Bousculade et interrogation Ekaterina Kovalski & Irvin McBright
Le soleil allait a peine se lever. Il éclairait lentement la plage, se montrant discrètement dans des teintes bleutées. Il donnait une impression froide sur le sable, bien que dans quelques temps ses rayons dorés réchaufferaient le cœur des gens. La mer était calme, on entendait que le bruissement de l’eau qui glissait sur les grains. Un paysage paisible semblait-il, presque reposant quand on y pensait, mais cela aurait été sans oublier le bruit des bâtiments humains qui s’étendaient le long du port de Los Angeles. Très bruyant ses petits hommes de chairs. Et pourtant Irvin avait l’habitude d’entendre des cris et des plaintes dans les Enfers. Un endroit où on pouvait rapidement devenir fou si on ne faisait pas forcément attention et c’était peut-être pour ça que les gens pensaient les démons mauvais. Bah oui à force d’entendre des hurlements à longueur de journées ça donnait des envies de meurtres, non ?! Si seulement les humains n’étaient pas aussi stupides, toujours obligé de justifier ce qu’ils n’arrivaient pas à comprendre, d’omettre ce qui se trouvaient devant leur nez, d’ignorer ce qu’ils ne voulaient pas voir et de désirer des choses qu’ils ne pourraient jamais avoir. Après Irvin n’allait pas se plaindre non plus, ça arrangeait plutôt bien ses affaires de voir le paradoxe humain. Mais si les démons étaient si meurtriers, ‘mauvais’ comme dirait les hommes, c’était simplement une volonté et non pas une question de folie. Certains étaient fous oui dans leur genre. Irvin avait fini son service, comme tous les matins, tôt dans la journée. Et il écoutait attentivement les derniers alcooliques qui hurlaient à la mort dans les nombreuses ruelles du port. Tous les lieux n’étaient pas fermés, il faisait encore nuit malgré les faibles lueurs de l’aube. Le démon n’était guère pressé de rentrer dans le logis où il vivait. Un endroit miteux, appartement qu’on disait, d’une trentaine de mètre carré où il tournait très rapidement en rond. Autant on disait de l’Enfer que c’était désordonné, autant l’appartement de son hôte était tout simplement exécrable. Feignant en plus d’être stupide. Et pourtant si utile, si manipulable, si amusant. Oui Irvin trouvait que c’était amusant parfois de les voir penser l’avoir berné alors que c’était tout l’inverse. Combien de fois les yeux pétillants de victoire avaient luis dans les regards de ses hommes et femmes, avant de finalement récupérer leur dû d’une tout autre manière que celle souhaité. En ce moment tout était assez calme pour Irvin, s’occupant de ses affaires, sans faire trop de vague, il n’avait tué personne pour le moment, se fondant dans la masse afin d’éviter l’attention sur lui. On ne pouvait pas vraiment prévoir si certains pratiquant l’exorcisme traînait dans le coin. En même temps vu la situation il valait mieux éviter de se faire repérer par le moment, autrement que par ses semblables. Irvin marchait, les mains dans les poches, sa veste sur les épaules, longeant la rue le long du port, comme une promenade matinale. Il évitait les passants, ne se souciant guère d’eux. Un instant il s’arrêta pour observer la mer qui s’étendait à perte de vue. Une belle vision de pureté, quelque chose que le Créateur avait fait de beau, mais qui renfermait en lui de bien sombres créatures. Irvin passa quelques minutes ainsi, retardant le moment de rentrer, avant finalement de soupirer et de prendre une ruelle perpendiculaire à celle à laquelle il marchait. L’aube n’ayant pas parvenu à cet endroit, il faisait plutôt sombre mais les lampadaires brillaient d’une légère lueur, indiquant le chemin à suivre. Il y avait un peu plus de monde sans doute parce que le bâtiment qui se trouvait non loin était encore ouvert. Un peu trop de personnes à son goût, ceux qui ne marchaient pas droit. Il évita de justesse un passant, alors qu’il entendait quelqu’un crier sur un autre. Irvin n’y fit pas attention dans un premier temps, le son venant de loin, lorsque soudain il fut percuté de plein fouet par quelqu’un. Une femme semblait-il, une humaine de ce qu’il en voyait et percevait. Il l’observa un instant, avant d’esquiver un sourire. Irvin semblait comprendre que le cri entendu lui était destiné. Qu’avait-elle fait, c’était une bonne question. « On dit pardon quand on percute quelqu’un dans la rue. Enfin si on est poli.» fit-il, jouant le ton de l’humour au lieu de s’énerver. Rester calme, pour le moment il le pouvait encore, ce n’était rien d’autre qu’une humaine qui avait fait quelque chose à un autre. Autant montrer une partie plus sympathique, qu’antipathique.
