Personne entre les murs de ma villa. Le silence qui me faisait un grand bien. Un voyage de plus, mais cette fois dans le nord du Canada. J’avais eu vent d’une coutume amérindienne et j’étais allé encore plus au nord que Lake Louise dans une petite communauté. Le savoir pour mon coven n’avait aucune limite. Je n’en avais même pas moi-même de toute façon. J’avais avisé Gloria cette fois pour éviter une éventuelle crise de nerfs qui allait me donner encore de l’égorger sur le champ. Je préférais aller dans ce genre d’endroit seul. Je notais ensuite mes informations dans mon précieux grimoire personnel dans mon bureau que j’avais protégé avec une multitude de sortilèges. Même Matthew n’y avait pas accès. Mon savoir sur ces pages noires et des centaines de voyages dans le monde pour tout comprendre. Des parties de mon âme en moins alors que la noirceur me rongeait. Je savais parfaitement que j’allais en mourir un jour, mais pour l’instant, je me contentais de camoufler les effets de la magie noire avec des potions. Je devais avouer que cela marchait plutôt bien.
J’avais eu une discussion avec mon courtier en bourse. Muranov m’avait fortement suggéré d’investir encore dans l’immobilier, car je faisais beaucoup trop de fric. J’avais donc acheté un super chalet dans les montagnes à Lake Louise même. Une demeure de plus. Un point d’ancrage pour mes membres qui ignoraient mon propre visage comme régent. Je le cachais toujours derrière un masque tout comme chaque partie de ma peau encrée. Personne ne devait savoir, sinon les choses pouvaient devenir dangereuses. Arthur Fitzgerald avait un doute tout comme cet imbécile de Shawn Draven. Potentiel tellement gâché pour ce dernier. Draven n’avait plus son âme en entier, mais il était incorruptible. Un jour, je lui ferais la peau. Un jour, je le tuerais moi-même pour le manque de respect dont il avait fait preuve.
Habillé comme à mon habitude, j’avais décidé de me rendre sur la plage en passant par ma propre terrasse d’où s’évadait de la musique. Milady était restée dans la maison dans la noirceur comme à son habitude. J’avais les mains dans les poches avant de sortir mes clopes pour en fumer en tranquillement. Cette zone était relativement calme, car c’était des plages privées, mais beaucoup de gens circulaient. Ça ne me dérangeait jamais du moment qu’ils ne venaient pas sur la terrasse et qu’il ne foutait pas des merdes sur mon terrain. Nous étions donc en fin d’après-midi et je continuais de fumer en fixant l’eau. C’était là que j’entendais une sorte de cri de douleur étouffé (ou un gémissement, je ne sais plus). Je tournais lentement la tête avant de voir une jeune femme, plutôt maigrichonne, assise sur le sol. Blessée ? Peut-être… Je poussais un soupir et je mettais une main dans mes poches de pantalon noir de créateur pour aller à sa rencontre. Il n’y avait qu’un type blindé de fric comme moi pour se promener sur la plage avec des chaussures hors de prix tout comme un pantalon, une chemise et un gilet.
- Bonjour mademoiselle. J’ai la nette impression que vous êtes dans une mauvaise posture … Je me trompe ?
Petit sourire en coin. À force de mimer les sentiments et les expressions, ça devenait naturel. Je le faisais depuis tout petit de toute façon.
Cela faisait trois ans qu’elle hantait les rues de Los Angeles, mais elle n’avait vu la plage que trois fois. Quant à marcher sur le sable, c’était la seconde fois de sa vie entière, aujourd’hui. Diane n’était pas du genre oisif, mais il fallait avouer qu’avoir quelques journées libres, à n’avoir qu’à penser à elle-même, était agréable. Elle préférait tout de même travailler au Third Eyes, pour s’occuper l’esprit. Pour économiser aussi, afin de pouvoir payer ses études sans profiter de la générosité de Stefano.
