.
Puis elle regarda celui qui avait sauvé l’ancien régent d’une noyade certaine.
Karl aimait surfer sans prétendre toutefois être un expert et c’est bien ce « léger » manque d’expérience qui joua contre lui lorsqu’il tenta de dompter une vague trop sauvage pour lui. Il avait à peine pénétré le rouleau de l’intérieur qu’il se déséquilibra et se prit sa planche en pleine face ce qui le mit presque instantanément K-O. Son corps commença dès lors à s’enfoncer progressivement vers les profondeurs sans qu’il ne s’en rende vraiment compte.
« Papa… » Une première voix familière se fit entendre au loin. « Karl ! » Puis une autre que le sorcier parvint à identifier. C’était Lily et sa détresse était palpable. Karl toujours inconscient, ne s’était pas rendu compte qu’une force mystérieux le ramenait à la surface à vive allure avant de regagner le rivage. Karl ne comprenait toujours pas ce qui lui arrivait. Ici, il faisait si sombre, des ténèbres qui n’avaient de cesse de s’accroître, tout comme la température qui elle commençait à chuter. « Lily ? LILY ? » La panique venait de s’emparer du sorcier qui ne comprenait pas ce qui était en train de lui arriver et qui continuait à entendre, au loin, des voix familières.
Le sauveur d’un jour, regagna enfin le rivage et fut aidé par Lyanna qui traina son fiancé sur le sable avant de commencer à lui faire un massage cardiaque. Karl ressentit presque instantanément une pression s’exercer sur sa poitrine. Il eut comme l’impression de remonter à nouveau à la surface, amoindrissant de ce fait, les ténèbres qui l’entouraient jusqu’alors. Puis, « bam » explosion de couleur et de sensation. Il reprenait conscience, crachant le trop-plein d’eau qu’il avait ingurgitée. Karl toussa à nouveau, sa vision demeurait floue et parsemée de quelques taches blanches qui commençaient toutefois à s’estomper.
« … Qu’est-ce qui s’est passé ? » demandait-il en posant alors son regard sur une bien curieuse créature. « - Vous m’avez sauvé ? » Il ne faisait que reprendre les paroles d’une Lyanna on ne peut plus soulagée. « - Vous êtes un triton c’est ça ? » Le sorcier tenta de se redresser pour s’asseoir non sans mal, sa tête tournée encore. « - Je suis désolé, je n'ai pas voulu… » commença-t-il en posant son regard sur Lyanna avant de reporter son attention sur son sauveur. « - Merci, sans vous je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé. On a échappé au pire. »
Sa tante l'avait mis en garde maintes et maintes fois. Si des terrestres se rendaient compte de sa véritable nature, ils le pourchasseraient, tenteraient de le capturer, voire de le tuer. Tous ne seraient pas aussi gentils et compréhensifs que le médium que Morgan avait eu la chance de rencontrer. Il fallait à tout prix éviter que des terrestres le voient sous sa véritable forme. Et pourtant… Le triton restait là, près du rivage, à regarder d'un air soucieux la femelle tenir le corps inconscient de son mâle.
Mais ! Pourquoi le frappait-elle ? Elle allait lui briser les côtes ! Quelle drôle de façon de prendre soin de son amour ? Car c'était bien ainsi qu'elle l'avait nommé. Mais sa technique sembla fonctionner, puisque le mâle reprit connaissance, en toussant et recrachant l'eau qui n'avait rien à faire dans ses poumons de terrestre. Morgan ne pouvait détacher son regard inquiet du couple, et sa queue battait frénétiquement l'eau, signe de son anxiété. Lorsque les deux se tournèrent vers lui et lui annoncèrent, chacun leur tour, qu'il l'avait sauvé, le triton eut l'air presque surpris, mais surtout soulagé.
« Ah oui ? Ah ! C'est bien. »
Il n'en tirait aucune fierté ni aucun orgueil, il était simplement content que le terrestre se porte bien. Lorsque celui-ci lui demanda s'il était un triton, Morgan eut un léger mouvement de recul. Mais il n'avait pas l'air de lui en vouloir pour cela. Il n'avait pas vraiment l'air surpris non plus. Mieux valait tout de même rester prudent. Le mâle le remercia et lui annonça qu'il ne savait pas ce qui lui serait arrivé sans son aide. Morgan, en toute innocence et dans un souci de bien faire, lui répondit gentiment :
« Oh, l'eau aurait rempli tes poumons et tu te serais noyé. Tu serais mort. Les terrestres ne devraient pas rester longtemps sous l'eau, c'est dangereux. »
Le triton ne comprenait pas pourquoi les terrestres s'obstinaient ainsi à vouloir aller sur l'eau ou sous l'eau. Comme ces gens étranges qui portaient des nageoires en plastique et des sortes de casques avec des tuyaux pour respirer sous l'océan. C'était très risqué ! Et en même temps, lui-même, habitant de l'océan, ne tenait-il pas absolument à se rendre sur la terre ? C'était peut-être la même chose pour ces humains. Mais ils s'y prenaient très mal. Morgan leur adressa un sourire bienveillant et leur dit alors :
« Ton bateau était beaucoup trop petit. Si tu tiens vraiment à naviguer, il te faut un bateau plus grand, celui-là ne pouvait pas tenir face aux vagues. »
Karl était de nouveau conscient, les yeux ouverts et respirant, au grand soulagement de Lyanna qui n’était certainement pas prête à perdre son grand Amour. Son coeur battait encore frénétiquement à cause de l’immense frayeur qu’elle avait eue en voyant son sorcier rouge inconscient, mais peu à peu, le soulagement prenait le dessus.