Ekaterina avait fait toutes ses tâches. Devin, le propriétaire du refuge animalier lui avait donné une nouvelle mission. Celle de former les moins bons travailleurs. Enfin, travailleurs, ils étaient là surtout pour ne pas avoir à dormir dans la rue. De manière tout à fait illégale, il leur assurait nourriture et logis en échange de tâches à faire dans le refuge. Ekaterina s’était vite mise à la besogne, habituée à bien pire comme corvées quotidiennes. Elle avait voulu être discrète et accomplir la majorité de son travail la nuit mais avait tout de même réussi à attirer l’attention du propriétaire qui lui avait promis 150$ par semaine si elle entraînait les nouveaux et les anciens qui n’avaient pas encore compris que ce qui les tenait hors de la rue, c’était ce boulot.
Elle avait fait de grands yeux lorsqu’il avait nommé son prix. Mais ce n’était jamais assez. Elle avait besoin de plus pour pouvoir se sortir de sa misère. Toujours cette pensée que, une fois à cette étape, à cet objectif, les choses iraient mieux. Les choses n’allaient jamais mieux. Elle se retrouvait toujours au même point parce que son cerveau était brisé. Parce qu’on l’avait brisé, on s’était acharné sur la destruction de son humanité. Au point où elle n’arrivait parfois plus à réellement différencier le réel du faux, le passé du présent tant les flashbacks étaient livides et douloureux. Elle voulait plus, persuadée que lorsqu’elle arriverait à avoir son propre appartement, elle serait guérie. C’est donc pourquoi elle continuait ses tentatives ridicules de pickpocket. Elle était particulièrement mauvaise à ce jeu. Entourlouper les commerçants, aucun problème. Elle était partie avec des diamants autour du cou sans que personne ne s’en rendre compte à force de les enfoncer dans son petit jeu. Mettre la main dans les poches sans se faire remarquer, une toute autre histoire.
Elle était sortie du refuge aux petites heures du matin. Le meilleur moment pour trouver des gens bien imbibés et aux réflexes casi-absents. C’était la meilleure de ses chances. Elle avait erré un moment, toujours pas trop loin du refuge, au cas où elle devait trouver un endroit ou se cacher. C’était le terrain qu’elle connaissait le mieux au final, c’était chez elle. Elle trouva sa cible. Manteau sur l’épaule, le pas un peu chambranlant, parfait. Seulement, pas si parfait parce que son ami l’avait vu et avait commencé à hurler. La slave avait filé bien vite, lançant le portefeuille dans la direction opposée pour qu’ils pourchassent autre chose. Un des membres du groupe avait pourtant commencé à la suivre. Elle avait beau courir aussi vite qu’elle le pouvait, il restait sur sa trace. Katya tourna le coin d’une ruelle ou elle entra de plein fouet contre quelqu’un. Le choc de la collision la propulsa vers l’arrière.
« Shhhhhh! »
Dit-elle en levant un index vers ses lèvres, les sourcils froncés. Elle entendait des hommes parler d’elle, toujours sur sa piste apparemment. Mais comment est-ce qu’ils faisaient? Elle contourna l’homme, il faisait une bonne tête de plus qu’elle et pourrait probablement servir de cachette le temps que les autres passent ou abandonnent.
« Après, les excuses. Là, j’ai problème. »
Dit-elle en chuchotant de son fort accent ukrainien et de son anglais approximatif. Pourquoi est-ce que tout le monde insistait autant pour qu’elle s’excuse? C’était lui qui était sur son chemin, visiblement! Elle jeta un regard par-dessus l’épaule de son interlocuteur à la recherche de la confirmation visuelle que ses chasseurs l’avaient oubliée.
