Jouer du piano, c’était aussi naturel que respirer pour elle, si elle était volage concernant ses activités, faire du piano ne l’avait jamais lassé, ça et manger de bon petit plat. Bien que concentrée sur sa tâche, elle avait observé avec attention la réaction de l’être à qui elle destinait cette musique : Habibah. Elle avait été heureuse de voir ses yeux pétillants de plaisir. Une fois son cadeau offert, elle descendit de l’estrade, elle avait envie de retourner discuter avec Lyanna pour la connaitre plus. Le fait qu’elle soit à la tête de la White Chapel ne la mettait pas naturellement dans de bonne disposition, ils étaient très critiques vis-à-vis de la magie de sang, mais Lyanna semblait être une bonne personne alors elle devait passer outre son préjugé et baser son jugement uniquement sur sa personne en oubliant la philosophie du coven dont elle avait hérité. Elle devait être en tout cas une talentueuse sorcière, car elle était fort jeune. Très vite elle la retrouva dans la foule et s’approcha, elle sourit à sa remarque.
- Cela m’a fait plaisir. Ce n’était vraiment pas grand-chose. J’ai vraiment envie de passer le restant de la soirée en votre compagnie, cela fait quoi 15 ans que vous êtes régente ? Pour dire vrai je vous connais à peine, nous nous croisons, mais n’avons jamais vraiment passé du temps ensemble. Habibah n’aura pas le temps de remarquer notre absence. J’ai oui dire que vous aimiez le whisky, j’ai du Macallan Fine & Rare de 1926, il n’en existe plus que trois bouteilles. Je l’avais oublié et quand je l’ai redécouverte jamais osé l’ouvrir, mais ce n’est que de la liqueur après tout !
Puis elle préférait le bourbon, en plus à l’époque cela ne lui avait pas coûté si cher, le temps avait juste passé et vu qu’elle avait l’éternité cela n’avait rien de précieux. Demain elle pouvait acheter une bouteille de pas trop mauvaise qualité et 100 plus tard elle aurait la même valeur.
Lyanna avait toujours aimé ce qui était beau, et la musique en faisait partie. Elle n’avait pas la chance d’être spécialement douée pour un instrument, mais elle savait reconnaître et apprécier les talents des autres, et Amarante Byron était clairement une virtuose. Ce moment passé à l’écouter jouer avait été fort agréable et plaisant, tout comme le fait qu’elle accepte de jouer un morceau choisi par la régente après celui offert au prince de la nuit. Il s’agissait en plus d’un morceau compliqué mais dont la co-gérante du Lux avait minimisé la difficulté apparente en le jouaient à la perfection. Puis elle était revenue auprès de la sorcière blanche. Elle hocha la tête avec un sourire quand l’esprit à l’allure asiatique déclara qu’elle souhaitait passer le reste de la soirée avec elle. Après tout pourquoi pas, Lily avait déjà salué bon nombre de connaissances. - Seize ans et cinq mois pour être exacte, corrigea-t-elle avec bonne humeur quand Amarante demanda depuis combien de temps elle était régente de White Chapel.
Lyanna avait toujours été très fière d’appartenir à ce coven comme ses parents avant elle, et encore plus d’avoir été choisie pour prendre la suite du dernier régent. Elle était bien loin de s’imaginer que c’était dans ce but qu’elle avait été ensorcelée à seulement dix-sept ans pour se séparer de Karl qui était destiné à entrer à Red House.
- Habibah a encore bien du monde à voir, en effet. Et puis vous êtes chez vous il me semble, souligna la sorcière avec espièglerie.
Amarante avait dit le mot magique : whisky. Quand Lyanna entendit qu’elle possédait une si rare bouteille, elle en fut impressionnée bien que se demandant si passé quasiment un siècle, le goût était réellement savoureux. Visiblement, elle aurait sa réponse ce soir.
- Eh bien, voilà qui semble une découverte intéressante, je suis volontaire pour vous accompagner dans votre quête archéologique d’ouverture de bouteille ancienne, déclara-t-elle avec amusement.
Ce genre de bouteille, si rare et ancienne, devait valoir une véritable fortune et ne serait-ce que pour la curiosité de la voir, Lily acceptait d’accompagner l’esprit millénaire.
- Je vous suis, dit-elle en posant son verre vide sur le plateau d’un serveur qui passait.
