Maintenant qu’elle avait 21 ans, un tout nouveau marché s’ouvrait à elle. Les bars, ce lieu merveilleux où les gens étaient beaucoup trop ivres pour se rendre compte de ce qui se passait autour d’eux. Ils ne réalisaient probablement que le lendemain matin, lorsqu’ils réussissaient à passer au travers de leur migraine, que leur porte feuille ou, seulement son contenu, avait disparu au cours de la soirée. Leur esprit ne leur permettait pas de remettre un visage sur cette petite main agile qui s’était faufilé jusque dans leur poche pour prendre ce qu’elle croyait être sien. Elle le méritait, de toute, cet argent. Parce qu’elle avait souffert, elle le méritait. Ekaterina avait, cependant, certaines valeurs. Elle avait ses propres règles. Elle ne volait qu’aux plus nantis. Ceux qu’elle trouvait suffisamment riches pour se passer de quelques dollars.
Elle avait passé quelques jours à observer le bar. Elle voulait se fondre à la masse et ne pouvait pas porter les mêmes vêtements qu’elle allait pour dévaliser les grands magasins, son expertise. Elle était douée pour entourlouper les vendeurs et prendre ce qu’elle voulait sous leurs yeux. Elle l’était beaucoup moins comme pickpocket ou comme simple voleuse comme on lui avait prouvé maintes fois. Ekaterina voulait tout de même retenter le coup. Avec des cibles ivres, elle aurait probablement plus de chances. Elle ne portait rien de bien voyant. Ses fameux talons ainsi qu’une petite robe noire aux allures 60’s décorée d’une jolie boucle de soie au cou.
Elle entra d’un pied certain, et se dirigea vers le bar, comme si elle avait fait ça des millions de fois. En réalité, c’était la première. Elle avait juste assez d’argent pour un petit cocktail genre gin-tonic, rien de bien extravagant. De toute, elle n’aimait pas l’alcool. On l’avait trop souvent forcé à boire pour la garder tranquille, docile. Elle n’était pas docile, elle ne voulait plus être docile. Elle n’était plus la petite fille séquestrée, c’est ce qu’elle voulait se faire croire, du moins. Elle commanda son verre. Croyant comprendre qu’elle n’aurait pas à payer. Un homme de l’autre côté du bar lui dit un signe de la main et un clin d’œil. La slave ne connaissait pas ce qui semblait être une norme culturelle. Elle n’en comprenait pas le sens, ni l’objectif. Elle se contenta de faire un signe de la tête et de porter le liquide à ses lèvres, retournant à sa recherche de la parfaite victime.
Elle le trouva enfin. Un grand blond, beaucoup plus grand qu’elle, aux cheveux bouclés, accoudé au bar, pas trop loin d’elle. C’était un bel homme, mais Katya ne regarda pas son visage. Elle se concentra sur sa veste, la poche de sa veste et la lourdeur de son portefeuille au fond de celle-ci. Lourdeur qu’elle ne pouvait tarder à alléger. Tout ce poids sur une étoffe de cette qualité, ce ne pouvait qu’abîmer la fibre. Elle se devait de la soulager. Il semblait concentré sur un tableau. Le regard perdu, le regard loin. Ekaterina n’en avait que faire de l’art. C’était trop compliqué à voler et à revendre. Elle avait l’œil pour le joli, certe, mais elle était plus expérimentée avec les étoffes, les grandes marques. Elle n’avait pas été exposée à suffisamment d’art pour en reconnaitre la qualité. Elle se rappelait cependant des manteaux luxueux de ces futurs parents qui venaient chercher leur futur enfant a l’orphelinat. Elle se rappelait des vêtements de qualités de ces visiteurs de sa prison dorée qui préféraient l’ignorer, ou la violer.
Elle s’approcha doucement, c’était tout de même facile d’être silencieuse dans un endroit aussi bondé et bruyant mais elle était tout de même douée pour ne pas se faire entendre. Elle détourna son regard, faisant mine d’avoir entendu son nom et rentra directement dans le pauvre homme assis qui ne demandait rien à personne, laissant son verre tomber par terre.
« Pardon, oh… pardon monsieur! »
Dit-elle de son accent fort, se confondant en excuse encore et encore alors qu’elle prit une serviette pour l’éponger, même si elle avait fait attention de ne pas trop les éclabousser, ayant probablement plus de respect pour le travail de maître qui avait été fait sur les vêtements qu’elle en avait pour les individus. Elle profita de cet instant de confusion pour plonger la main dans la poche de l’homme, ne sachant pas qu’il était le propriétaire du bar, et y prendre le portefeuille qu’elle glissa dans son propre sac, maintenant accroupie, en équilibre sur ses talons pour ramasser le verre brisé.