Depuis qu’elle avait rencontré l’homme singulier, il fallait avouer qu’elle avait plus de temps pour elle que jamais. Elle n’osait pas le dire, mais elle s’ennuyait durant ces temps morts. Il lui fallait rapidement trouver un hobby avant de se transformer en véritable paresseuse. Elle avait donc observé avec curiosité les surfeurs, se demandant si elle serait capable de tenir sur une petite planche au-dessus de l’océan. Pour quelqu’un qui brûlait au moindre rayon de soleil, ce n’était peut-être pas une bonne idée…
Elle continua donc son chemin, ses sandales dans une main, un petit sac dans l’autre, jusqu’à arriver à une zone bordée de villas. Si l’endroit était désert, elle se doutait qu’elle ne pouvait pas rester là. La musique s’échappant d’une des demeures lui indiqua qu’elle n’était pas seule. Elle pressa le pas, ne regardant qu’à peine ou ses pieds se posaient. La douleur qui lui déchira la plante fut subite et elle aurait sans doute dû être plus attentive. Elle poussa un gémissement, relevant instinctivement la jambe et sautant à pied joint un plus loin. Des larmes vinrent brouiller sa vision tandis qu’elle se mordait l’intérieur des joues pour ne pas geindre une fois de plus. Elle se laissa tomber sur le sable, se tenant le pied entre les mains. Elle suivit des yeux les points carmin sur le doré de la plage. Ils menaient jusqu’à un tison de bouteille, dont le tranchant était aussi rouge. Si elle était habituée aux blessures, c’était la première fois qu’elle se prenait quelque chose dans le pied. Et ça faisait un mal de chien!
La voix d’un homme la fit sursauter et elle eut envie de se relever. Elle se contenta pourtant de lever son regard rougi vers celui qui l’interpellait.
“Je suis désolée, je ne voulais pas vous déranger.”
Elle se releva tant bien que mal, mettant tout son faible poids sur sa jambe valide pour ne pas poser sa plaie sur le sable. Elle adressa un sourire poli à cet homme très ostensiblement fortuné et tenta quelques sauts vers l’une des passerelles qui reliaient la plage au trottoir. L’entreprise s’avoua un brin trop délicate sur un sol mou et elle failli se tordre sa bonne cheville. Par réflexe, elle s’accrocha au bras de l’inconnu. Elle s’en éloigna comme s’il l’avait brûlée. Son regard se fit fuyant et elle rentra la tête dans les épaules.
“Pardon, je… je m’en vais.”
Elle restait pourtant immobile, un pied en l’air. Avec un peu de chance, il partirait et elle pourrait ramper jusqu’à un sol plus dur.
Qui aurait pu croire que l’homme que j’étais était en fait le régent d’un coven de magie noire ? Je n’hésitais pas à sacrifier les uns comme les autres pour mon propre plaisir. Je profitais pleinement des faiblesses de tout un chacun sans le moindre remords. Mon seul remords était celui de ne pas pouvoir consommer davantage de clopes, car mon corps ne le supportait plus autant qu’auparavant. J’avais beau prendre les potions de Gloria et masquer au maximum les effets de la magie noire, je savais que j’allais crever un jour ou l’autre. J’avais donc décidé de prendre des arrangements en ce sens, mais c’était une autre histoire.
J’avais un événement bien plus intéressant qui se produisait devant mes yeux. Une jeune femme qui venait de se blesser sur ma propriété. Un éclat de verre ? Voulu ou non ? Qui pourrait m’accuser alors que beaucoup de gens passaient ici ? Je m’étais donc rapprochée de cette dernière avant de lui parler le plus calmement du monde. Je devais avoir l’air d’un drôle de type, mais je m’en foutais. J’étais qui j’étais tout simplement. Un homme blindé de fric avec une immense maison beaucoup trop moderne et froide pour intéresser quiconque. Je revenais de voyage qui plus est.
- Me déranger ? Oh, mais vous ne me dérangez pas mademoiselle. Pas du tout.
Elle se relevait sans même prendre la main que je lui tendais. J’avais bien vu ses joues rougir et cela me faisait encore plus sourire. Avait-elle peur que je la morde ? Allons donc, je ne mordais personne, mais les égorger restait une possibilité. Je devais chasser cette idée de mon esprit en la regardant. Elle s’accrochait rapidement à mon bras alors qu’elle manquait de se tordre une cheville. Délicate petite créature de mon coeur. Si fragile et si craintive. Elle me lâchait d’un coup et cela me faisait surtout rire. C’était quoi cette attitude au final ? Je me contentais de mettre une main dans mes poches en tentant de capter son regard en me penchant un peu.
- Vous en allez ? Soyez raisonnable. Vous êtes blessée. Vous devez nettoyer votre plaie et y apposer un pansement. Ma maison est juste ici. Vous pouvez rester sur la terrasse sans le moindre problème près de la piscine et j’irai chercher la trousse de premiers soins. En réalité, je ne vous donne malheureusement pas le choix, mademoiselle.
Je marmonnais une formule en passant ma main devant son visage. Une simple formule pour la détendre et diminuer son stress. Rien de bien méchant. Elle gardait ainsi pleinement sa conscience. Je la prenais dans mes bras, car elle aurait de la difficulté à monter les escaliers et je n’avais pas envie qu’elle se torde une cheville.