Même si elle était morte, elle gardait un rapport au temps humain, puisqu’elle avait sa descendance qui vivait et mourait et aussi des rides apparaissant sur son visage aux fils des années. Malgré tout elle n’avait jamais dépassé les 60 ans, personne n’aimait vieillir et encore moins les humains et les esprits incarnés qui n’avaient que leur enveloppe humaine comme défense. La remarque de Lyanna la fit rire.
- Pas faux. Pour dire vrai on me l’a offerte et je ne sais même plus qui me l’a donné.
Il faut dire qu’à l’époque, même si c’était une bonne bouteille déjà et bien ce n’était qu’une bouteille parmi des milliers d’autres donc. Elle savait juste que ce n’était pas elle qui l’avait acheté, elle avait une bonne mémoire et elle aimait manger, boire, partout où elle allait elle se renseignait sur les meilleurs mets parce que son second péché était la gourmandise, le premier en ce moment était plus l’envie. Elle n’aurait pas oublié cette bouteille. D’un geste de bras elle invita Lyanna à passer devant.
- Je n’ai jamais goûté une bouteille aussi vieille, ma curiosité est titillé, j’ai habituellement tendance à trouver que c’est de la crânerie au bout d’un moment à moins d’avoir un palais exceptionnel, enfin il y’a un marché, alors je n’oublie jamais de laisser quelques bouteilles en sécurité à chaque fois qu’un cru me plait. En 30 ans un bordeaux peut augmenter de 700 pourcents, même la bourse ne fait pas mieux, c’est un investissement fiable pour ceux qui ont du temps.
Les surnaturels devaient rester discret, mais économiquement le temps était leur allié s’ils étaient débrouillards, c’était pour ça qu’elle s’était concentrée sur l’économie, ça et le fait qu’elle ne savait que compter au moment de sa mort. Les deux jeunes femmes avancèrent, Ama avant d’entrer dans l’ascenseur attrapa par le bras un employé habillé.
- Je serais dans mon bureau, mon téléphone restera ouvert, mais ne me dérangez pas pour des pacotilles.
Habibah n’était pas embêtant, mais l’alcool désinhibait les gens, un petit accident était si vite arrivé. Elle lâcha son employé et les portes de l’ascenseur de refermèrent. Elle eut un soupire, cela faisait du bien, même si elle était officiellement une invitée, quand cela se passait sur le toit de son hôtel ce n’était jamais tout à fait vrai. Elle tapa un code sur le cadran de l’ascenseur car elle n’avait pas son bracelet qui servait de carte magnétique, la partie ou les deux femmes se rendaient étaient réservés au 4 co-directeurs. Elle retira ses talons sans la moindre gêne.
- Voilà qui est mieux…
L’ascenseur d’ouvrit, le couloir qui leur faisait face traversait le tiers de la largeur du bâtiment. Il y avait 4 portes, elle se plaça devant la première à sa droite comme pour l’ascenseur, il y avait un écran, elle posa sa main, puis se pencha légèrement en avant pour une reconnaissance rétinienne et enfin écrivit un code numérique en se cachant pour pénétrer. Cela pouvait sembler beaucoup, mais le côté paranoïaque d’Amarante la poussait à songer à installer une reconnaissance vocale en plus.
- Voilà mon bureau…
Le plafond était un peu plus bas que dans le hall d’entrée d’établissement. Une immense fenêtre en forme de demi-lune inondait la pièce des lumière nocturnes en plus d'un immense lustre rectangulaire en cristal qu'elle alluma. La pièce avait des tonalités bleu canard, bleu indigo et une pointe de jaune moutarde. Tout était impeccablement rangé et propre, l’ancien et le nouveau se mariaient harmonieusement, ils faisaient face à un petit salon avec deux fauteuils et un canapé dépareillés encadrant une table basse ronde en acajou et en verre. A leur gauche une bibliothèque, au fond à leur droite un bureau Louis XV encadré lui aussi par deux bibliothèques. Derrière lui se trouvait une composition faussement désordonnée de nature morte et de portrait photo avec différentes personnalités du monde surnaturel, mais aussi différentes femmes. Ama posa ses chaussures au sol, attrapa un combiné sur le mur et tapota un chiffre.
- J’ai besoin de la bouteille de whisky, celle de 1926 avec deux verres et des glaçons séparés, demanda-t-elle ne sachant pas les préférences exactes de son invité. Installons-nous sur les fauteuils, la bouteille va arriver, elle est chez moi ce qui chance pour nous est la maison d’a côté, plaisanta-t-elle. Nous survivrons à cette attente. J’ai cependant un petit bar d’appoint au besoin.
