Lui l’expansif, l’impulsif, lui l’original qui sévissait dans les rues de Londres lorsque le dénommé Jack l’Éventreur faisait couler autant d’encre que de sang. Ce James-là n’existait plus, seul demeurait un être presque taiseux, peu volatil, qui peinait à s’exprimer correctement. Il fallait bien lui reconnaître quelques tentatives, mais son entrée dans 21e siècle était trop récente pour qu’il ne puisse prétendre s’y être adapté. Nul doute qu’il lui faudrait encore un peu de temps et ça il en disposait. Par chance, il n’était pas le seul vampire à Los Angeles ; une chance relative, car nombreux étaient les pourris, mais au moins ils avaient le mérite d’exister ce qui permettait au britannique d’origine, de ne pas se sentir trop esseulé. Sarah était différente, installée qui plus est, elle semblait ne nourrir aucun trafic et devait certainement en plus d’être indépendante, n’appartenir à aucun gang ; ce qui n’était pas forcément le cas chez les quelques contacts de James dont Alessandro son « frère » de morsure qui vivait comme un pacha et pouvait se targuer d’avoir bien des possessions ici-bas ; des possessions de toute évidence nourries par quelques trafics. Pouvait-il le blâmer pour ça ? N’était-ce pas le propre d’un vampire que de s’adapter pour survivre ?
— Ce que vous dites est la preuve que l’histoire est un cycle, malheureusement amené à se répéter. L’homme a toujours procédé de la sorte ; sa mortalité le pousse toujours plus loin dans ses quêtes et conquêtes. J’ai vécu l’ère industrielle en Angleterre. C’était grandiloquent et l’on ne peut nier que certaines inventions eurent été brillantes bien que perfectibles. C’est bien dommage que l’homme n’ait pas appris de ses erreurs. Tout ça pour dire qu’architecturalement parlant, c’est la bérézina par ici , tenta-il avec humour pour finir sur une note légère.
Quelques minutes s’écoulèrent au rythme d’une conversation pour le moins intéressante. James restait vague, mais consentait à donner quelques éléments sur son histoire. Après tout, il devait bien ça à Sarah qui acceptait de travailler bénévolement. Elle demeurait concentrée malgré tout et semblait prendre à cœur ce projet si bien que lorsqu’elle présenta une première ébauche, Mr Lovell fut agréablement surpris par la découverte.
— Je crois que je vous ai sous estimé. Il prit grand soin d’observer le croquis qui venait de lui être présenté. — D’habitude je ne suis pas un adorateur de surprises, mais j’ai bien envie de me laisser surprendre surtout quand je vois ce que vous semblez capable de faire. Et puis n’est-ce pas une marque de confiance que celle de vous laissez carte blanche ?
« Oui, vous avez raison dans ce que vous dîtes. L’homme est égoïste et il ne se rend pas compte des bêtises qu’il fait. Il se croit au dessus de tout et de tout le monde et la plupart se pense même être au dessus des lois. La terre va s’arrêter un jour et l’homme en sera le responsable. Avec leurs armes et leur pollution, nous allons droit dans le mur. » Très franchement, l’être humain me désolait. Mais en ce qui me concernait, je ne pouvais rien y faire ni changer quoi que ce soit. Alors, je vivais ma petite existence sans ennuyer qui que ce soit.
Je remettais mon regard sur mon dessin et je laisser mon crayon faire ce qu’il avait envie. Tout en écoutant James, j’essayais de le cerner du mieux que je pouvais afin de partir sur une création qui allait lui correspondre au mieux. Je n’étais pas le genre de femme qui partait sur des créations ridicule avec des sac poubelles ou des objets qui n’avaient absolument rien à faire sur des vêtements. Je ne comprenais pas comment des gens pouvaient payer des milliers de dollars pour des vêtements qui ressemblaient à un fond de poubelle.
Je terminais ma première ébauche et j’attendais que James me donne sa première impression. Apparemment, j’avais du taper juste car il en fut vraiment satisfait. Un sourire se dessina sur mes lèvres. « Je suis ravie que ça vous plaise. Je vais donc pouvoir me mettre au travail afin de la terminer le plus vite possible. J’aurai quand même besoin de savoir combien de tenues vous souhaiter avoir ? Car je me doute que vous promener tous les jours avec la même risque d’attirer les regards et les interrogations des personnes qui se trouvent dans votre entourage. »
Je ne voulais pas paraître indiscrète sur sa vie privée. C’était juste une simple constatation car je savais que l’être humain pouvait être de nature un peu trop curieuse parfois.