Bousculade et interrogation Ekaterina Kovalski & Irvin McBright
Les surprises pouvaient survenir à tout moment. Au détour d'une rue, à l'angle d'un chemin, quelque part où on ne s'y attendait pas. Les âmes autour d'Irvin ne semblaient pas comprendre ce hasard, parlant des fois de destins quand deux personnes se rencontraient d'une manière opportune. Mais en ce qui concernait les entités supérieures aux hommes, Irvin savait que très peu de gens se mêlaient des rencontres inopportunes des êtres humains. Sauf s'il y avait quelque chose à gagner, là pour le coup c'était toujours intéressant. Irvin adorait voir ce genre de moment, voir le démon ou l'ange qui tentait d'interférer dans la vie d'homme qui ne se doutaient absolument de rien. Dans ce début de matinée, ses pensées se chevauchaient, se demandant si les hommes avaient sans cesse besoin de croire en quelque chose. Après tout si les démons et les anges existaient, les êtres humains avaient toujours eu de nombreuses croyances parfois vraies et parfois totalement farfelu. Entre les stéréotypes sur les différentes races de démons, sur les légendes qui entouraient certaines personnes, les histoires qu'on leur accordait, les hommes cherchaient sans cesse des excuses pour leur comportement. Ils cherchaient une sorte d'espoir ou de peur qui pourraient guider leur vie et même ceux qui pensaient ne croire en rien avait toujours une vision du destin, d'une multitude de chemin tracés devant eux qui s'étendaient. Ils pouvaient ainsi choisir, ayant cette sensation idiote d'un choix. Irvin pensait que toute rencontre imprévue était dû au hasard. Et c'est sans doute ce qui se passait en ce moment. Après tous les saoulards qu'il voyait devant lui, peut-être ne les aurait-il jamais vu s'il n'avait pas été présent à ce moment-là. Ils ne les auraient jamais croisés, ils ne les auraient jamais vus si la vie avait été différente, si le monde avait tourné d'une autre manière. C'était un hasard pur qu'on ne pouvait contrôler totalement. La matinée était purement douce et il aurait sans doute put aller s'enquérir de quelques âmes face à ces gens qui n'avaient aucune conscience. Irvin avait compris ce que l'alcool pouvait leur faire, et même s'il était difficile parfois de comprendre ce qu'il disait, les alcooliques avaient tendant à ne pas avoir de filtres sur leur propre pensée.
Pourtant, Irvin ne s'arrêta pas ce jour-là, il ne trouvait aucune utilité, surtout pour des âmes aussi pitoyables qui avaient déjà leur place dans le trèfonds des Enfers. Certains auraient pu dire qu'il ne les connaissait pas, qu'il ne savait pas leur vie pour être arrivé là, mais pour le démon ils étaient tous les mêmes : faible, imbécile, feignant et trop stupide pour se bouger les fesses. Oui c'était radical, mais il n'était pas un ange qui s'apitoyait sur le sort des humains, ces derniers n'étaient qu'une monnaie, des âmes qui pouvaient lui être utile. La balade d'Irvin continuait d'un pas nonchalant, observant la lumière qui s'éveillait, les lampadaires qui éclairaient, les bourrés qui hurlaient et le cri qui retentit à ses oreilles. Ce n'était pas vraiment un cri, mais plutôt une engueulade. Il n'y fit pas attention, les saouls avaient tendance à parler trop fort. Mais en tourna à l'angle, il percuta une jeune femme qui se fit propulser en arrière. Irvin l'observa un instant avant de la taquiner légèrement sur le fait de s'excuser en bousculant quelqu'un. Clairement il était plus fautif qu'autre chose, lui n'ayant pas ressenti le choc de la même manière, mais à peine avait-il prononcer cette phrase, qu'il la vit lui demander de se taire en mettant son doigt sur sa bouche. Elle se planqua derrière lui, sans doute pour fuir quelque chose ou quelqu'un et lui chuchota qu'elle s'excuserait après. Irvin ne bougea pas, attendant de voir s'il y avait quelqu'un qui venait, sentant la jeune femme regarder par-dessus l'épaule du démon. Irvin sentit le regard d'homme sur lui, qui le héla en lui demandant s'il avait vu une femme dans le coin. « J'ai vu une furie courir par là-bas, elle est passée devant moi et a couru tout droit. Si vous voulez l'attraper vous ne devriez pas tarder. »répondit-il en montrant une direction tout autre que celle où se trouvait la jeune femme en question. Il attendit de voir les hommes disparaitre de sa vie, avant de se retourner vers son interlocutrice. « Tu me dois des excuses et une faveur. Mais avant dis-moi un peu ce qu'ils te voulaient, histoire de voir si j'ai bien fait de les envoyer ailleurs. » Des principes Irvin en avait peu, mais il savait très bien que les hommes en possédaient et pour le moment il ne voulait pas paraitre pour un gros connard au cas où que les chasseurs de cette demoiselle aient de réelles mauvaises intentions.