Oui, le temps passait vite. En disant à voix haute depuis combien de temps elle était régente, cela sauta encore plus aux yeux de Lyanna. Les jours s’enchaînaient, ne se ressemblant pas toujours, elle faisait de son mieux comme elle l’avait toujours fait pour le bien de sa communauté depuis le premier jour au poste, et même avant cela d’ailleurs. C’était à présent devenu une routine et à dire vrai, si elle devait quitter son siège de régente, elle ne saurait probablement pas quoi faire de sa vie. La discussion bifurqua sur une fameuse bouteille de whisky de cent dans d’âge, et la curiosité doublée de la passion de Lily pour cet alcool trahirent son intérêt soudain.
- J’ai toujours pensé la même chose, ce sera l’occasion de vérifier par nous-même s’il s’agit là de snobisme ou de réel intérêt gustatif, répondit-elle avec un sourire.
Elle accompagna donc l’esprit jusqu’à son bureau, observant le trajet à accomplir. La régente ne put que sourire en voyant Amarante retirer ses talons hauts en semblant en éprouver un réel soulagement. Lily ne pouvait que comprendre, en femme élégante qu’elle était aussi. Elle avait cependant la chance d’avoir, la plupart du temps, des marques confortables, mais il fallait reconnaître que porter la même paire de talons sur plusieurs heures pouvait être fatigant pour le corps.
Le dispositif de sécurité du Lux était très moderne. La régente se demanda un instant si elle ne devait pas elle aussi investir dans la haute technologie pour protéger les dossiers de son bureau. Les régents avant elles se contentaient du sort de protection et du coffre-fort, mais avec les temps qui couraient, ce qu’elle avait vu et vécu, Lyanna se dit alors qu’elle devrait y songer. Elle en parlerait avec Bradley au cours du week-end. Code, reconnaissance digitale et rétinienne…
- C’est très sécurisé. Je songe à installer un système plus moderne à mon bureau. Si vous avez des conseils.
La sorcière entra dans celui de la co-gérante du Lux après y avoir été invitée et découvrit un intérieur tout à fait charmant, mélangeant avec goût l’ancien et le moderne. Tout ce qu’elle aimait. Tandis qu’Amarante passait un coup de fil, la régente observa plus en détail la pièce, les photos, la décoration. Puis, son hôtesse lui adressa la parole et elle se rapprocha pour la suivre jusqu’aux fauteuils où elle lui avait proposé de prendre place.
- Votre bureau est tout-à-fait charmant. Merci pour cette invitation.
La sorcière laissa échapper un rire à la remarque de son interlocutrice. Oui, elle survivrait à l’attente. Dire qu’elle allait voir une bouteille de whisky de 1926, Lyanna n’en revenait pas et avait hâte de voir l’aspect, sentir l’odeur de l’alcool, se demandant s’il avait conservé son arôme, s’il s’était développé ou au contraire fané.
Les deux femmes d’accord au sujet des vieilles bouteilles s’échangèrent mutuellement un sourire. Pour le moment tout se passait bien, il était important elle de nouer des liens ou d’au moins essayer. Elle avait tendance à ne pas s’ouvrir facilement et de moins en moins avec le temps, mais ce n’était pas une chose saine. Elle devait abaisser son bouclier juste un peu, sa tête lui disait que Lyanna était une bonne personne, sa tête elle pensait à la politique de White Chapel, avec la modernité elle c’était adoucie et il était temps qu’elle aussi s’assouplisse. Une fois dans le bureau Lyanna lui posa une question et complimenta sa décoration. Amarante décida de répondre honnêtement à sa question, car de toute manière elle serait incapable de tout dire.
