Je ne réponds pas à la menace que profère Jesus à l'encontre d'Asmodée. A vrai dire je ne l'ai même pas entendu car j'ai mon idée en tête et me précipite en direction de la salle de bain avec les griffes de ma panthère qui remplace mes ongles habituels. J'entends Jesus grogner et me suivre mais je n'ai pas le temps de l'en empêcher et de lui dire quoi que ce soit de plus que ce que je n'ai déjà dit il y a à peine une seconde. D'ailleurs je ne comprends même pas pourquoi il me suit alors que je viens de lui dire que ce n'était pas son problème mais bref.
Une fois dans la salle de bain je jette au loin ma chemise et je m'entaille le ventre. Au moment où j'allais recommencer Jesus entre à son tour, se jette dans ma direction et m'attrape par la gorge. Je me retrouve coincée entre le mur de la douche et Jesus. Impossible de bouger. Il m'a fait mal mais ce n'est rien comparé à la douleur que je me suis infligée il y a une seconde. Soudain il fait apparaître une dague d'ombre. Il a l'air complètement en colère. C'est si rare de le voir comme cela. J'aurais presque peur si la situation n'était pas ce qu'elle est actuellement.
Il veut m'aider à me faire du mal, il en éprouverait sans doute un plaisir certain. Il le confirme lui même, il sait où viser pour que je souffre mais que je ne meurs pas. Je vois enfin une partie du monstre que j'ai pu voir dans son dossier de la BACS. Un être sans pitié, cruel et qui aime torturer... Mais son offre est vraiment tentante et pour l'instant je me fous de qui j'ai en face de moi. Au contraire, je préfère même oublier qu'il s'agit de Jesus car sinon je pourrais baisser les bras trop vite... Et refuser son aide...
- Vas-y fais toi plaisir ! Si cela permet de faire souffrir Asmodée pour qu'il retire cette putain de marque !
Oui je suis probablement stupide de penser cela mais je dois dire que j'ai un coup de flippe et que je n'arrive plus à raisonner comme il le faudrait. Je me sens idiote d'avoir fait confiance à un démon et je préfère m’auto-flageler que d'être rationnelle et réfléchie. Cela ne me ressemble pas du tout mais je pense que c'est du à l'état de choc en apprenant que Jesus et Asmodée ne sont pas du tout des amis.
- Ouais j'ai pigé ! J'ai pactisé avec un putain de démon qui vient des enfers ! Ne remues pas le couteau dans la plaie j'ai compris ! Enfin pas verbalement ! Mais avec celui que tu as dans la main je ne...
Je ne fini pas ma phrase. Ma panthère a décidé de ne pas se laisser faire face à la menace. Elle aime beaucoup Jesus mais elle sait reconnaître lorsqu'elle est en situation de danger et c'est totalement le cas ici. Jesus veut m'aider à me planter un couteau et je suis totalement d'accord pour qu'il le fasse. La panthère compte bien sauver sa peau. Heureusement que nous vivons maintenant en parfaite harmonie car sinon elle serait apparue. Là, elle décide juste de grogner férocement tout en prenant le poignet de Jesus pour le tirer en arrière afin qu'il cesse de nous tenir par la gorge. Elle se tient ensuite en position de défense, prête à attaquer au moindre geste suspect de l'elfe noir. Elle grogne encore une fois et je sens qu'elle se retient de se transformer pour l'instant. Je sais qu'elle attend le moindre faux pas de ma part pour prendre le contrôle total de mon corps humain afin que je ne tente rien de trop stupide. La griffure de tout à l'heure ça passait pour elle, mais maintenant la panthère ne désire pas que j'aille trop loin... Elle cherche un moyen de me calmer, mais comment ? Elle n'est qu'une panthère après tout...
Tout ça part beaucoup trop loin. Jesus n’aime pas ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce que ça sous-entend. Myranda ne comprend pas la moitié des enjeux de la situation. Il a beau le lui crier en pleine figure, lui mettre la vérité bien en face des trous, elle ne pige pas ce qui devrait être évident. Il ne sait pas quoi faire pour lui faire entendre raison, la forcer à arrêter de se faire du mal pour rien. Une partie de lui, en plus, n’est pas contre l’idée. Il trouve ça ingénieux, profondément malsain, saignant à souhait. Il a, même, très envie d’enfoncer les doigts dans la plaie pour l’empêcher de se soigner, tirer un peu sur les bords et agrandir une blessure qui aurait pu être bénigne, mais qui s’avérera, sans le moindre doute, fatale face à un homme comme lui.
C’est dur, de résister à ses démons. Le goût du sang s’empare de sa bouche, roule sur sa langue. Il a très envie de lui faire mal, plus de mal encore qu’elle ne pourrait l’imaginer. Jesus sait y faire. Jesus adore ça. Il a passé toute sa vie à faire ça, à s’acharner sur ceux qui croient pouvoir lui tenir tête, à réduire en bouillie des humains qui se pensaient plus forts que les autres, increvables. Le monde est mortel et l’elfe noir adore le lui rappeler dans les cris et les effusions de sang. Ce serait moins drôle d’achever, dans la seconde, ceux qui ne veulent pas faire face à la vérité. Il préfère, de loin, voir tout espoir quitter leurs cervelles de moineau et les entendre abandonner face à l’inévitable : personne n’est invincible face à la folie d’un Goodman.