- Vous désirez peut-être un rafraîchissement ou quelque chose a mangé ? Vous êtes aussi légère que le vent, mademoiselle ? Navré, j’ai complètement oublié votre nom. Je m’appelle Auguste Lockwood. Vous pouvez m’appeler Auguste.
Elle ne m’avait pas dit son nom, mais je ne tarderai pas à le savoir.
Diane était méfiante de nature, mais blessée, elle était aussi farouche qu’un chaton sauvage. Elle se força pourtant à sourire, pour signifier à ce bon samaritain qu’elle maîtrisait la situation, mais elle ne le dupait pas. Il refusait de s’en aller, s’amusant presque de sa détresse, et la jeune femme fronça les sourcils. Elle tenta d’ouvrir la bouche pour insister qu’elle pourrait très bien se débrouiller toute seule, mais il parlait si vite, et elle ne voulait pas l’interrompre.
Il ne lui laissait pas le choix, avait-il dit? Le cœur de Diane se mit à ralentir, son souffle court se fit plus long et elle se permit même de fermer les yeux pour une demi-seconde. L’homme lui semblait bienveillant, après tout, et il était clair qu’elle ne pouvait pas faire grand chose dans son état. Elle acquiesça en silence, cherchant à prendre appui sur l’avant bras de son interlocuteur, mais ce dernier la souleva avec aisance et elle se fit porter jusque sur la terrasse. Elle n’avait définitivement pas l’habitude de ce genre d’attention, mais quelque chose chez cet homme la rassurait. Elle se laissa donc faire, s’accrochant à son épaule.
« Merci, mais juste de quoi rentrer sera suffisant. »
La remarque sur sa légèreté lui fit baisser les yeux vers ses membres. Elle avait pris du poids, ces derniers mois, presque assez pour remplir le creux de ses joues. Elle n’avait cependant jamais eu un gros appétit et si ses repas étaient plus fréquents et de meilleure qualité, ils n’en restait pas moins succincts.
« Diane, » sourit-elle poliment à Auguste avec un léger hochement de tête.
Lorsqu’il la posa, elle enleva son cardigan rose et épongea la plaie. Le sol était bien trop beau pour qu’elle ne le tache avec ses bêtises, et Auguste n’apprécierait certainement pas qu’elle salisse la villa aux allures de musée. Elle releva un œil inquiet vers son hôte, se recroquevillant légèrement.
« Votre maison est sublime, Mr Lock… Auguste. »
Elle regarda les alentours sans trop bouger la tête. Il était riche, comme elle s’en doutait. Par chance, Stefano l’avait quelque peu habituée au faste, et elle n’eut aucun mal à retenir son ébahissement face au grandiose des lieux. Le picotement sévère de son pied lui rappela la raison de sa présence. Elle enleva le cardigan tournant au rouge pour jeter un coup d’œil. La ligne était nette et peu large, elle n’aurait probablement pas besoin de points de suture.
« Auriez-vous un peu d’alcool et un bandage? » osa-t-elle. Plus vite elle serait sur pied, plus vite elle pourrait laisser l’homme à ses occupations. « Je… je sais m’en occuper moi-même, ne vous inquiétez pas. »
C’était vrai. Bien équipée, elle était capable de se rafistoler presque correctement. Elle gardait plusieurs cicatrices, visiblement sur ses bras, ses épaules et son cou, maintenant qu’ils étaient dénudés, mais elle avait survécu jusque-là.
Son prénom m’était dévoilé. La jeune femme se prénommait Diane. Elle était mince à la limite de la maigreur et elle semblait avoir eu une vie difficile. Le genre de poupée facilement manipulable entre mes mains expertes. En apparence, j’avais l’air d’un homme comme les autres avec une pointe d’extravagance. Cette extravagance qu’on laissait aux riches et qui leur allait bien. J’avais toujours eu un style bien à moi, bien qu’à l’adolescence j’étais plutôt dans une essence gothique. Désormais, je savais marquer les esprits dans le bon sens même si je restais un homme dangereux et fourbe. Je posais la jeune femme sur le sol en pierre de ma terrasse. Elle prenait immédiatement son cardigan pour mettre sous son pied. Je la guidais vers une chaise à quelques mètres. Je lui faisais un sourire face à son compliment sur ma maison. Une maison moderne et luxueuse et les matériaux le laissaient facilement savoir.
- Je vous remercie pour ce compliment Diane.
Je me penchais pour regarder la plaie de la jeune femme alors qu’elle tournait le pied vers elle pour regarder sa blessure. Je connaissais bien ce genre de coupure et j’avais un petit sourire en coin avant de me redresser en écoutant ses propos. Une jeune femme avec une once de courage qui avait cependant quelques lacunes en matière de soins.