- Merci pour votre très gentil compliment. Mon premier conseil serait de jamais se croire en sécurité et de tout vérifier au moins trois fois par an, les voleurs apprennent très vite. Nora se chargeait en grande partie de sa sécurité, elle avait choisi de faire confiance à une voleuse pour sa sécurité, mais elle n’était pas la seule, elle prenait conseil auprès de dizaine de personne différente se renseignant sur les forces et faiblesse de chacune des espèces. La magie est importante, ma famille s’occupe de cet aspect, mais il ne faut pas négliger la technologie. Cette pièce est hermétique, ou presque, il y avait bien un moyen d’en sortir, mais elle n’allait pas livrer ce derniers recours à une femme qu’elle connaissait peu en réalité, la fenêtre en demi-cercle que vous voyez, n’est pas une fenêtre, juste une illusion plaisante de la ville, les murs de cette pièce sont plus épais que n’importe quel autre dans cet hôtel et pas seulement fait d’acier et de béton, il faut songer que d’autre espèces n’ont pas les mêmes limites, les fantômes sont intangibles par exemple, les démons aussi alors il faut se demander ce qu’ils craignent, le sel, le sorbier par exemple. Je n’ai pas la prétention de dire que j’ai pensé à tout, toute chose à des failles, mais j’ai un côté paranoïaque qui m’aide à rester prudente. Prenez conseil auprès de plusieurs personnes, cela permet de brouiller les pistes, mais aussi d’ouvrir son esprit, prenez le meilleur de chacun, personne ne peut être expert en tout. Les faiblesses des uns seront compensées par les forces des autres et aucun ne pourra avoir de plan d’ensemble ainsi également. Je ne fais confiance qu’à mes co-directeurs et je suis certaine que vous comprendrez pourquoi.
Le pacte du Lux était un secret, elle ne le clamait pas publiquement, mais elle savait que bien des gens avaient soupçonné son existence, alors elle n’insulterait pas l’intelligence de Lyanna. Bien des familles, des sociétés, des covens, des clans avaient recours à ce genre de pratique qui demandait certes beaucoup de puissance magique, mais qui n’était pas inaccessible. Lyanna connaissait le sort, elle n’en doutait point.
- Je crois que je suis plus experte en décoration cependant, lâcha-t-elle pour ne pas paraître trop prétentieuse et alléger l’atmosphère également.
Son employé n’allait plus tarder, elle avait ses trucs et astuces pour assurer un service des plus rapides et satisfaire ces clients les plus capricieux.
- Je suis ravie de vous voir en régente, je me rappelle le premier que j’ai rencontré il y’a 128 ans, nous n’avions pas une entente parfaite, il n’aimait pas ma Lottie et comme elle était tout pour moi après la mort de mon fils je ne laissais rien passer. J’ai appris à me montrer plus souple et un peu moins enflammée avec le temps. Vous étiez jeune quand on vous a nommé, n’êtes-vous pas l’une des plus jeunes régentes de ce couvent ? Dorian Boet qui a sensiblement votre âge a fait l’école avec vous, il était un peu taiseux cependant, toujours dans ses livres de biologie, je ne sais pas si vous vous souvenez de lui, mais lui vous avez remarqué, dans le sens où il vous trouvez brillante bien sûre.
Voir le système de sécurité si moderne installé dans l’édifice co-dirigé par Amarante avait fait réaliser à Lyanna que dans le siège de son coven aussi bien que dans sa maison, le système était basique, bien que renforcé par un sort imparable. Néanmoins, savait-on jamais, les humains tout comme les surnaturels savaient s’adapter et trouver des failles. Après tout, la maison de Lyanna avait été criblée de balles tandis qu’un tireur fou s’était lancé à la poursuite de Clayton qui avait trouvé refuge chez sa meilleure amie. La régente avait alors fait remplacer ses fenêtres par des vitres pare-balles, certes très coûteuses et sur mesure, mais qui au moins qui lui garantissaient la sécurité de ce point de vue. Elle avait vu ce soir-là les familiers blessés à cause des bouts de verres et elle s’était estimée heureuse qu’ils n’aient pas pris une balle perdue. Elle s’en serait voulue toute sa vie si tel avait été le cas.
Le conseil de l’esprit aux charmants traits asiatiques avait été de tout vérifier trois fois par an. La sorcière blanche acquiesça, prenant bonne note mentalement de ce premier conseil. Après tout, Amarante était âgée depuis quelques siècles et était probablement rodée maintenant. Le reste du discours de son hôtesse faisait écho en elle. Lyanna était du même avis que l’esprit et avait déjà suivi ces conseils-là. Demander l’avis de plusieurs, prendre le meilleur de chacun, c’était déjà quelque chose qu’elle faisait en temps normal. Son coven et sa maison étaient protégés par un sort puissant empêchant les surnaturels mal intentionnés d’y entrer, elle avait aussi disposé du sorbier et du gros sel pour empêcher l’intrusion d’esprits, puisque White Chapel n’était de toute façon pas visible des humains classiques. Seuls les surnaturels pouvaient voir la chapelle, et seuls les âmes bien intentionnées pouvaient y entrer, mais pas les esprits qui, de toute façon, n’avaient rien à faire dans un coven de magie blanche. Normalement, seuls les sorciers pouvaient y entrer, après tout, n’était-ce pas un refuge pour eux ? Un lieu qui leur était dédié et où ils pouvaient trouver la paix, la plénitude, un sentiment de protection. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Lily avait toujours eu ce sentiment dans ce coven, dès le premier jour où ses parents l’y avaient emmenés, avant même qu’elle n’ait eu sa cérémonie de dédication. Elle savait qu’un jour, elle appartiendrait à ce coven, qu’elle était destinée à la magie blanche, et pas seulement parce que ses parents l’étaient, c’était un appel profond.