Ses doigts sont moins serrés qu’ils ne l’auraient pu, sur la gorge de Myranda. Jesus affronte ses envies de sang pour garder ses yeux sombres fixés dans ceux de la métamorphe. Il résiste à la tentation, à l’appel de ses blessures, aux vibrations de la dague d’ombres, entre ses doigts. Il sait qu’elle n’a pas la moindre idée de ce dont il est capable, de ce qu’il a déjà fait et qu’il est prêt à refaire. Sinon, elle ne lui aurait jamais donné l’occasion de s’emparer d’elle et de la menacer avec une arme. Qu’est-ce qui l’empêche de le faire ? Lui-même n’est pas sûr. Il ne veut pas savoir. Il se contente de la mettre en garde, pour qu’elle comprenne, enfin, dans quoi elle s’est lancée elle-même.
L’invitation de Myranda est un poison qui lui vrille les tympans, fait exploser une chaleur douloureuse, à l’intérieur de son crâne. Il grogne un peu, résiste à la tentation. Elle n’a pas le droit de lui en donner l’autorisation. Il fait trop d’efforts pour échapper à la folie, pour qu’elle ait le droit de tout briser d’un seul mot. Il ne veut pas. S’il devient incontrôlable, qui l’arrêtera ? Sûrement pas Myranda. Il sait qu’une autre a promis, mais il n’arrive pas à y croire. Elle se contentera de rire, sans le moindre doute, de se payer sa tête et… il ne sait pas. Il est un peu perdu dans tout ça.
« C’est un démon des enfers, Myranda. Que crois-tu pouvoir lui faire qu’il n’ait pas déjà subi ? »
Sa voix siffle sur des notes sombres. Il n’aime pas l’odeur de son sang qui l’appelle, lui susurre à l’oreille de baisser les yeux sur sa plaie. S’il le fait, Jesus sera perdu. La résistance de Myranda apparaît comme un salut. Elle le repousse et l’elfe noir se laisse faire. Il recule d’un pas, puis un autre. La dague disparaît, entre ses doigts, mais ses ombres s’étalent dans la salle de bain. Il n’a pas peur de la menace de la panthère. Jesus ne serait pas Jesus s’il s’effrayait de si peu. Même un démon comme Bélial ou Asmodée ne lui arrache pas le moindre frisson. Il sent le danger, oui, mais il l’aime et s’en délecte.
« Dis-moi, Myranda, ricane-t-il, l’air sombre. As-tu la moindre idée de qui est celui qui se tient devant toi ? Asmodée est un gros bébé à côté de moi. »
Il est peut-être temps, en effet, de mettre les choses à plat entre elle et lui. Jesus n’est pas un homme bien, il n’a jamais voulu ce titre, d’ailleurs. Elle, elle est une policière. Du moins, c’est ce qu’elle lui a dit, mais des fois… il doute. Il ne sait pas trop pourquoi. Comme des détails qui lui mettent la puce à l’oreille, qui le dérangent un peu, mais qu’il a décidé d’ignorer. Parce qu’au fond, quelle est la différence ? Elle a beau être une panthère, à un contre un, il ne croit pas qu’elle puisse lui faire quoi que ce soit. Il a eu cent ans de sa vie, ou un peu moins, pour apprendre à se défendre. Elle… elle n’a eu que quelques jours pour dompter sa panthère.
« Crois-moi, t’as pas envie de m’énerver. Alors tu vas être gentille, tu ranges tes griffes, tu te calmes et on trouve une autre solution. Compris ? »
Jesus indique bien, dans le ton de sa voix, qu’il ne lui laisse pas le choix. Si ses ombres se calment et reviennent à lui, ce n’est que pour mieux se tenir prêt face à la panthère. Au besoin, il l’assommera un bon coup. Au moins, comme ça, il sera sûre qu’elle ne se blesse pas et qu’elle ne tente pas, non plus, de le blesser lui. Ce qui n’est, franchement, pas l’idée du siècle.
Je continue de regarder Jesus en gardant le silence. Je ne compte pas répondre à sa question complètement rhétorique sur Asmodée. Je sais bien que je ne peux rien faire pour lui faire vivre pire que ce qu'il n'a vécu jusqu'à présent mais pour l'instant je n'ai pas du tout envie d'être rationnelle. Tout ce que je désire c'est qu'il souffre comme je souffre psychologiquement en ce moment.
