Lyanna était inquiète depuis la mort de l’ancien roi des croque-mitaines, Ypolite Saint-Yves. Et plus encore depuis sa conversation avec la sœur de celle qui lui avait succédé. Les sœurs Kane semblaient différentes et Ambrosia paraissait promettre un règne plus tranquille que ce qu’avait été celui d’Ypolite, néanmoins, la régente était sur la réserve, et ce qui l’inquiétait, c’était l’apparente opiniâtreté de Sanda, la sœur de la nouvelle reine, qui semblait déterminée à retrouver Ypolite ou son corps, car persuadée qu’il était mort. Elle était dans le vrai, et c’était inquiétant. Lily était la dernière personne à l’avoir vu en vie, puisque cet imbécile avait voulu la piéger en lui donnant rendez-vous sous un faux nom dans un hangar sur le port, prétendant être un sorcier en danger. Là, il avait essayé de lui faire peur sous sa forme de croque-mitaine et s’était finalement tué en s’explosant le crâne aux pieds de la sorcière avec une chute vertigineuse de plusieurs mètres. Prise de panique, la sorcière blanche avait fait appel à son bras droit, et ensemble avec l’aide de leur meilleur ami commun, le vampire Clayton, ils avaient fait disparaître le corps. Les garçons l’avaient découpé et mis dans des sacs avant de prendre un bateau pour aller au large et larguer les morceaux hors des sacs pour qu’ils soient dévorés par des requins. D’ailleurs, Bradley avait au préalable fait venir ces animaux redoutables pour s’assurer qu’il ne reste rien du Saint-Yves. Et pour plus de précautions, ils étaient sortis du hangar avec l’apparence d’anciens sorciers recherchés pour crime.

Lyanna se sentait terriblement mal d’avoir agi avec aussi peu de discernement et surtout d’être presque coupable d’un crime. Certes, elle n’avait pas tué Ypolite Saint-Yves, mais l’attitude qu’elle avait eue pouvait la faire passer pour coupable. C’était pour cela qu’elle s’inquiétait de ce que pourrait trouver Sanda Kane. Selon toute vraisemblance, il était impossible qu’elle trouve quoi que ce soit puisque le hangar avait été nettoyé de toute trace, tout comme le bateau. Mais étant de nature inquiète, surtout avec tout ce qui se passait ces temps-ci à Los Angeles, la régente préférait assurer ses arrières. Hors de question de finir à l’Asylum pour un crime qu’elle n’avait pas commis et à cause de cette enflure de Saint-Yves !

Elle avait donc réfléchi à une solution, et qui mieux qu’un chasseur pour agir dans l’ombre et glaner de précieuses informations ? Elle avait eu connaissance d’un nom et une fois l’adresse trouvée, elle avait décidé de s’y rendre. Un certain Vadim travaillant dans un garage. Encore un garage ! La dernière fois qu’elle s’était rendu dans un garage, ça ne s’était pas bien passé pour elle, elle avait été torturée à mort par un vampire. Mais n’étant pas superstitieuse, la régente fit fi de ce souvenir.

Arrivée au Spring Brake, elle entra et demanda à voir le dénommé Vadim, espérant qu’il accepterait de traiter avec elle. Parfois, même souvent, les chasseurs n’aimaient pas les sorciers. Mais logiquement, la magie blanche permettait d’argumenter sur le fait qu’ils étaient des sorciers bienfaisants et respectueux. Cependant, certains ne pensaient pas ainsi, ce serait donc la surprise.

es bras croisés sous la poitrine, ses yeux baissés sur le sol du salon, Anela avait bien du mal à se retenir de sourire. Assise devant elle, la queue battant le parquet frénétiquement, Aloysha dardait sa gueule cassée vers la chasseresse, la langue pendante, en attente d’un petit geste de la part de sa colocataire. Au moment où la brune osa bouger un doigt, sur son bras, le chien-loup cessa tout mouvement, rentra la langue, et se redressa subtilement, prêt à bondir. Ce qui acheva de convaincre Anela d’ouvrir les bras et de tapoter ses hanches pour indiquer au chien qu’il pouvait y prendre appui, pour qu’elle puisse atteindre son front, ses oreilles, et le caresser doucement. Alors qu’Aloysha s’exécutait, la brune en profita pour observer la brûlure, sur la moitié de sa gueule, et s’inquiéter de l’état de ses cicatrices, du bon rétablissement du chien-loup.