- C’est important de savoir à qui l’on peut faire confiance, je vous comprends, acquiesça-t-elle. Moi-même, les personnes en qui j’ai une confiance aveugle se comptent sur les doigts d’une main.
Bradley, son meilleur ami et bras droit. Un pacte inviolable les unissait, certes prononcé alors qu’ils étaient tous deux en état d’ébriété avancé après une soirée visant à fêter leur diplôme post-Académie, Brad avait juré une allégeance totale à sa meilleure amie, promettant de la protéger au péril de sa vie quoi qu’il en coûte. Clayton, son deuxième meilleur ami qui lui avait sauvé la vie voilà plus de vingt ans auparavant. Karl, le grand amour de sa vie. Elisabeth, sa plus ancienne amie avec Brad. Et depuis peu, Keon, le jeune medium. C’était tout. D’autres personnes avaient bien entendu sa considération, mais c’était différent d’une confiance aveugle. Lily eut un petit rire en entendant Amarante dit qu’elle était plus experte en décoration.
- Vous êtes une femme de goût, c’est indéniable.
Elle sourit, touchée par la remarque de l’esprit, et fit travailler sa mémoire pour resituer le régent qu’elle avait connue. Oui, Lyanna ayant toujours été une élève modèle, elle avait appris par coeur les noms de tous les régents du coven qu’elle visait.
- Il y a 128 ans… laissez-moi réfléchir… n’était-ce pas Edmond Winchester qui était régent ? Lui et sa famille étaient originaires d’Angleterre si ma mémoire est bonne. L’un de ses descendants est toujours ici et je dois reconnaître qu’il me mène la vie dure parfois, souhaitant toujours apporté son grain de sel à mes décisions, sous prétexte que son ancêtre était régent. Ah ce bon vieux Winchester, ajouta-t-elle avec un petit rire sarcastique.
Ce vieux sorciers sentait le vieux cigare à dix mètres et n’avait de cesse de faire des remarques à Lyanna depuis qu’elle avait été nommé. Heureusement, il craignait assez les gros muscles de Bradley qui ne se gênait pas pour le malmener un peu « sans faire exprès » quand il collait un peu trop la régente.
- Oui, j’ai été nommée à l’âge de 25 ans. Jamais un régent n’avait été posté aussi jeune, tous covens confondus, et comme vous pouvez vous en douter, cela a fait jaser. Mais qu’importe, je pense avoir fait mes preuves, d’autant que j’ai été nommé pendant la guerre. J’ai longtemps pensé que c’était fait exprès pour me voir échouer, mais j’ai tenu bon et ai préservé le coven de la déchéance, je l’ai même redressé et je dois dire que cela restera toujours ma plus grande fierté. Comme quoi, l’âge ne fait pas toujours tout.
Lyanna fut aussi touchée par le discours d’Amarante qui avait perdu un enfant. Maintenant qu’elle se savait la mère de Zephyr, elle ne savait pas comment elle réagirait si elle le perdait.
- Je comprends, on apprend à s’assouplir avec le temps, les expériences, le vécu. Je suis navrée du drame que vous avez vécu, Amarante.
Elle évoqua Dorian Boet et cherchant dans sa mémoire, Lily parvint à remettre un visage sur ce nom. Un jeune homme très travailleur, d’après son souvenir.
- Oui, toujours le nez dans les livres, il est vrai. Je craignais souvent qu’il ne me surpasse, je voulais tellement être la meilleure. Je crois qu’il a opté pour la médecine après son diplôme, c’est bien cela ?