Ma panthère décide ensuite de prendre un peu le dessus et le repousse loin de moi. Il se laisse faire. Il fait même disparaître sa dague. Je sais bien qu'il n'a pas peur de ma panthère. Je sais bien qu'elle ne fait pas le poids contre un elfe noir. Et soudain il me dit quelque chose qui me fait rire mais je me retiens. À la place je ne fais que sourire. Il est vrai qu'il ne sait pas que je sais qui il est exactement. Il ne sait pas que j'ai un énorme dossier qui traîne caché quelque part sur lui... J'ai vu les photos, j'ai lu tous les rapports... Je sais parfaitement de quoi il est capable. Il pense que je fais tout simplement partie de la police mais ce n'est pas tout à fait correct. Eh non, je fais partie de la bacs et ma première mission était de l'arrêter... Mais j'ai bien vite mis de côté cette mission lorsque je me suis attachée à lui Et encore plus maintenant... Maintenant que je me rends compte que je suis peut être amoureuse de lui... Il ne m'effraie pas autant qu'il le devrait, je suis sans doute idiote de croire qu'il ne me fera rien mais nous le saurons bien assez tôt car je pense qu'il est venu l'heure de lui avouer mon plus gros secret...
- Oh que si je sais qui tu es... J'ai tout un dossier sur toi, un dossier que j'ai caché à mes collègues pour qu'ils cessent les recherches sur toi. Je fais partie de la Bacs. Je devais te traquer et te neutraliser mais j'ai changé d'avis en cours de route.
Je garde une petite seconde de silence pour reprendre ensuite.
- Je sais que je ne ferais jamais le poids face à toi, je sais que tu n'as rien d'un gentil et que tu peux faire des choses horribles juste pour t'amuser. Mais tu aurais eu envie de me torturer tu l'aurais déjà fait surtout avec cette odeur de sang que tu peux sentir actuellement. Et pour ta gouverne si je savais comment me calmer d'un seul coup je le ferais immédiatement. N'as tu pas encore compris que je suis impulsive et que je ne maîtrise pas mes émotions comme je le devrais ?
Il ne me fait pas peur, je n'ai rien à perdre pour l'heure actuelle. Enfin si... J'ai peur de le perdre lui, j'ai peur de perdre ce qu'il m'apporte. J'ai changé à ses côtés, en mieux. Mais ce n'est pas la question pour l'instant. Pour le moment je dois voir comment il va réagir face à la bombe que je viens de lâcher. Je reste en position, prête à recevoir un coup ou je ne sais quoi. Et je l'avoue, prête aussi à tenter de le retenir si jamais il venait à partir. Je viens quand même de lui avouer que je fais partie de l'équipe adverse et que je devais l'arrêter... Nous sommes dans deux clans différents... Là, soit ça passe soit ça casse... Je n'aurais peut être pas du lui avouer. C'est sans doute trop tôt. Est-ce que je n'ai pas commis une erreur ? De toute façon c'est trop tard pour faire machine arrière. Au moins mon aveu me permet d'oublier durant quelques instants la marque que j'ai sur le corps. Marque qui a disparu d'un seul coup sans que je ne m'en rende compte d'ailleurs.
Toute cette histoire ne tient pas vraiment debout. Jesus ne comprend même pas les motivations d’Asmodée. Pourquoi a-t-il essayé de s’en prendre à Myranda pour l’atteindre, lui ? Que croyait-il qu’il allait arriver ? L’elfe noir n’est pas homme à se laisser faire, même par un démon et il sait que celui-ci le sait aussi. Il lui a déjà prouvé, autrefois, quel têtu il peut être. Rien ne détourne Jesus de son chemin. Pas même des menaces de morts et des blessures plus ou moins graves. Rien. Ce qu’il ne comprend vraiment pas, en tout cas, c’est le rapport avec Myranda. Jesus aime bien essayer de la pousser à bout ou partager des petites pointes d’humour qui ne plairaient à personne d’autre, mais elle n’a aucun lien avec toute cette histoire.
Dans d’autres circonstances, Jesus aurait sûrement ri de la situation. Il aurait même été foutu de se pointer à côté d’Asmodée et de lui dire de continuer ses petites affaires avec Myranda, sans la moindre considération pour l’humaine. Néanmoins, l’elfe noir a décidé qu’elle lui appartenait, tout comme Asmodée avait décidé que cette petite connasse de sorcière vaudou, à l’époque, était à lui, sans vouloir la partager avec le chauve. Alors que ça lui faisait quoi, au fond, d’offrir une âme à Jesus ? L’elfe n’en voulait même pas ! Il voulait juste s’amuser un coup et, à sa mort, l’âme de la sorcière serait revenue à Asmodée. Il ne voyait vraiment pas le problème. Mais puisque le démon a voulu jouer à ce jeu-là, alors lui, il jouera aussi. Il trouvera un moyen de briser ce pacte entre la métamorphe et lui.
Du moins est-ce que qu’il comptait faire avant que les choses ne dérapent. L’elfe noir papillonne des yeux, sous la révélation de la métamorphe. Elle, un agent de la BACS ? L’information se plante dans son cerveau et fait bouillir le tout. Il serre les poings, tique un peu et reste, quelques minutes, parfaitement immobile. Au fond de lui, un feu ancien, presque nostalgique, essaie de se répandre dans ses veines. Il sent la haine comme il ne l’a plus connue depuis longtemps, qui s’invite dans tout son corps et le réchauffe agréablement. Puis, un souffle, une bourrasque de vent qui éteint tout, jusqu’aux braises elles-mêmes.