Bloquée dans une fierté toute à elle, Anela avait, peut-être, dit à son colocataire qu’elle ne voulait pas de ce chien, mais elle était bien obligée d’avouer que sa présence était salutaire. Aloysha était d’une compagnie agréable et elle voyait, dans son regard, autant de douleur que d’amour pour sa nouvelle famille, ce qui l’attendrissait comme elle n’aurait pu s’en douter elle-même. Au fond, ce chien était un peu comme elle. Cassé, réparé, adopté. Et elle aimait son colocataire autant qu’elle ne pouvait oublier ses douleurs, des douleurs qui appuyaient de plus en plus, sur les épaules de la chasseresse.

La brune flatta une dernière fois Aloysha derrière les oreilles et lui indiqua de descendre, pour pouvoir se rendre à son travail. Elle ordonna au chien de prendre soin d’Alexei et referma soigneusement la porte, derrière elle. Depuis que son colocataire s’était fait enlever par des cinglés, Anela avait fait changer toutes les défenses, autour de sa maison, et il aurait été fou, désormais, d’essayer d’entrer dans sa propriété sans qu’elle ne fut mise au courant dans la seconde-même. Elle ne laissera pas un tel drame arriver une seconde fois. Elle le jurait sur sa vie.

En attendant, elle était bien obligée d’aller travailler.

Anela gara sa moto sur le parking du garage, s’engouffra dans le bâtiment en saluant les garagistes qui étaient déjà sur place et traça directement jusqu’au fond, dans l’atelier personnel de Vadim. Là, elle put troquer sa combinaison de moto pour des vêtements plus adéquats : une robe bleu pastel cintrée, dont la jupe retombait droite jusqu’à ses genoux. Au-delà, sa prothèse blanche captait la moindre lumière et se gorgeait de reflets métalliques qui glissaient sur le métal froid. Parée, elle retraversa le garage, salua les nouveaux arrivés et se réfugia à l’accueil, dont elle déverrouilla la porte, avant de se poser derrière son bureau.

Aujourd’hui, la brune n’avait pas grand-chose à faire. Vérifier les stocks, commander au besoin, prendre les rendez-vous et s’assurer que les rares rendez-vous de la journée se déroulaient bien. Puisque Vadim était en déplacement, ailleurs dans le pays, pour s’occuper de choses et d’autres, elle n’aurait pas besoin de conduire les Chasseurs dans l’atelier de son mentor, ni de subir ses remontrances, s’il apprenait qu’elle avait dépensé une grosse somme d’argent dans le système de surveillance, installé sur sa maison. Elle n’était plus une gamine, pourtant. Elle faisait ce qu’elle voulait, maintenant.

Un peu plus tard, une femme passa la porte de l’accueil et demanda à voir Vadim. Anela releva les yeux de son ordinateur et regarda la cliente. Ses sens tiquèrent, un instant, titillés par ce qu’elle devait être. Intriguée, la brune rejeta ses longs cheveux derrière son épaule et contourna son bureau pour se tenir droite devant l’inconnue. Généralement, ceux qui venaient directement au garage chercher Vadim n’avait pas vraiment besoin de ses talents de garagiste. Elle tendit une main parfaitement manucurée à la cliente, un sourire amical sur les lèvres.

> Bonjour. Je suis Anela, la secrétaire de Vadim. J’imagine que vous ne venez pas pour la révision de votre véhicule ?

Anela préférait être honnête, dès le début. C’était une manière d’annoncer qu’elle était parfaitement au courant des affaires de son mentor, tout en restant un peu flou, si jamais elle se trompait. Ce qui arrivait plus souvent qu’elle n’aurait voulu l’avouer. La brune savait parfaitement qu’elle était défaillante.

> Vadim n’est pas là, aujourd’hui, mais je peux prendre un message, si vous le désirez. Malheureusement, il ne rentrera pas avant une semaine ou deux, alors si c’est urgent…

D’un geste discret, de la main, elle désigna les allées de pneumatiques que l’on apercevait, par la fenêtre intérieure du bureau qui donnait sur le garage et les mécaniciens, affairés sur une grosse Mustang.

> Nous avons un coin plus tranquille pour discuter des affaires… critiques et privées. Ou on peut aussi rester ici, si vous le préférez. (Elle désigna le petit coin avec canapé et fauteuils, derrière elle.) Je vous avoue que Vadim n’a pas installé de chauffage, dans son atelier.

Ce qui ne dérangeait pas la Russe, habituée à des températures plus extrêmes que celles de l’atelier. Néanmoins, il était vrai que l’atelier privé du Chasseur, plein à craquer de prothèses pour Anela et d’armes à modifier pour les autres Chasseurs, n’était pas toujours le meilleur endroit pour discuter. Un fauteuil confortable et un café chaud, ce n’était pas plus mal.