- Merci, souffla-t-elle une seconde fois au triton après que Karl ait pris la parole à son tour.
Oui, cet homme était un triton, Lily pouvait voir sa queue battre l’eau. Elle avait cru apercevoir des écailles sur son visage et ses mains, mais tout avait été si rapide, elle avait d’abord mis ça sur le compte du stress, mais elle comprit que l’homme était une créature des mers. Et les propos qu’il tint confirmèrent ce qu’elle pensait.
- Oui, c’est vrai, nous ne respirons pas naturellement sous l’eau. Vous êtes un triton, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, fascinée par cette rencontre.
En effet, la régente n’en avait jamais vu de ses yeux. Elle avait lu, comme beaucoup de jeunes sorciers, quelques lignes sur eux dans des ouvrages consacrés aux créatures magiques, mais jamais elle n’avait pu en rencontrer un, ou un sirène, et pour cause, ils vivaient dans les profondeurs des océans.
La réflexion qu’il fit sur l’embarcation de Karl la fit rire. C’était sans doute la pression qui retombait. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas ri aussi franchement, après l’épreuve qu’elle et Karl avaient traversée.
- A vrai dire, ce n’était pas un bateau à proprement parler. Certains humains aiment glisser sur l’eau grâce à ces planches flottantes. Karl aime beaucoup ce sport, ajouta-t-elle en caressant le dos de son fiancé. Qu’est-ce qui s’est passé, mon chéri ? lui demanda-t-elle avec douceur.
En tout cas, la rencontre avec le triton était tout simplement incroyable, le regard de Lily n’avait de cesse d’aller de Karl à Morgan. Elle réalisa que la planche était toujours à traîner au milieu de l’eau. Elle tendit sa main libre vers elle et prononça une formule latine qui fit se rapprocher la planche de surf jusqu’à ce qu’elle frotte le sable auprès d’eux. Ce n’était certainement pas le triton qui irait leur créer des problèmes auprès des Mortels. Par contre, lui pouvait être en danger s’il n’avait pas connaissance du monde terrestre.
- Je m’appelle Lyanna, et voici Karl. Et vous, vous avez un nom ? demanda-t-elle aimablement.
Tout semblait soudainement si précipité, comme si le simple fait d’être passé aussi près de la mort, avait offert au temps une tonalité qui échappait légèrement à Karl. Une impression désagréable au possible qui ne s’estomperait point dans l’immédiat. De ce fait, Karl ne tenta rien si ce n’est poser une flopée de questions qui trouvèrent presque instantanément des réponses, lui donnant l’impression d’être soudainement le dernier des crétins. Puis en posant son regard sur une Lyanna toujours en pleine panique, il se sentit soudainement coupable. Elle n’avait certainement pas besoin de ce genre de stress et pourtant cela n’avait pas empêché Fitz de se jeter à corps perdu sur cette vague, qui l’avait déséquilibré dans la foulée. Fort heureusement, la candeur de Morgan allégea la situation au point de faire rire Lily suite à l’une des réflexions que le jeune triton venait de faire entendre.
« - J’ai étais terriblement distrait et je l’avoue, j’ai mal anticipé la vague. On se rêve dompteur de vagues, mais on finit le plus souvent à l’eau. » fit-il entendre en posant à nouveau son regard sur Morgan. « - En tout cas, c’est la deuxième fois que quelqu’un de votre espèce me sauve la vie. La première fois, c’était une sirène et j’étais moins expérimenté avec une planche ». Il fixa à nouveau l’océan, incapable malgré tout de lui en vouloir d’avoir failli intenter à sa vie. « - La mer est comme ses vagues, impétueuse et indomptable n’est-ce pas ? » Il posa ensuite son regard azur et encore alourdi par la culpabilité, sur Lyanna tout en glissant sa main dans la sienne alors qu’elle achevait de faire revenir la planche de surf jusqu’au rivage. « - Je ferais plus attention la prochaine fois, promis. »
Lyanna acheva de faire les présentations, toujours sous l’emprise d’une curiosité qu’elle peinait à réfréner face à la créature aquatique et légendaire de surcroît. « - Comment pouvons-nous vous remercier ? » Car dans le fond, c’était la moindre des choses.