Depuis la mutinerie, Elliot s’était calmé en matière de complot. Certaines blessures n’avaient pas encore guéri, formant que des traces de morsures éparses sur sa peau déjà bien abîmée par la rudesse de sa vie. Heureusement qu’un sorcier l’avait aidé à survivre. Elliot avait été laissé dans une plaine désertique et a fallu mourir dans celle-ci. Esseulé et isolé, il allait mourir de graves blessures. Une horrible mort. Heureusement qu’un sorcier était passé par là et avait eu pitié pour l’Alpha de la meute. De ce loup, qui avait eu à peine de la force pour redevenir sous sa forme humaine, avant la levée du soleil sinon il serait mort en tant que loup ou serait devenu fou. Elliot avait attendu un certain temps avant de revenir parmi les siens et exécuter ceux qui avaient tenté de l’abattre comme un vulgaire chien errant. Il avait été furieux de cette révolte au sein de sa meute. Pendant sa guérison, il avait ruminé ce fait. Quand allaient-ils comprendre que tout ce qu’il faisait, c’était pour leur bien ? Pour que les loups ont un blason, ont une importance au sein de cette ville ? Les loups se faisaient effacer par les démons, les vampires qui prennent de plus en plus de territoire sur eux. Ils se faisaient ignorer. Elliot voulait que les loups soient forts, dominent cette ville qui était autrefois celle des loups-garous. Cependant, sa meute ne voulait pas de ça ou ne voulait pas du tout de lui en tant que chef de meute. Ses parents n’avaient pas voulu, n’avaient jamais voulu de lui tout court. Ils l’avaient violenté psychologiquement et physiquement. Elliot ne comptait plus le nombre de fois où il avait été enfermé dans un placard sombre. Certes, il voyait dans le noir depuis qu’il était tout petit mais être enfermé dans un endroit étroit, sans nourriture ni eau l’avait traumatisé surtout que c’était souvent après une raclée pour un oui ou un non.
Sa mère l’ignorait, le rabaissait, l’humiliait. Son père le faisait mal physiquement et mentalement avec des punitions d’un véritable sociopathe. Ils ne voulaient pas de lui, ni dans la meute ni dans leur vie. Elliot avait toujours été le rejeton de la meute, celui que les autres rejetaient alors que le petit garçon voulait un peu d’attention de la part d’un adulte mais il n’était qu’Elliot, le second né non désiré. Celui qui ne sera jamais l’Alpha car son frère allait l’être. Il n’était pas intéressant ainsi, couvert de blessures et d’ecchymose. Il était celui que tout le monde oubliait ou rejetait. Depuis, il avait une sainte peur des gestes brusques ou ceux dont il n’avait pas fait le premier pas. Ce genre de geste où il n’avait pas eu le regard tacite. Il n’arrivait pas aux touchers simples, d’une simple embrassade avec quelqu’un. Cela le mettait en horreur à cause des images qui le traversaient. Dans son enfance, il n’avait jamais eu un geste tendre ou gentil. Un toucher si simple qu’une tape sur l’épaule était une brûlure pour lui. Une intrusion horrible. En cette soirée, Elliot était pensif. Il s’était même mis de l’autre côté du bar laissant un barman en charge des commandes. Le bar n’était pas bondé de monde en cette soirée mais il s’en fichait bien. Il fixait sans mot dire, une peinture qu’il venait de faire. L’art était quelque chose qui le sortait de son train de vie, de ses voix qui lui hurlaient en ce moment même de faire du mal comme il avait eu mal. Il voulait regarder quelqu’un dans les yeux, voir cette lueur de terreur qui avait dû être la sienne lorsqu’il était un enfant.
Elliot sentit un mouvement derrière lui, ses sens se sont affolés lorsqu’il sentit quelque chose couler sur lui, goûtant sur sa veste en cuir. Tournant la tête, il sentit une odeur féminine avec du parfum. Il se raidit en sentant ses mains tandis que la malheureuse se confondait en excuse. Il ne bougeait pas, tentant de repousser les images horribles qui lui venaient en tête et l’envie de réduire à néant cette jeune femme dans la ruelle. Il repoussait même les voix qui lui hurlaient de le faire, qui lui disaient d’avoir trouvé la bonne poire pour ça. Il sentit un mouvement suspect au niveau de sa poche en cuir. D’un geste brusque et soudain, il attrapait cette main, relevant la jeune femme. Toute empathie pour la malheureuse avait disparu, laissant les voix le guider pleinement. Son visage fermé exprimait de nouveau un visage furieux et mauvais. Ses yeux bleus brillaient de rage. Il aplatit avec force, le bras sur le comptoir du bar.