Et Jesus rit.
Il rit comme il n’a plus ri depuis longtemps. Il se paie sa tronche comme c’est pas permis, plié en deux au milieu de la salle de bain. Myranda ? Un agent de la BACS ? Un dossier entier sur son dos de psychopathe ? L’elfe noir ne peut plus arrêter son fou rire. L’information est hilarante, offerte comme si ça allait tout changer à la situation. Vraiment, Jesus ne voit pas ce qu’il pourrait faire d’autre que… rire. Encore et encore. À s’en déchirer les abdominaux.
« Attends, attends, laisse-moi un peu de répit, articule-t-il, entre deux fous rires. »
Jesus s’adosse à un mur et se ventile le visage, comme une pétasse, pour essayer de calmer l’hilarité qui amène, très vite, des larmes à ses yeux. Un instant rare, les larmes de l’elfe noir, qui coulent un peu sur ses joues rougies. Il n’est pas sûr d’avoir, un jour, entendu quelque chose d’aussi drôle et il est presque certain, aussi, que Myranda ne s’attendait pas à ça en lui confiant son petit secret. Il n’arrive, en tout cas, pas encore bien à intégrer la vérité, lui. Ça ressemble à un bon gros mensonge qui pointe le bout de son nez, à chaque fois qu’il réussit à se calmer. Inévitablement, il repart sur un nouvel éclat et doit faire un effort surhumain pour réussir à abandonner ses rires pour un peu plus de sérieux.
« Un gros dossier sur moi, hein ? » (Il ricane un peu, mais réussit à garder son sérieux.) « Et t’as quoi, dans ton petit dossier ? Une photo floue et trois meurtres qui se ressemblent à peu près ? Dis-moi, sinon, pourquoi je suis encore là, au milieu de ton appartement, à me balader tranquillement, hein ? Tes petits copains de la BACS ont jamais été doués de toute façon. J’ai cent ans et pas une seule de mes cicatrices ne vient de ton groupe de péquenaud. Tu sais le meilleur ? Mes parents sont pires que moi et ils ont jamais eu de problème. Alors ton petit dossier… »
Il hausse les épaules et échappe un nouveau rire amusé. Il ne dit que la vérité et est persuadé qu’elle le sait tout aussi bien que lui. La BACS est incompétente et l’a toujours été. Ça ne changera jamais. Jesus ne se sent pas le moins du monde inquiété par le dossier qu’elle possède sur lui. Peut-être qu’il devrait, oui. Mais entre lui, un « homme rangé » et un démon comme Asmodée… Qui choisiront-ils, ces petits cons d’humains ? Oh, oh. Il ne faut pas attendre de Jesus du silence pour ses alliés. S’il se fait choper, il les balancera tous un par un, sans même sourciller.
« Qui te dit que j’en ai pas eu envie ? » (Sa voix grince un peu sur la vérité. Les envies, ce n’est pas ce qui manque, chez lui.) « Tu veux que je t’aide à te calmer, peut-être ? »
Jesus pousse le jeu un peu loin, mais il aime bien ça. Maintenant qu’il n’a plus besoin de cacher celui qu’il a toujours été, il ne va pas se gêner ! Elle le dit elle-même : il n’est pas quelqu’un de bien. L’elfe noir a plus de sang sur les mains que dans les veines et ce n’est pas un peu d’hémoglobine en plus qui va le tuer.
« Estime-toi heureuse, Myranda, un autre que moi t’aurait laissée te démerder avec Asmodée. Regarde ton ventre et dis-moi que tu regrettes de pas m’avoir balancé ? » (Il rit à nouveau, alors que la marque du démon a disparu.) « Je t’avais dit que j’avais un moyen de pression sur lui, non ? Bon, je pensais pas qu’il se retirerait trop vite, mais tu vois, ça a du bon de fréquenter des psychopathes, une fois de temps en temps. »
L’elfe noir ne doute pas que le traitement infligé à Amanda ait calmé le démon. Asmodée a, en tout cas, décidé de briser son propre contrat, comme ça, d’un claquement de doigts. Ça n’augure peut-être rien de bon pour Jesus, dans le futur, mais ce n’est franchement pas ça qui va le faire flipper. Il attend presque les représailles avec impatience, persuadé qu’Asmodée n’arrivera à rien contre lui. Pas tout seul, en tout cas.
« Et maintenant qu’on a dévoilé une partie de nos petits secrets, tu vas faire quoi ? Me mettre en prison ? Allons, on sait tous les deux que je n’irai pas sagement derrière des barreaux. »
J'ai avoué à l'elfe noir que je fais partie de la bacs... Je viens de lui avouer naturellement juste pour lui prouver que je sais exactement qui il est... J'ai vu les photos de ses victimes, j'ai vu des vidéos de ses actes. J'ai lu tous les comptes rendus... Je sais tout ce que je dois savoir sur son côté sombre, son mauvais côté. Mais je regrette déjà de lui avoir avoué... Le voir rire devant moi m'énerve. Il se moque ouvertement de moi... Et en plus il me demande de patienter sagement qu'il ait fini de rire... Comment peut-il oser rire de mon aveu ? C'est complètement surréaliste ! J'avais peur de lui avouer et maintenant je suis en colère contre lui. Il me prend pour qui ? Non mais je rêve ! Il pleure de rire !!!! Putain ! Il ne me croit pas ! Il croit que je mens ! Mais pourquoi je mentirais là-dessus ?