De jour en jour, de semaine en semaine, le vampire semblait se redécouvrir. Bien sûr, il ne pouvait nier qu’il lui arrivait parfois de regretter celui que de nombreux Anglais eurent nommé le « Bloody Lord » à cause de cette propension à la violence ayant fait la renommée de l’aristocrate. Mais une part de lui rappelait à James toute la souffrance qu’il avait infligée et le mal engendrait par ses agissements. Ainsi, deux James semblaient cohabiter non sans difficulté ; la malédiction rendait l’une des deux faces de la pièce moins visibles que l’autre (pour l’instant). Mais d’un autre côté, le vampire que jamais la nostalgie ne quittait appréciait sentir à nouveau l’être respectable qu’il fut jadis avant la transformation, reprendre vie. Il aimait aussi faire de nouvelles rencontres et étoffer ses relations au sein de la ville.
— Vous savez, je crois qu’il faut se dire qu’il existe des hommes et des femmes qui dérogent à cet égoïsme dont nous les affublons si aisément. Il s’étonnait lui-même en prononçant de telles paroles, lui qui avait tant exécré l’humanité après avoir tout perdu. — Je pense qu’il faut nuancer notre propos et se dire que si les égoïstes existent, il en va de même pour les altruistes. Toutefois, j’ose espérer qu’ils sont plus nombreux ; sinon quoi, comme vous le dites, nous allons droit dans le mur. Il pensait à Eva, sans cesse, mais il pensait à elle pour redonner à l’humain égoïste, un meilleur visage et une perspective d’espoir.
Les coups de crayon reprirent de plus belle, tout comme l’échange entre les deux vampires. James était à l’aise avec Sarah, assez pour être affable en parole et se répandre davantage sur sa vie passée et sa personnalité ; une aubaine pour la créatrice qui en plus de laisser libre cours à son inspiration, pouvait dès lors cerner un peu mieux le personnage qui lui servait de modèle. — Vous êtes consciencieuse en tout cas, ça fait plaisir. Une impression qui se confirma lorsque madame Miller acheva la première ébauche de croquis et la présenta au Britannique qui fut surpris et par la rapidité de sa congénère et par son talent plus qu’indéniable.
— En toute honnêteté et loin de moi l’envie de vous vexer, je n’imaginais pas un tel résultant en venant jusqu’ici ; malgré le fait que mes interlocuteurs aient encensé comme il se doit, votre travail. Toujours est-il que le résultat est là et que je suis agréablement surpris par ce que je vois. Pour ce qui est du nombre, je pense que trois pour commencer, est une bonne alternative. Quand j’aurai retrouvé mon semblant de fortune et acquis un pied à terre par ici, il sera plus facile pour moi de vous solliciter sur toute une garde-robe. Sauf bien sûr si vous avez trop de travail ; ce que je peux comprendre vu ce que vous êtes capable de réaliser.
J’écoutais ce que mon interlocuteur me disait tout en dessinant. J’avais toujours eu la capacité de faire deux choses en même temps. Ce qu’il fallait bien avouer, était relativement pratique. Ce qu’il disait me faisait sourire, mais ce n’était pas méchant. Je stoppais mon geste et je levais les yeux vers lui. « C’est une grande qualité de voir le verre à moitié plein et non l’inverse. Je sais très bien que nous ne devons pas tous les mettre dans le même panier, mais parfois, j’ai un peu du mal... » Après tout, s’était des humains qui avait brûlé vifs ma famille.
Puis, je pensais à ma relation avec Shawn. Je ne savais pas vraiment si nous étions ensemble ou non, mais on se voyait souvent et je passais très souvent la plupart de mes nuits chez lui. Il m’avait sauvé la vie quand nous étions au Mexique et il avait été blessé. J’avais réussi à recoudre ses blessures sans avoir envie de lui sauter à la gorge. Je n’étais pas une jeune vampire et j’avais de la maîtrise, mais comme tout le monde, il m’arrivait aussi d’avoir des moments de faiblesses qui, heureusement, n’avait pas eu lieu ce soir-là.
« Mais c’est vrai, il y a des humains qui sont très bien et qui se contentent de vivre leur vie sans ennuyer qui que ce soit. » Une fois mon dessin terminé, je le lui donnais afin qu’il me donne ses premières impressions. En ce qui me concernait, il avait tout à fait le droit de critiquer s’il le souhaitait. Car comme on dit, tous les goûts sont dans la nature. Je fus soulagée de voir que ma première ébauche lui plaisait. « Je suis ravie que cela vous plaise. Oui, c’est parfait, nous pouvons partir sur ça et voir le reste après. »
Je me levais pour aller ouvrir un tiroir dans lequel se trouvait des échantillons de tissus. Je less prenais avec moi et je retournais m’assoir. « Voilà les matières que je peux vous proposer. En ce qui concerne les couleurs, est-ce que je le garde comme elles sont sur le dessin, ou désirez-vous que je les changes ? Car, comme vous pouvez vous en doutez, tout est possible. »
J’enviais impunément les créatifs ; celle et ceux capables en un coup de pinceau, de représenter ce qui se cache dans le tréfonds de leur tête. J’admirais jadis la virtuosité de quelques artistes qui laissaient la mine de leur crayon glisser sur le papier sans quitter du regard leur sujet. C’était impressionnant, autant que le rendu final, flirtant à s’y méprendre avec la réalité. Je les enviais tant, moi le gaucher incapable de tels prodiges. Cependant, je me consolais avec la poésie et la lecture ; une activité certes moins créative, mais qui n’en demeurait pas moins affiliée à un art certain. Pour ensuite me réconforter avec ses mains qui, avant de commettre des massacres, glissaient sur le clavier d’un piano. Là encore, mon éducation aristocratique œuvrait à me laisser croire que je pouvais prétendre à un certain talent artistique. Mais voilà bien longtemps que je n’avais pas joué de cet instrument, si bien que je me demandais si j’en étais encore capable. Mais traite les considérations artistiques, je préférais me focaliser sur l’échange avec Sarah Miller capable de concilier conversation et création.