La confiance n’était pas une chose facile surtout pour elle, pourtant elle aurait aimé, elle aimait qu’on lui fasse confiance, mais la réciproque lui était dur à accorder et c’était pourquoi ça ne marchait pas autant. Cela la rendait parfois malheureuse, mais prendre le risque de trop se confier à quelqu’un pour gagner sa confiance, c’était un risque trop grand pour sa famille, elle ne pouvait pas faire ça. Si ce n’était qu’elle elle serait peut-être plus audacieuse, mais elle soutenait un mini-empire qui comptait sur elle.
- Merci, remercia humblement Amarante en baisant légèrement le visage par pudeur.
Quand la remarque venait d’un homme ça avait tendance à l’agacer, mais d’une femme cela retentissait différemment, il n’y avait nulle tentative de séduction ou de flatterie sexiste juste un compliment sincère d’une femme à une autre, du coup c’était plaisant. Amarante écouta ensuite la régente parler, elle commençait à se sentir plus à l’aise avec elle, cela faisait du bien d’être juste face à face sans autre acteur pour les distraire ou les influencer. Les préjugés qu’elle pouvait avoir sur Lyanna commençait à fondre comme neige au soleil. Elles étaient deux femmes de pouvoirs, deux femmes séduisantes et libres, elles avaient chacune leur caractère et la concurrence pouvait facilement naitre entre elle. Ama ne voulait pas de ça.
- Monsieur Winchester, oui c’est cela… Il ne m’aimait vraiment pas, mais nous devions vivre ensemble et je pense avoir tout fait pour respecter son titre malgré mes sentiments personnels. Je parie que ce descendant est plus vieux que vous et pense donc avoir la science infuse surtout que sa famille est « illustre » ? Cela m’arrive aussi parfois et je me rends trop tard que j’ai agis comme une idiote, comme je suis plus vieille que beaucoup, je dois paraître parfois insupportable et pleine de morgue. Dans mon cœur j’essaye juste de protéger ceux que j’aime et je m’y prends mal, mais ce n’est peut-être pas le cas de ce Winchester, peut-être que lui est juste un abrutit, j’ai dû le croiser, mais nous n’avons pas vraiment parlé. Je n’ai donc pas d’opinion tranché sur ce personnage. Cela fait trop longtemps que je n’ai pas organisée de bal au Lux, c’était passé de mode, mais j’ai l’impression de ne plus connaitre personne ça m’agace. Amarante soupire, puis sourit. Elle écouta la suite et opina. Possible qu’on vous ait nommé pour vous voir échouer, personne ne voulait se mouiller. On a souvent nommé des femmes dans des situations critiques, pour ensuite dire qu’elles étaient incapables, alors qu’elle ne subissait que les conséquences de son prédécesseur.
Elle avait lu des exemples dans des livres d’histoire, mais sur le coup aucun nom en particulier ne lui revint en mémoire.
- J’avais une fille aussi, ma Lottie, l’ancêtre de Damaris, c’étaient des enfants adoptés, mais ils m’étaient précieux plus que tout au monde, j’ai vu tant d’être aimé mourir, je me suis juste dit que plutôt que veiller sur une seule personne, je le ferais sur une lignée. C’est comme ça que j’avance malgré les deuils. Merci pour votre délicatesse. Oui mon Dorian, c’est un adorable garçon, il a fait médecine et a ouvert une clinique pour surnaturel. On frappe
Ama se leva pour ouvrir et récupéra un chariot avec la fameuse bouteille, elle servit deux verres
- Je vous ajoute des glaçons ? J'ai hâte pas vous?
Qu’il était amusant pour Lyanna qui avait appris les noms de tous les régents depuis l’avènement de White Chapel à Los Angeles, de discuter avec une personne qui en avait connu un, et ce plusieurs générations auparavant.
- A croire que les Winchester n’aiment pas grand monde, s’amusa-t-elle à souligner.
Après tout, le descendant du régent qui n’avait pas apprécié Amarante, ne semblait guère plus apprécier Lyanna, mais c’était probablement de la jalousie mal placée car il aurait sans doute voulu être nommé plutôt qu’elle. Aussi ne se gênait-il pas, autant que faire se pouvait, pour lui manquer de respect subtilement, assez pour ne pas être réprimandé devant tout le monde au risque pour la régente de passer pour une personne colérique. A la place, Bradley s’occupait tout aussi discrètement de son cas, soit en lui faisant un regard équivoque, ou le bousculant subtilement. Une fois, Lily l’avait pris entre quatre yeux pour lui faire entendre que s’il avait des remarques à faire, il pouvait le faire en privé. Cela l’avait calmé un temps. A croire que la sénilité faisait vite oublier les choses.