Je m'approche d'un pas de lui pour le regarder bien en face. Il rabaisse mon équipe, il se moque de moi. Mais je ne suis pas eux.
- J'ai des photos, des vidéos. Effectivement on ne te reconnaît pas dessus mais j'ai fait le rapprochement et je t'ai retrouvé. Je t'ai approché, je t'ai amené chez moi. Je suis la seule de BACS à avoir pu t'approcher d'aussi près... et il me semble que tu as une ou deux petites cicatrices sur ton dos venant d'un membre de la BACS, de moi plus précisément. Et je connais un de tes points faibles désormais, tu as peur de te noyer dans trois centimètres d'eau. J'aurais pu t'arrêter, te neutraliser mais je ne l'ai pas fait. Et j'ai caché ce gros dossier qu'on a sur toi. Tu es encore libre pour l'instant parce que j'ai été assez idiote pour me faire avoir... Je me suis attachée à la facette que tu as montré de toi.
Effectivement la BACS ne sait pas qui il est réellement, elle ne connaît pas son visage. Nous n'avons jamais rien eu de concret contre lui. Pour comprendre que l'elfe noir que je cherchais était Jesus j'ai dû le suivre jour et nuit durant longtemps... J'ai du tout revoir encore et encore de son dossier... J'y ai ajouté pas mal de choses à l'intérieur depuis que je suis en filature... Choses qui pourraient indiquer que le coupable est bien Jesus... Et aujourd'hui je sais que j'ai raison, il vient de le confirmer à voix haute.
Et voilà qu'il me menace encore. Où est passé notre complicité ? Où sont passés nos petites joutes verbales et nos moments fun ?
- Tu veux me calmer ? Ah ouais ? Et tu vas faire quoi ? M'assommer pour résoudre le problème facilement ? Ou tu vas m'infliger les blessures que je voulais m'infliger ? Pour que tu me montres par la même occasion ta véritable nature et que tu puisses voir mon sang couler un peu plus ?
Mais pourquoi je le provoque encore plus ? Non mais pourquoi tout dérape ? La marque aurait-elle un autre effet sur moi ? En plus de faire en sorte que j'aime ma panthère ? Asmodée doit m'avoir fait quelque chose pour me pousser à me battre avec son ennemi... Je ne vois pas autre chose...
Je ne comprends pas ce qu'il veut me dire mais regarde malgré tout mon ventre et soudain... IL N'Y A PLUS RIEN !! Elle est où ? Putain ! Il a brisé le sort ! Asmodée a brisé le sort ! Je vais... Je vais perdre mon côté humain et finir panthère à jamais ! Non mais non ! Je touche mon ventre et frotte pour voir si la marque n’apparaît pas à nouveau. Peut être qu'elle a juste changé de place ? Je fais une petite grimace inquiète et me place face au miroir pour regarder mon corps. Mais je ne vois rien, elle est nulle part. En tout cas sur aucune partie de mon corps visible...
- T'es sûr que c'est grâce à toi qu'elle a disparu ? Peut être que je vais devenir une panthère à jamais... Et si c'est le cas tu as intérêt à me tuer avant que je ne fasse encore une fois du mal à qui que ce soit ! Torture-moi, saigne-moi je m'en moque, tout ce qui compte à la fin c'est que la panthère meurt si je ne suis plus.
Et je suis très sérieuse. Je ne veux pas disparaître et laisser un monstre sanguinaire à la place. Je sais de quoi elle est capable. Elle serait sans pitié sans ma partie humaine... Ou alors Asmodée a réellement eu peur de ce qu'a fait Jesus... Mais dans ces cas-là il a fait quoi de particulier ? Je crois que je préfère ne pas le savoir...
Soudain Jesus me demande ce que je compte faire... L'envoyer en prison ? Je n'en ai pas envie... Je vais m'asseoir sur les toilettes après avoir baissé le couvercle. Je ne veux pas qu'il aille en prison. Je tiens à lui... Mais il a commis des crimes... Mais il a l'air d'avoir changé... Et... Je tiens trop à lui... Je ne pensais pas devoir me poser cette question si tôt. Cela fait redescendre d'un coup ma colère. Je ne peux pas lui avouer mes sentiments, je ne peux pas lui dire... Il va encore rire de la situation et ça je ne pourrais pas lui pardonner. Ça me briserait de l'intérieur.
- Non... Je ne veux pas que tu ailles en prison.
C'est dingue de changer d'émotions aussi rapidement, et de perdre les mots.
- Je crois que je me suis attachée à toi et pour l'instant ton secret est bien caché... Je n'ai pas envie de me servir du dossier contre toi et je ne veux pas me battre contre toi de cette façon.