Elle ne se serait pas attendue à ce que l’étranger la protège. Pourtant, voilà qu’il montrait une direction opposée à ses assaillants ce qui ne manque pas de lui décrocher un petit sourire. Irvin se retourna vers elle et ce qu’il lui demanda ne manqua pas de la faire rouler des yeux. Elle plongea les mains dans ses poches pour en sortir les cartes de crédits et quelques billets de dollars qu’elle avait réussi à prendre du portefeuille de sa victime avant de la jeter le plus loin possible lorsqu’il s’était rendu compte qu’une main baladeuse lui avait fait les poches. Elle regarda son butin puis replongea ses grands yeux de biche vers l’homme devant elle. En tant qu’humaine et avec le peu d’éducation et de contact avec le monde extérieur qu’elle avait eu, Ekaterina ne connaissait pas le monde surnaturel plus qu’il ne le fallait. Elle avait rencontré quelques sorciers, quelques médiums, mais sans plus.
« J’ai faim. »
Dit-elle de son fort accent ukrainien pour expliquer pourquoi elle avait volé ces choses. C’était sa raison pour tout. Elle était, certes, maigre. Elle ne semblait pas avoir tout ce qu’elle avait besoin au niveau nutritif en une journée. Mais, aussi, elle avait des plans de se sortir de sa misère et chaque dollar qu’elle gagnait, honnêtement ou non, elle le gardait précieusement dans une petite boîte bien cachée dans son dortoir. Elle avait toujours l’impression qu’une fois qu’elle aurait atteint son but, elle irait mieux. Qu’une fois qu’elle serait rendue à un certain standard de vie, ses abus, son passé, tout cela serait trop loin pour continuer de l’affecter autant. Elle ne serait plus incapacité lorsqu’on la touchait sans la prévenir. Elle n’aurait plus de flashbacks. Elle pourrait vivre une vie meilleure sans se soucier de ce qui avait pu lui arriver. Elle se trompait.
« Quelle faveur? »
Son anglais s’était un peu amélioré grâce aux cours privés que lui donnait Lucas mais pas suffisamment pour faire de longues phrases. Pas encore. Katya fronça les sourcils. Les faveurs, c’était toujours les mêmes, surtout venant d’hommes. Son rythme cardiaque s’accéléra considérablement, pensant qu’elle se retrouverait de nouveau dans un piège. Elle cherchait visiblement une solution à ce qui lui semblait être une impasse. Ses mains tremblaient légèrement alors qu’elle empoigna quelques billets qu’elle tendit à son interlocuteur, scrutant toujours périodiquement l’horizon à la recherche de ses assaillants, ou plutôt, à la recherche de leur absence, ne voulant pas les revoir dans le décor alors qu’elle tenait leurs cartes de crédit.
« Prends ça. Pas de faveurs. »
Elle voulait faire un échange. Si elle lui donnait assez de ce qu’elle avait subtilisé, en parti grâce à lui, peut-être qu’il ne lui demanderait pas cette fameuse faveur qu’elle se doutait n’avait probablement rien de décent. Elles n’étaient jamais décentes ces faveurs de toute manière, pourquoi est-ce que ce serait différent cette fois-ci? Ekaterina vivait selon ses propres règles. Elle ne volait pas à n’importe qui. Elle ne s’en prenait qu’aux plus riches, à ceux qui puaient l’argent et le luxe. Ils pouvaient s’en passer et ils subtilisaient une grande partie de ce qu’elle considérait être de la richesse commune. Personne ne devrait vivre dans la pauvreté alors qu’eux pouvaient se permettre de s’ouvrir une bouteille de champagne qui coûtait plus cher que tout ce qu’elle avait économisé dans sa pauvre vie.
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