Lyanna était généralement bien accueillie partout où elle allait, que ce soit à Los Angeles ou ailleurs. Cette fois ne dérogea pas à la règle. Une charmante jeune femme fort bien apprêtée l’accueillie, la salua en lui serrant la main, une poignée à laquelle la régente de White Chapel répondit chaleureusement tandis que celle qui se désignait comme étant la secrétaire de Vadim se présentait.

- Lyanna Johnston, enchantée.

Perspicace, la dénommée Anela conclut que la sorcière n’était pas là pour faire réviser son véhicule. Instinctivement, Lily revit son dernier passage dans un garage qui s’était avéré sordide puisqu’elle avait été torturé presque à mort par un vampire qui le gérait et qui depuis était mort.

- En effet, non, répondit-elle poliment.

Malheureusement, elle entendit son interlocutrice déclarer que Vadim était absent pour une certaine durée. Décidément, comment se faisait-il que depuis quelques jours, chaque fois qu’elle sollicitait une rencontre, elle ne se retrouvait pas face à la personne escomptée ? D’abord la nouvelle leader croque-mitaine, et maintenant le chasseur. Ce n’était pas de la faute d’Anela, aussi Lyanna se retint d’avoir une réaction désagréable envers elle. Une ou deux semaines ? C’était vraiment long, la régente avait besoin d’avoir des réponses ou du moins un aperçu… Elle observa la direction que lui indiqua la secrétaire avant de lui expliquer que l’atelier était plus tranquille mais qu’il n’y avait pas de chauffage.

- Le manque de chaleur ne sera pas un problème et j’ai besoin de discrétion pour vous faire part du problème. Je vous suis.

Elle laissa donc celle qui connaissait les lieux passer devant avant de lui emboîter le pas. La sorcière blanche avait bien entendu compris que la charmante Anela était au fait de toutes les affaires de son boss. Une fois les deux femmes isolées, Lyanna prononça une formule à voix basse qui vit réchauffer un peu l’atmosphère de l’atelier en question. Hors de question de faire sortir des flammes dans un lieu avec autant de produits inflammables à proximité. Et puis c’était Los Angeles, même en hiver, les températures étaient supportables.

- Êtes-vous… chasseuse vous aussi ?

A vrai dire, Lyanna n’en avait jamais réellement rencontré mais s’était, bien entendue, renseignée, et Vadim jouissait d’une excellente réputation.

- Ce que je m’apprête à vous confier est confidentiel, je compte sur votre discrétion.

Elle attendit que la demoiselle abonde en ce sens avant de se lancer.

- Personne ne le sait, mais je suis la dernière personne à avoir vu en vie l’ancien roi croque-mitaine, Ypolite Saint-Yves. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il était plus détesté de la plupart des personnes qui le connaissaient. Je ne l’ai évidemment pas tué, mais je dois reconnaître que prise de panique, je me suis comportée comme une parfaite coupable. Saint-Yves a voulu m’effrayer sous sa forme de croque-mitaine, mais est mort en faisant une chute de plusieurs mètres. Je n’ai absolument rien fait, je puis vous le jurer. Il n’y a normalement aucune preuve de notre rencontre, mais je sais les croque-mitaines suspicieux et je crains que s’ils n’enquêtent, ils ne croient en ma culpabilité, et la dernière chose que je souhaite, c’est avoir des mots avec ce peuple ou que mon coven se voit entaché, comprenez-vous ?

Cette histoire la travaillait depuis des mois mais sa rencontre avec Sanda Kane l’avait confortée dans l’idée qu’il fallait qu’elle sache ce qu’elle savait.

- J’aurais donc aimé que Vadim enquête pour voir ce que savent les croque-mitaines et surtout les sœurs Kane. J’ai rencontré Sanda, la sœur d’Ambrosia, et elle semble assez suspicieuse, persuadée que le prédécesseur de sa sœur a été assassiné, ce qui est faux. Elle cherche un coupable, et je ne veux pas être ce coupable, mais je crains que dire la vérité maintenant ne se retourne contre moi.

La régente n’avait d’ailleurs pas plus envie de se retrouver avec un procès et le risque d’un séjour à l’île prison de l’Asylum.

- Pensez-vous qu’il puisse m’aider ? Par ailleurs le délai de son retour m’inquiète un peu… Je suis prête à payer plus, son prix sera le mien.

L’argent n’avait jamais été un problème pour les Johnston, Lyanna jouissait d’une petite fortune, entre l’argent que lui avait laissé ses parents avant de partir pou Salem, et son salaire de régente depuis maintenant plus de seize ans.