Je n'aime pas ce moment... Je veux disparaître sous terre, prendre la fuite, tout effacer... Je veux retourner en arrière et ne pas lui dire de venir... Je n'aurais pas du essayer de me blesser physiquement car à cause de cela j'ai été obligé de tout lui avouer et de me blesser autrement... Et surtout j'ai perdu le contrôle de la situation. Je ne maitrise plus rien du tout... Non mais regardez la scène... Jesus s'est moqué de moi et m'a montré qui il est. J'ai pété un câble, je me suis blessée et maintenant je me retrouve assise sur mes toilettes à ne plus savoir quoi faire ou quoi dire. J'ai le ventre couvert de sang ainsi que le pantalon... A vouloir... Je ne sais pas ce que je veux... Je passe ma main sur le visage. Je suis incroyablement, totalement perdue.
Jesus a du mal à croire à toute cette histoire de BACS. Élevé par des psychopathes, l’elfe noir n’en reste pas moins élevé par des gens prudents. Une donnée à ne pas oublier, pour bien comprendre sa vie. Ses parents n’ont pas vécu aussi longtemps (et ils ont, au minimum, cent ans de plus que lui, c’est pour dire…) sans être emmerdés par la BACS, en laissant, derrière eux, des traces de leurs crimes. Enfin… des traces, oui, mais pas des indices de leur culpabilité. Ils savent y faire pour se faire passer pour des innocents. Grand sourire, larmes, tout le tintouin ! De vrais acteurs en puissance ! À croire que, face au danger, la folie est cachée, bien cachée, derrière un peu de lucidité et de raison. Bref, tout ça pour dire que Jesus, aussi, a été élevé dans cette idée.
Alors, forcément, il a du mal à y croire. L’elfe noir a eu beau s’adonner à son petit plaisir de psychopathe une grande partie de sa vie, il n’en a pas oublié tous les avertissements de ses parents et à prendre tous ses précautions. Il ne tapait sur personne sans être recouvert d’une bonne couche d’ombres, pour ne pas être vu, ni par un témoin gênant, ni par des caméras. Peut-être en a-t-il laissé échapper une, une fois, mais il en doute quand même un peu. Ou alors, juste une fois, et ça ne prouve rien à sa culpabilité sur des centaines de meurtres dans tout le pays.
Pourtant, elle lui assure qu’elle a un gros dossier sur lui. Un gros dossier. Franchement, Jesus ne peut que rire. Sans la moindre preuve, il ne voit ça que comme une bonne grosse menace, un coup de bluff qui ne marchera pas sur lui. Si elle lui amène la preuve, là… Il se contentera sûrement de brûler le dossier bien comme il faut et comme ça, il pourra continuer de rire. Le dossier n’existera plus.
Des photos et des vidéos. Jesus hausse un sourcil, toujours adossé à son bout de mur. Mais on ne le reconnaît pas ? Alors comment compte-t-elle prouver qu’il s’agit bien de lui ? L’elfe a du mal à suivre sa logique. Depuis qu’il est arrivé à Los Angeles, il n’a pas dû frapper grand-monde… Peut-être un directeur de casting, une fois, mais pour le reste, il s’est retenu. Il s’est fait frapper, ça, oui. Mais il a toujours quitté la ville pour frapper à son tour. Jesus est fou, pas con. Et voilà qu’elle avoue qu’elle est la seule au courant. L’elfe noir sourit à pleines dents, une lueur mauvaise au fond du regard. Est-il censé faire comme si ça lui faisait peur ? Il n’y arrive pas. Ça l’amuse !
« Oh, tu es la seule ? Alors je n’ai qu’à me débarrasser de toi, tout de suite, non ? Qui sait que je suis ici ? Personne. Ça pourrait même mettre Asmodée dans la merde, tiens. C’est pas une si mauvaise idée. » (Il ricane un peu.) « Et tu vas faire quoi ? Me balancer à la flotte ? Tu crois que je vais me laisser faire sans rien dire ? »
La menace ne plaît pas au chauve dont les ombres s’agitent, à nouveau, sur ses épaules. Elle n’a pas intérêt à essayer de le foutre à l’eau. C’est mort. S’il ne compte pas la tuer, une telle tentative pourrait tout changer à l’histoire. Jesus n’a peur de rien, sauf de la noyade. Elle n’a pas le droit d’essayer de le noyer. C’est comme pincer les fesses d’un lion et lui interdire de vous mordre. Ridicule.
« T’assommer, ouais, c’est pas une mauvaise idée. Au moins, ça t’empêchera de jacasser autant, répond-il, les dents serrées. »
Jesus en a un peu marre de sa petite crise. Ce n’est pas lui, quand même, qui a été assez bête pour passer un contrat avec un démon. Pourquoi c’est lui qui se fait engueuler ? Décidément, les femmes, c’est vraiment chiant. Il comprend mieux pourquoi il s’en tient, le plus souvent, éloigné. Celle-ci était sympa, au début, à jouer au même jeu que lui, mais là… elle teste ses limites et il est certain qu’elle n’appréciera pas de les dépasser. Il n’y aura pas de retour en arrière possible.
