Il ne pensait pas remettre si “vite” les pieds par ici, c’est pourtant un miracle qu’il ait disparu de la circulation pendant plusieurs mois. Il doit un peu d’argent par ici, mais Keon a su se faire oublier, ou plutôt passer pour mort. Il prend un risque en revenant sur ses pas, mais le besoin le tiraille. Depuis que le sang de Sigrid a intégré son système, tout part en vrille. Le médium a succombé au besoin d’être mordu, se ruant dans les bras d’un vampire aux allures de Cow-boy, presque trop facile… Mais compliqué. Très compliqué à apprivoiser l’animal, alors il se rend au Boucan, parce qu’il sait qu’il y obtiendra plus facilement ce qu’il souhaite. Au diable Clayton et sa bonne conduite, ce soir… Ce soir il est prêt à tout gâcher.

Junkie un jour, junkie toujours.

Le médium connait parfaitement les chemins qui mènent au Boucan. Il se faufile dans les rues encore partiellement éclairées par un bleu foncé, les rayons du soleil se font taquins mais bientôt ils seront engloutis par l'horizon. Les monstres seront de sortis d’ici peu.

Depuis qu’il a été installé dans son nouvel appartement aux frais de Lyanna Johnson, Keon dispose également une nouvelle penderie. La régente a été plus que généreuse niveau récompense, après tout, ce n’est pas tous les jours que le médium exorcise une démon de rang supérieur. Keon après une bonne toilette avait pu se faire étonnamment, tout beau. Une chemise neuve, repassée, propre, jamais portée par personne auparavant. Il en frisonne…

C’est donc en chemise noire et jeans (faut pas trop lui en demander non plus), qu’il arrive au Boucan. Il esquisse un léger sourire, personne ne le reconnaitra. Il a réalisé bien vite que les gens ont la mémoire coutre, que l’on est vite oublié dans la vie. Il a changé également, il est bien plus maigre, rongé par la famine et pourtant, il multiplie les occasions de manger ses derniers temps. Récompenses ou pitié, appelez ça comme vous ovulez, lui, il appelle ça survivre, alors il n’a jamais refusé ce qu’on lui donne.

C’est sans difficulté qu’il se faufile dans les lieux. Peu de choses ont changé depuis son absence, mis à part peut-être lui qui ne se précipite pas au bar. À quoi bon ? Tout ce qu’il boit se transforme en eau. Cela ne l’empêche pas d’y jeter un œil avec regret. Il esquive une serveuse qui ne regarde pas où elle marche. Keon esquisse un sourire sur ses lèvres en approchant des sièges où s’installent en général des mecs blindés qui ont les moyens de s’offrir une danse privée. Il ne s’est jamais installé là, pas de son rang. Mais ce soir il profite que ce soit encore très calme pour faire son curieux, pour voir où vont les riches pour s’amuser. Les chances de tomber sur un très vieux vampires sont ainsi maximales.

Seulement, lorsqu’il pousse l’un des rideaux l’endroit est loin d’être vide. Deux employés sont visiblement en train de faire la conversation. Keon pique immédiatement un phare, pris en flagrant délit de curiosité. Une femme extrêmement peu vêtue avec des pare-chocs incroyables en compagnie d’un homme blond dont on ne peut douter une seule seconde de l’imposante musculature. Le médium referme brusquement les rideaux et s’éloigne à pas pressés, le coeur battant, et bien qu’il court à de nouveaux ennuis, une seule pensée l’obsède :

Ce visage… Ce visage il le connait…
Il ralentit sa cadence, comme s’il était dans une autre dimension, celle de ses pensées. Il se souvient de cet homme, il en a des visions troubles, des bulles d’eau et de la nudité… Keon sait qu’il a dû en faire des choses étranges sous l’emprise de l’alcool, mais il se souviendrait d’un homme comme celui-ci, n’est-ce pas ? Son troisième œil lui indique une présence surnaturelle proche, très proche. Il pivote et sans surprise pour faire face au blond.

- Je… J’te connais…

Sa main se tend avec hésitation, c’est trop réel et il est trop sobre pour être un mirage ou confondu avec un esprit… Il retient son souffle alors que ses phalanges viennent au contact de l’épaule de l’homme d’une beauté incontestable.