— Il n’y a pas si longtemps, je vous aurais sûrement répondu la même chose. Indubitablement, j’en venais à songer à ce qui avait été fait à ma propre famille, bien qu’à cette époque, j’eusse été mortel. — En tout cas, j’aime votre formule sur le fait de voir le verre à moitié plein. Une expression qui ne m’était pas familière, je l’avoue, mais que je louais par la métaphore qu’elle illustrait à merveille. Sarah, qui continuait à faire parler son coup de crayon, sembla toutefois revoir son jugement sur les humains, ce qui me fit sourire. — Effectivement, il y a des humains qui se contentent de vivre leur vie sans mettre à mal la nôtre. Dès lors, je ne pus m’empêcher de songer à Eva. — Leur humanité, pour certains, fait ressortir le meilleur de nous. J’aurais dû m’abstenir et voilà que soudainement je regrettais de mettre confié de la sorte. Je la connaissais à peine et me voilà à dire que certains humains pouvaient nous permettre de nous montrer sous un jour meilleur. N’étais-je donc pas devenu trop naïf ?
L’échange de croquis me permit de voguer vers d’autres sujets moins malaisants. Au premier coup d’œil, je constatais par le biais des traits fins et des rayures venant noircir l’espace que la femme était une artiste et une parfaite physionomiste. Ainsi, je m’imaginais sans mal porter la création à venir simplement en visionnant ce croquis. J’étais tellement satisfait, qu’il m’était impossible de ne pas le faire entendre et à en juger par la réaction de madame Miller, elle était rassurée d’avoir répondu à mes attentes. — Vous avez un talent indéniable et je suis ravi que l’on m’ait mené jusqu’à vous. La voilà qui se leva pour récupérer ce qui me sembla du tissu. — Puis-je ? demandais-je en désignant les échantillons qu’elle me tendit. — Je ne vais pas être original dans mes goûts, mais je dois reconnaître avoir une tendresse particulière pour la soie. Rassurez-moi, l’on confectionne toujours des costumes en soie ? Ayant manqué plus de huit décennies, je me doutais bien que les modes vestimentaires avaient changé. — Quant à la couleur, j’aime le rouge et le bleu dans tes tonalités foncées. Cela vous parait-il réalisable ?
Parler avec James était un véritable délice. Ca changeait vraiment de ma clientèle habituelle qui me jetais limite leur billet au visage et qui me disait simplement de leur faire parvenir leur commande une fois cette dernière réalisée. James avait de la conversation et il intéressait vraiment à ce que je faisais. La plupart des femmes qui venaient me voir, avaient juste envie d’impressionner leurs amies en portant une création. Le reste n’avait vraiment pas la moindre importance. Je levais le regard vers lui. La phrase que ce dernier venait de dire, n’avait pas atterrie dans l’oreille d’une sourde. « Dois-je comprendre que vous avez rencontré un humain qui a changé votre vision de la chose ? »
Je venais de me rendre compte que ma question était vraiment indiscrète. Je ne le connaissais pas suffisamment pour me permettre d’aborder ce genre de sujets. « Je vous prie de m’excuser, mes paroles ont dépassées ma pensée. Je n’aurai pas du vous poser cette question. » Ceci dit, j’espérais que c’était ça, car en ce qui me concernait, j’avais aussi rencontré une personne qui m’avait fait changé ma vision des choses. Il rebondit tel un chat sur le talent que je possédais.
« Je vous remercie, je suis ravi que ça vous plaise. » Une fois les échantillons dans la main, je prenais soin de les tendre vers lui afin que ce dernier puisse faire son choix. « Oui, je vous en prie. » Je restais silencieuse le temps qu’il se décide. « Eh bien, oui, ça se fait encore mais s’est surtout pour des tenues d’intérieur. En revanche , ce que je pourrai faire, serait de mélanger deux matières pour que ça passe mieux. Qu’est-ce que vous en pensez ? Oui, le choix des couleurs est très bien et tout à fait réalisable. Après, je ne vous fait qu’une simple suggestion. Mais si vous tenez vraiment à avoir un costume entièrement en soie, je me ferai un plaisir de vous le faire. »
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