Voir Myranda frotter son ventre dans l’espoir de voir, à nouveau, apparaître la marque, ne plaît pas à Jesus qui grogne. Il se demande sincèrement c’est quoi son problème, à celle-là ! Jamais contente ! Elle hurlait d’avoir une marque de merde et maintenant qu’elle n’y est plus, elle veut l’avoir ? Ça n’a aucun sens… Et voilà que, en plus, elle ose mettre en doute les paroles de l’elfe noir. Soûlé, il lève les yeux au ciel et soupire un grand coup.
« Puisque je te le dis. Trouve une autre bonne raison pour que ce petit con enlève le contrat, hein ? Tu vas pas te transformer, arrête ton délire. C’est des conneries tout ça. De toute façon, il a arrêté le contrat lui-même, c’est pas toi qui l’as brisé, alors ça marche pas pareil. Puis, compte pas sur moi pour tuer un gros chat. »
Ce qui est, avouons-le, un non catégorique. Jesus ne va pas défoncer la panthère pour faire plaisir à Myranda. Il lui fera peut-être un gros câlin, ça, oui. Pour le reste… il s’en fiche pas mal que la bête parte en ville tuer des humains. C’est pas lui que ça regarde. D’ailleurs, il se demande bien ce qu’il fiche encore dans la salle de bain de cette folle. Il ferait mieux de se barrer vite fait et de la laisser piquer une crise toute seule. Quand elle sera calmée, peut-être qu’il reviendra. Qui sait.
Au moins, ils sont d’accord sur un point : Jesus n’ira pas en prison. C’est hors de question. Il préfère encore crever que de finir derrière des barreaux. D’ailleurs, ce sont pas des petits barreaux qui le retiendront. Personne n’aurait l’idée de foutre une bête sauvage en cage sans une bonne dose de calmants. Pour l’elfe noir, c’est la même rengaine. Sans un tranquillisant… il foutra un bordel pas possible dans les locaux de la BACS jusqu’à ce qu’ils arrivent à l’achever. La mort est préférable à l’enfermement, sans le moindre doute. Puis, en enfer, au moins, il pourra aller faire chier Asmodée pour l’éternité.
« Bien. » (Jesus croise les bras sur le torse.) « Mais tu as un dossier contre moi. Et même si je doute fort que tu aies réussi à faire ce que tu dis, c’est-à-dire me relier à des meurtres à la con, il va y avoir un petit problème. Tu crois que je vais sagement rester là, dans ton appart’, à déconner comme un débile alors que t’as un moyen de pression sur moi ? Non, ça marche pas comme ça, Myranda. »
Ça l’amuse, en tout cas, de voir qu’il est capable de se foutre un agent de la BACS dans la poche et de le faire avouer tout ce qu’il a sur son compte. Après tout, Myranda aurait pu avouer son appartenance au groupe, sans jamais révéler ce qu’elle savait sur lui. Ainsi, elle aurait gardé son « moyen de pression » (même si c’est une grande expression…) et ils n’en seraient pas là. Maintenant, c’est trop tard pour revenir en arrière et Jesus ne compte pas laisser de traces derrière lui.
Je n'aurais jamais du lui avouer mon métier et le fait que j'ai un dossier sur lui... Tout est entrain de dégénérer... Plus rien ne va... Je sens que je suis entrain de le perdre, je n'arrive plus à suivre. Tout ce que je sais c'est que je ressens toujours autant de colère...
- tu veux te débarrasser de moi ? Tu es sérieux ? Alors que je t'ai dit que je comptais ne rien faire ? J'étais même prête à te donner ce fichu dossier mais je n'en suis plus si sure désormais... Au final je ne compte pas du tout pour toi c'est ça ? Je pensais que tu tenais un peu à moi... Mais je me suis trompée. J'ai été stupide...
Bien sur que je suis obligée de le menacer moi aussi. Je n'ai pas le choix. Il faut qu'il comprenne que je saurais me défendre au besoin même si dans le fond je sais bien que je ne fais pas le poids contre lui. Mais s'il venait à me tuer il ne saurait jamais où se trouve le dossier que je cache, et quelqu'un finira bien par retomber dessus. Surtout que j'ai ajouté quelques annotations dessus... Morgana finira par le trouver si je venais à disparaître.
Je sens que la colère de Jesus augmente. Je le vois à ses ombres. Nous jouons à un jeu dangereux, et je n'aime pas du tout cela... Tout se bouscule dans ma tête et je n'en peux plus. Entre ce qui se passe avec Jesus et ma marque... Je ne sais plus quoi penser... C'est perturbant de la voir dispaitre. Forcément sur le coup je ne comprends pas comment c'est possible. Et Jesus n'a pas l'air de comprendre pourquoi je réagis ainsi.
- Tu peux comprendre pourquoi je flippe non ? J'ai le droit de ne pas comprendre ce qui se passe. Et puis effectivement tu ne tueras pas ma panthère, elle a bien plus de valeur à tes yeux que ma partie humaine. Et puis lâcher un fauve sauvage en pleine nature, cela pourrait t'amuser non ?