- De l’alcool ? Grand Dieu, je ne mettrai pas d’alcool sur votre plaie. Cela abîmerait vos cellules saines en brûlant la peau. Je vais m’occuper de votre pied, peu importe ce que vous direz. Ne vous en faites pas pour le sol. Il a connu bien pire qu’un peu de sang. Ma femme de ménage ne doit pas être payée pour ne rien faire. Je reviens dans quelques instants. Profitez de la vue pour vous détendre.
J’entrais dans ma maison alors que Milady sortait de sa cachette une fois que j’étais dans la salle de bain du rez-de-chaussée. Elle grimpait sur mon épaule pour venir me murmurer à l’oreille que la jeune femme ferait un sacrifice sublime.
- Oh Milady … Il faut être courtoise avec notre invitée. Tâche de rester cacher. Tu risquerais de lui faire peur. Nous en reparlerons plus tard.
L’amblypyge partait pour regagner l’une de ses nombreuses cachettes alors que je prenais la trousse de premiers soins. Je passais également par la cuisine pour sortir un plateau de légumes ainsi que des Doritos. Il n’y avait rien de mieux. Je posais le tout sur la table de la terrasse avant de tirer une chaise en face de celle de la demoiselle.
- Votre pied s’il vous plaît que je puisse nettoyer cette plaie correctement avec de l’eau stérile.
Je prenais sa cheville pour poser son talon sur ma cuisse. J’ouvrais les gazes et je commençais à nettoyer avec l’eau.
- Alors mademoiselle Diane. Qu’est-ce qui vous amenait à marcher le long de la plage ? Une petite envie de dépaysement ? Vous pouvez manger si vous le souhaitez. D’où venez-vous exactement ?
Le sang coulait avec le sable sur mon pantalon de designer et je n’en avais rien à faire. Je pouvais en avoir des nouveaux en claquant des doigts. Je levais le regard en lui faisant un sourire en coin. Heureusement que Gloria était absente.
Apparemment, l’alcool n’était pas un bon remède à ses maux. Les sourcils froncés, elle se demanda si ses cicatrices venaient de là. Elle regrettait de ne pas avoir appris cela avant, et en attendant Auguste, elle se remémorait les fois où elle avait dû s’occuper de ses coupures. La plupart du temps, elle les traitait seule avec ce qu’elle avait sous la main. Aujourd’hui, il était rare qu’elle ait besoin de plus qu’un petit pansement. Mais s’il lui arrivait malheur, elle comptait sur Eva pour la remettre sur pied. Elle n’aimait pas dépendre de quelqu’un, mais il fallait avouer qu’avoir un médecin dans son carnet d’adresse était bien pratique. Et puis elle n’y allait jamais les mains vides.
Elle leva les yeux vers la demeure de laquelle Auguste revenait. Elle allait devoir repayer sa générosité d’une manière ou d’une autre. Clairement, aucun montant d’argent qu’elle pourrait proposer ne serait suffisant, l’homme étant bien trop riche pour s’intéresser à ses maigres économies. Mais peut-être quelques services? Il avait déjà une femme de ménage, mais peut-être avait-il besoin d’une cuisinière? Le plateau qu’il amenait était original, en tout cas.
« Un jour de congé mêlé à l’ennui, » répondit Diane à ce drôle de personnage. « Je crois que je me suis perdue dans mes pensées, je ne voulais pas entrer sans permission. »
Elle parlait avec une facilité déconcertante mais elle n’en fit pas vraiment cas. Le soleil était haut, le vent rafraîchissant et Auguste avenant. La dernière question était plus compliquée, cependant. Elle n’avait pas envie de se dire de la Nouvelle-Orléans, mais en même temps, elle ne pouvait pas prétendre venir L.A. Elle décida donc de laisser la question en suspens.
Diane grimaça lorsqu’il prit son pied mais se retint d’émettre un son. Pour s’occuper les mains et l’esprit, elle prit une carotte et regarda Auguste faire. Ce ne serait certainement pas sa dernière blessure, et elle pourrait utiliser ces connaissances, dans le futur.
« Vous êtes docteur? » demanda-t-elle lorsqu’elle eut fini son légume.
Si non, elle était impressionnée par sa vitesse d’exécution et son calme face à la vilaine blessure. Ce n’était pas tout le monde qui restait de marbre face à la quantité de sang qui s’écoulait en grosse gouttes carmin le long de son mollet et sur le pantalon de l’homme. Elle espérait qu’il ne lui fasse pas payer les frais de nettoyage…
« Du vinaigre blanc, » finit-elle par dire. « Pour le sang. »
Elle n’était pas la meilleure pour se soigner, mais elle savait comment cacher les traces de ses coups. Elle avait nettoyé un nombre incalculable de vêtements.
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