La femelle demanda à son tour s'il était un triton. Il ne pouvait plus tellement se dérober. De toute façon, ça se voyait, l'eau n'était pas opaque, sa queue ne passait pas inaperçue. Morgan acquiesça donc avec une petite moue gênée. Puis il secoua négativement la tête lorsqu'elle lui demanda s'il s'était perdu, ou s'il avait besoin d'aide. Il se portait très bien. Il s'inquiétait plus pour le mâle, mais celui-ci semblait tiré d'affaire.
La femelle rit à sa remarque sur le ridicule petit bateau. Est-ce qu'elle se moquait de lui ? Non, ce n'était pas un rire méchant. Elle semblait gentille. Elle lui expliqua à quoi servait cet objet dangereux qui avait failli coûter la vie à son amant. Morgan ne voyait pas trop l'intérêt de ce genre de sport, mais il comprenait mieux la situation. Le mâle avoua son imprudence, ce à quoi le triton répondit :
« Vous ne pouvez pas dompter l'océan, vous appartenez à la terre. »
Ce n'était pas vraiment un reproche, plus une constatation. Morgan aimait bien observer les marins, voir quels trésors d'ingéniosité les terrestres déployaient pour explorer l'océan, constater les risques énormes qu'ils prenaient. Il trouvait cela à la fois fascinant et idiot, merveilleux et absurde. Comme sa propre envie de marcher sur la terre. On désirait souvent ce qui nous paraissait inaccessible.
« Mais si c'est ton rêve, tu as raison d'essayer de le réaliser. »
Le triton observa la femelle tendre la main et prononcer des sons qu'il ne comprenait pas. La planche revint alors vers elle, attirée comme par magie. Oui ! C'était une magicienne ! C'est pour ça qu'elle n'avait pas été surprise de découvrir un triton. Les sorciers connaissaient bien les créatures magiques. Morgan la regarda avec un intérêt redoublé. Et son mâle lui plaisait bien aussi. Il aimait bien la façon dont il parlait de l'océan, avec un certain respect… en plus, il avait déjà rencontré une sirène ! Peu de terrestres pouvaient s'en vanter. Le triton leur sourit et leur répondit avec enthousiasme.
« Je m'appelle Morgan. Je suis content de vous avoir aidés. Tu es la première sorcière que je rencontre. Et toi, tu es un peu fou mais j'aime bien ça. Tu as l'air d'être quelqu'un de bien. »
Il s'exprimait sans filtre, énonçant ses pensées à voix haute comme elles lui venaient. Il paraissait évident que les conventions sociales de la terre lui étaient plutôt étrangères. Il haussa les épaules lorsque Karl lui demanda comment ils pouvaient le remercier. Il n'en avait pas la moindre idée.
Cette rencontre était captivante, jamais Lyanna n’aurait cru que de sa vie, elle aurait l’opportunité de croiser un triton, et pourtant, c’était chose faite. Pour un peu, cette fascinante créature pour qui elle avait soudain des tonnes de questions comme l’adolescente curieuse qu’elle n’était plus, lui fit oublier ses tourments. Le pauvre Karl semblait désolé, alors que c’était lui qui avait le plus souffert dans l’histoire, du moins physiquement. Lily gardait sa main dans le dos de son surfeur du dimanche tout en l’écoutant, découvrant avec surprise que c’était pour sa part la seconde fois qu’il rencontrait une créature des mers.
- Vraiment ? Tu me l’avais jamais dit, déclara-t-elle étonnée et amusée. Au moins ut persévères, on ne peut pas te l’enlever, commenta-t-elle quant aux essais passés visiblement ratés en surf.
Le triton abonda en son sens, ce qui la fit esquisser un nouveau sourire. Il avait l’air sympathique et curieux, et puis finalement il ressemblait à un humain lorsqu’il était émergé. Puis, il se présenta et Lily hocha la tête.
- Enchantée Morgan. Je suis étonnée, votre prénom est courant par chez nous. Est-ce que chez les tritons et les sirènes vous avez ce genre de prénoms, ou est-ce que vous l’avez traduit ? Allez vous-souvent hors de l’eau ainsi ?
Elle avait envie de le mettre en garde contre les chalutiers, les divers bateaux de pêche, elle ne voulait pas qu’il soit la victime de l’homme et encore moins qu’un humain étranger au surnaturel ne découvre cette espèce pour au final la mettre en péril.
- Vous êtes tout seul ? Vous devriez faire attention, pas tous les humains sont aussi bienveillants que nous. Je ne veux pas vous faire peur, mais sait-on jamais. D’autant que toutes sortes de créatures foulent la Terre, et Los Angeles en particulier. C’est le nom de la ville, précisa-t-elle. Elle est très grande.
La sorcière était si curieuse d’en savoir plus, tout un tas de questions se bousculaient dans sa tête, mais elle essayait de son mieux de les réfréner.
- Oui, Karl a raison, comment pourrions-nous vous remercier ?
Face à son haussement d’épaules, Lily regarda son bien-aimé pour chercher dans son regard une idée. Lui qui en avait toujours, peut-être trouverait-il.
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