-Tu comptais faire quoi, ma jolie ? Demanda-t-il d’un ton furieux. Je te conseille de ne pas jouer la carte du mensonge ou de l’excuse mais celle de la franchise parce que je suis à deux doigts de te tuer pour m’avoir touché sans ma permission, ajouta Elliot sur le même ton avec une once de dangerosité dans celle-ci.
Sa voix était rauque et avait beaucoup de détermination. Il était prêt à le faire, ce n’était pas quelque chose à douter. Il avait fait bien pire.
La vitesse d’exécution du mouvement pris Ekaterina complètement par surprise. Elle n’eut même pas le temps de lâcher le portefeuille qui se retrouva aplatit sur le bar sous sa main maintenant ouverte. Elle tourna son visage surpris vers celui de sa victime, enfin, elle n’était plus certaine qui était la victime dans cette situation. Dans le visage colérique de l’homme se trouvait le mélange d’émotions qu’elle avait vu tant de fois adressé vers elle avant que le choses ne tournent très mal. Ses genoux fléchirent un peu, elle tentait de s’écraser, de se faire petite.
Les paroles d’Elliott l’envoyèrent bien loin dans sa tête mais pas si loin dans le temps, malheureusement. Ses yeux se remplirent de larmes qui coulèrent sur sa joue et allèrent s’échouer sur ses lèvres entrouvertes. Son esprit la quitta l’espace d’un moment, allant se perdre dans ses flashbacks douloureux des viols et abus qu’elle avait vécu si longtemps avant de se retrouver ici, à essayer de survivre et ne réussissant visiblement pas très bien à cette tâche. Ses vêtements cachaient sa maigreur, elle avait faim. Katya ne pensait plus à son estomac par contre. Elle pensait maintenant à son poignet douloureux sous l’emprise d’Elliott. Sa main paraissait gigantesque comparé à la sienne.
« Non… »
Murmure-t-elle, n’osant pas se débattre plus que cette minable protestation. Elle ne contrôle plus les tics de panique sur son visage et semble se laisser tomber tranquillement vers le sol au rythme de marées des souvenir vivides qui se projettent dans son esprit. Elle voyage dans le temps. Elle se plonge dans le passé. La brune a de nouveau treize ans et est emprisonnée dans sa prison dorée américaine, le visage écrasé sur un matelas inconfortable, une main aussi grande que celle-ci appuyant fermement sur sa joue pour l’empêcher de se retourner et de regarder son abuseur en face. L’Ekaterina du passé et celle d’aujourd’hui tremblent de tout leur corps même si la main est différente, même si le lieu est différent. Elle ne voit plus le bar mais bien le manoir dans lequel elle a été retenue prisonnière pendant des années.
« Je prends pas. Je pars. Je touche pas. »
Qu’elle implore de son fort accent ukrainien alors qu’elle tente une dernière fois de bouger sa main sans grand succès. Son petit poignet maigrichon n’a aucune chance contre la main qui lui parait gigantesque d’Elliott. Elle tente de contrôler sa respiration irrégulière, elle essaie de rester présente, prête à se sauver dès qu’il lâchera sa main, enfin, si ses jambes lui permettaient de courir parce que pour l’instant, elles semblaient se dérober sous elle. Elle n’ose plus regarder le visage du propriétaire du bar, son regard fuyait, tentant d’entrer en contact avec un passant qui voudrait peut-être lui venir en aide sans grand succès. Elle porte une main tremblante à son visage pour essuyer ses larmes incontrôlables. Dans son geste, elle tourne le visage et voit une fourchette qu’elle empoigne de sa main libre et qu’elle pointe vers Elliott. Sa dernière chance, possiblement.
« Laisse ma main. »
Elle chuchottait, ne cherchant plus à attirer l’attention des autres clients. Son arme était futile, sa dernière défense risible, mais c’est tout ce qu’il lui restait. Ces quatre petites pointes dirigées vers son assaillant. Elle s’accrochait à cette fourchette comme elle s’accrochait à sa vie. Tout ce qu’elle faisait, elle le faisait dans l’espoir de survivre. La vie humaine était si courte et elle passait tant de temps à attendre. À se dire que lorsqu’elle aurait assez d’argent, elle irait mieux. Que lorsqu’elle aurait son propre appartement, elle irait mieux. Si au moins, elle pouvait éviter de mourir dans une ruelle derrière un bar.
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