- Oui, Monsieur Winchester est beaucoup plus vieux, je pense qu’il a facilement deux fois mon âge. Vous concernant, ne vous reprochez rien, être une femme et être franche n’est pas chose aisée, je crois que cela ne l’a jamais été, mais il me semble que vous comme moi n’avons pas peur de faire en sorte que ce qui doit être fait le soit.
L’Américaine sourit. - J’ai toujours beaucoup aimé les bals, répondit-elle à l’esprit qui se désolait que cela soit un temps passé de mode.
Elle l’écouta ensuite expliquer qu’elle veillait sur sa lignée. Elle était une sorte de grand-mère éternelle, finalement. C’était beau, quelque part, cette abnégation pour sa famille.
- Je suis certaine que votre famille est heureuse de tout ce que vous faites pour elle et de l'Amour que vous lui portez.
Lily songea à ses parents qui étaient retournés depuis plus de vingt-cinq ans à Salem, la laissant seule à L.A. Parfois, elle se demandait quelle pouvait-elle la nature de ces affaires si urgentes et prenantes qu’il leur avait fallu traverser le pays, laissant leur fille unique seule à l’internat pour ne rentrer la voir que deux fois par année, la faisant venir à Salem durant l’été avant de la renvoyer pour la rentrée. Cependant, bien souvent, la régente préférait ne pas pousser trop avant sa curiosité. S’il s’agissait d’affaires illégales et qu’elle l’apprenait, son poste exigeait qu’elle dénonce ses propres parents, elle ne pouvait décemment rester en connaissance de détails de ce genre sans rien dire, sans quoi elle serait destituée, et clairement, Lyanna n’était pas prête à faire un choix entre ses parents et la régence de son coven qui la passionnait. Elle fut ravie d’évoquer Dorian, un jeune homme qui avait fréquenté la Ravenwood academy en même temps qu’elle, et qui avait fini par adopter un métier d’humain, à savoir la médecine, mais pour les surnaturels.
- C’est bon à savoir.
Mais la conversation fut écourtée par l’arrivée de la fameuse bouteille d’un âge incomparable. Lyanna regarda Amarante revenir avec le chariot et put presque sentir ses papilles saliver d’excitation. Sa curiosité était poussée à son paroxysme et elle se saisit du verre que la propriétaire des lieux lui avait servi.
- Non merci, pas de glaçons. Vous n’êtes pas sans savoir qu’on ne met pas de glaçons dans le whisky. La glace lui ferait certes gagner en fraîcheur mais perdre en expressivité, en diluant et en neutralisant ses arômes.
Lyanna n’était pas juste une alcoolique qui s’ignorait, elle appréciait réellement le whisky. Elle observa donc le liquide ambré en le faisant tourner dans le verre pour le faire « s’ouvrir ».
Etait-ce le champagne qui lui avait monté à la tête ou juste Lyanna qui était douée pour la mettre à l’aise, mais elle se sentait bien. Elle savait qu’elle n’était pas facile à apprivoiser, elle paraissait toujours avenante, mais cela n’indiquait pas forcément une affection de sa part et encore moins un amour de sa part. Elle n’était cependant pas aussi hypocrite que certain pouvait le penser, ses mots tendres elle les gardait pour ceux ayant une véritable place dans son cœur, c’était pour cela qu’elle abreuvait sa famille de je t’aime et qu’elle se sentait déconcertée par les déclarations de Yoric bien trop précipitée pour elle, à ses yeux ils se connaissaient à peine. L’esprit était heureuse de s’être forcée à dépasser sa méfiance qu’elle savait à présent injustifié. Lyanna faisait de son mieux pour gérer sa situation, comme elle, elle ne pouvait pas tout faire changer du jour au lendemain car il y avait de vieux grincheux comme Monsieur Winchester.
- Merci pour ces mots, se contenta-t-elle de dire n’en n’ayant pas d’autre en tête. J’espère les rendre heureux, ils sont tout ce que j’ai.
Elle parlait de raison de vivre, pas de bien, car là évidement elle avait absolument tout ce qu’il fallait, mais l’argent ne faisait pas le bonheur l’adage était vrai, il aidait les plaisirs superficiels, mais il ne donnait pas de raison de vivre. Parler de Dorian lui fit plaisir, elle pouvait parler des heures de sa famille, elle pouvait être barbante, mais c’était plus fort qu’elle.