La réaction de l’homme lorsqu’il posa sa main sur son épaule pour s’assurer que c’est bien réel, le surprit. Sa main recula de peur, et lui aussi fit un pas en arrière. Est-ce qu’il venait de cracher comme un chat ? Curieusement, ça lui rappelle le mec tout nu qu’il a trouvé au bord de mer. Tout nu et blessé ! Keon avait aidé l’homme à s’en sortir, un type rudement musclé et pas franchement loquace… Bizarre qu’un autre monsieur muscles ait ce genre de… Comportement ? En quoi un gros balèze peut-il avoir peur d’un moustique comme lui ? Mais son poignet a été saisit et il grimace de douleur sous la force de sa poigne. Keon s’était brisé ce poignet récemment, guérit par des sorciers de la connaissance de Mama Loraye, il n’avait pas vraiment envie de recommencer tout de suite.

Heureusement il fut libéré et Keon se masse le poignet de sa seconde main en lançant quelques éclairs du regard en direction du blond. Mais ça va pas, oui !

Oui, ils se connaissent. Pourquoi est-ce qu’il ne se souvient pas ?
Et puis il réalise où ils se trouvent, le boucan.
Il a dû oublier.

Il n’est venu régulièrement, mais pas tant car l’alcool est chère dans les bars et lui n’a que très peu d’argent. Mais ses soirées furent mémorables. À croire que le patron ici cherchait à la tuer d’une overdose… À croire. Keon dans son insouciance oublie qu’il est un être magique, que ses pouvoirs sont dangereux. Il ne pense être rien, mais il se trompe.

Il écarquille les yeux alors que le baraqué passe sa main derrière son crâne, il ne peut cependant pas résister à la force de cet homme et se retrouve front contre front. Il a beau être accoutumé aux bizarreries, ça n’en demeure pas moins étonnant. Au moins, il ne lui fait pas de mal, alors il se détends, se perdant dans ses yeux d’un bleu à couper le souffle.

- Euh… Ok… Salut ?

Qu’il souffle avec son petit sourire timide caractéristique lorsqu’il est impressionné. Relâché, Keon se redresse pour faire face à ce sourire un soupçon creepy… Keon lui rendit malgré tout un sourire bien plus adorable.

- Laisses-tomber, tu n'es pas obligé de sourire si tu n'as pas envie ou si tu ne sais pas...

Lui murmurre-t-il avec bienveillance sans perdre le sien de sourire, son œil luit d'une certaine curiosité sur l’individu de toute évidence pas humain, mais ce n’est pas un vampire, il l’a senti immédiatement à leur contact. C’est quelque chose de nouveau qu’il ne connait pas… Mais comme les vampires, certaines expressions ne sont plus automatiques. Quand on est mort, l’on a n’a pas le réflexe de rire quand on est amusé ou de sourire face à la joie… Mais le blond n’est pas un cadavre ambulant, il le sait, le sent…

Keon dresse les sourcils en le voyant renifler, puis pouffe légèrement de rire, non pas pour se moquer, mais parce que c’est un peu étrange de se faire renifler de cette manière ! C’est là qu’une voix leur rappelle qu’ils n’étaient pas seuls, la femme parti d’ailleurs sans que le bel homme ne lui accorde un regard.

- Euh… Oui…. Oui, j’vais bien.

Balbutie le médium en sentant ses joues rougir sous l’effet du mensonge.
*Ah non, pas encore ça !*

- Je n'ai pas bu d’alcool. J’ai arrêté de boire. J’ai failli mourir à cause de ça. Oh et… J’ai des vêtements neufs… C’est un cadeau, parce que j’ai accompli quelque chose… Je… Si j’étais mort, je n'aurai pas pu sauver cet homme…

Il vient seulement de le réaliser, plusieurs semaines après cet exorcisme ! Il est vrai qu’il vaut mieux tard que jamais, mais s’il meurt demain, peut-être ne pourrait-il pas sauver encore quelqu’un d’un démon ou d’un esprit…

Keon s’empresse d’effacer la larme qui roule le long de sa joue plus creusée qu’à leur dernière rencontre. C’est une bonne chose, alors pourquoi est-ce qu’il est toujours aussi malheureux de vivre ? Assez malheureux pour retomber dans sa dépendance des vampires, pour perdre pied et désirer le sang de ces mêmes créatures qui l’on torturé pendant dix ans. Comment est-ce qu’il en est arrivé là ?

- Je suis désolé… L’alcool a altéré ma mémoire, tu… On est amis ? Je me souviens que je… Je m’sens en sécurité avec toi.

Il a juste oublié d’où vient ce sentiment de sécurité.

- J’aimerais connaitre ton nom, si tu le veux bien.