- Quand il m’a proposé l’idée, j’ai tout de suite adoré, mêler la médecine moderne et la magie pour un bénéfice maximum. Les sorciers vous êtes ainsi à l’aise dans les deux sociétés et c’est pour ça que vous êtes -malgré votre fragilité physique comparée à certaine race- tout à fait exceptionnels.
L’alcool arriva et elle se leva pour faire le service, c’était dans ses cordes, on lui aurait demandé de cuisiner ne serait-ce que des pâtes elle les aurait ratés.
- C’est vrai, je ne juge cependant pas les façons de consommer, il y avait tellement plus grave, mais vous savez que quelques gouttes d’eau par contre provoque une réaction chimique qui amplifie les arômes, c’est à cause d’une molécule dont j’ai oublié le nom, un de mes barmaids me l’a appris quand je l’ai embauché, l’anecdote m’a marqué. Vous voulez tenter ? Elle fit la manipulation avec son verre et après avoir écouter Lyanna, elle lui tendit son verre. Trinquons, cette tradition charmante nous vient du médiéval, mais ce n’était pas alors symbole de convivialité bien au contraire, les personnes trinquaient afin d’être certain que leur boisson n’était pas empoisonnée, car en le faisant la personne en face pouvait potentiellement recevoir quelques gouttes de la boisson qu’il aurait pu empoisonner. A quoi pourrions-nous trinquer ? Trinquons pour notre bonheur, jouons les égoïstes ce soir, qu’en dites- vous ?
Une fois décidé sur quoi trinquer elles le firent et goûtèrent la boisson. Amarante tenta de reproduire ce qu’un célèbre producteur de whisky lui avait conseillé, commencer par quelques gouttes, enrober la langue avec la passer sur ses gencives, puis elle se concentra sur les saveurs.
Le sens de la famille et la dévotion d’Amarante envers celle-ci toucha Lyanna qui alors lui fit entendre que les siens avaient de la chance de l’avoir. L’esprit en parut touchée, mais la sorcière était sincère. Cela devenait rare, les gens d’aujourd’hui étaient si égoïste, égocentriques et parfois cruels, même envers leur propre sang. Elles évoquèrent Dorian qui avait été à la Ravenwood Academy à la même période que Lyanna et qui avait finalement opté pour la médecine.
- En effet, c’est une riche idée qui, certainement, doit en aider plus d’un.
La régente prit donc bonne note de se rappeler de cet endroit qui pourrait servir à ses proches, ses sorciers ou n’importe qui d’ailleurs.
Enfin l’objet de toutes les curiosités arriva : cette bouteille de whisky d’un autre âge. Lyanna fit part de son avis, qui était également celui des spécialistes sur l’ajout de glaçons dans le whisky. Certains l’aimaient frais malgré tout, mais Lily préférait en avoir tous les arômes. Elle sourit à la réponse de l’esprit.
- En réalité, cela dépend de l’eau utilisée et des minéraux qu’elle contient. Par exemple l’eau du robinet ruinerait totalement l’entreprise. Mais pour ma part, je le préfère pur, merci quand même.
La sorcière blanche prit donc le verre que lui tendit la maîtresse des lieux, observant le mouvement du liquide ambré, s’imprégnant de l’odeur dégagée. Elle sourit à l’anecdote sur la tradition de trinquer.
- Oui, je me souviens avoir lu cette tradition en cours d’Histoire, ça m’avait beaucoup amusée à l’époque et je m’étais demandé si c’était vrai ou si cela appartenait à du folklore légendaire. Alors vous confirmez ?
La proposition d’Amarante la fit acquiescer avec un sourire avant qu’elle ne trinque avec elle.
- J’approuve votre idée, trinquons à notre bonheur et celui de ceux que nous aimons. Je crois que le bonheur est une quête bien difficile car une fois atteint, le plus dur est de le préserver.
Puis, elle purent goûter à cette boisson sans doute bien connue de chacune, mais pas dans une version aussi âgée. En fait, il s’avérait posséder un goût somme toute similaire à ceux que l’on pouvait trouver aujourd’hui, à quelques différences légères près, mais qui étaient sans doute due au fût utilisé pour sa maturation avant sa mise en bouteille. Toujours était-il que ce whisky n’avait en rien perdu ses qualités gustatives. Lyanna échangea un regard avec son hôtesse pour s’enquérir de son avis. Pour sa part, elle le trouvait fort appréciable.
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