Ouais il faudrait que j'apprenne à fermer ma bouche... Je laisse mes émotions parler et cela ne donne rien de bon... Pourtant j'essaie tant bien que mal de lui expliquer que je ne ferais rien contre lui... Putain mais il le fait exprès ou quoi ? Je tiens à lui merde ! Et même si je ne l'ai jamais dit ouvertement je pensais qu'il finirait par comprendre, mais il n'est pas assez humain pour cela sans doute.
- Tu veux quoi ? Que je te le donne ? Y a pas de souci. T'es plus mon ennemi depuis bien longtemps. Je n'ai pas envie que tu aies des problèmes Jesus. Faut que je fasse quoi pour que tu comprennes que j'ai des sentiments pour toi et que c'est pour ça que j'ai arrêté de chercher à t'enfermer et que je t'ai laissé entrer dans ma vie ? Si je t'en parle c'est que je ne veux plus me cacher ! J'avais besoin de te dire tout ça. J'avais peur de devenir une panthère à jamais et quand je ressens plein d'émotions je gère mal les choses.
Le problème c'est que j'ai peur de lui donner et qu'il ne disparaisse à jamais... Je ne me le pardonnerai pas... Je ne veux pas qu'il quitte ma vie... Quelque chose est brisé... Je ne vais rien pouvoir réparé pour le coup... J'ai tout fichu en l'air... Je sors soudain de la salle de bain et vais dans ma chambre chercher le fameux dossier. Je retourne ensuite dans la salle de bain et lui tend le dossier.
- Voilà tu as tout le dossier...
Je m'écarte légèrement de la porte. S'il veut partir je ne pourrais pas le retenir... Je serais impuissante face à lui... Mais j'espère du fond du cœur qu'il ne disparaîtra pas... Qu'il a quelques sentiments pour moi, du moins assez pour ne pas partir à jamais de ma vie...
Jesus ne comprend pas ce qu’il se passe. Toutes ces histoires de dossier lui tapent sur le système, il en a marre et il ne vaut mieux pas l’énerver, pour le moment. L’elfe noir n’est pas certain de pouvoir se retenir si Myranda pousse le bouchon trop loin. Ne peut-elle pas comprendre qu’il ne soit pas heureux, en effet, de l’entendre parler d’un dossier à son sujet ? Il lui suffirait, pourtant, de connecter ses deux neurones de métamorphe pour piger que Jesus est tout à fait dans son droit. Ce n’est pas à lui qu’on va demander de se calmer, pour le coup. Elle ferait mieux de garder la bouche bien fermée, de tourner au moins trois cents fois sa langue dans sa bouche et de comprendre, enfin, quel est le problème.
Évidemment qu’il la menace. Que peut-il faire d’autre ? La parole d’une humaine n’a aucune valeur. La parole d’un elfe noir non plus, d’ailleurs. Ce n’est pas à Jesus qu’on a appris à tenir ses promesses, même s’il en donne très peu. Pendant un temps, oui, il s’amusait à promettre à ses victimes que les choses seraient bientôt finies pour voir le désespoir les détruire de l’intérieur. Aujourd’hui, il se contente de ne rien promettre à personne, parce qu’il n’a pas que ça à faire. Néanmoins, les choses n’ont pas changé pour autant. Il peut, demain, décider de jurer à Myranda qu’il ne tuera plus jamais personne et partir, dans l’heure, zigouiller des humains. Ça ne le dérange pas. Le chauve fait ce qu’il veut de sa vie, de toute façon, et ce n’est ni une humaine, ni une agente de la BACS qui vont l’en empêcher.
Donc, non, en effet, Jesus ne peut pas croire Myranda sur parole. Elle dit ne pas utiliser ce dossier, mais elle le garde quand même pour elle et l’a caché, au lieu de le détruire. Elle veut s’en servir comme moyen de pression, sur lui. Sur lui. Elle peut bien le montrer à tous les agents de la BACS du monde entier, il n’en a rien à péter. Il est et restera persuadé que ce dossier est bidon. Sinon pourquoi est-elle là, devant lui, à essayer de lui faire comprendre qu’elle n’est pas une menace pour lui ? À ses yeux d’elfe noir, tout ceci n’a aucun sens. Il ne comprend pas, non plus, ce qu’elle veut dire par tenir à elle. Jesus lève un sourcil, interloqué, et essaie de piger ce qu’elle croit qu’il y a, entre eux. Il s’est bien amusé, c’est sûr, parce qu’il n’a jamais connu d’humaine capable de lui rendre ses blagues sans rougir, mais pour le reste. Il ne comprend seulement pas et préfère ne pas répondre.
Franchement, Jesus est paumé. Il ne veut pas comprendre, non, pourquoi c’est elle qui flippe, dans l’histoire. Elle n’avait, déjà, qu’à pas passer un pacte à la con avec un démon. Ça, oui, ça paraît logique à tout ce qui a un tant soit peu de cervelle. L’attaque, ensuite, le force à plisser les yeux, les bras croisés sur le torse, sans piger, là non plus, le problème. Évidemment que Jesus préfère son corps félin à son apparence humaine. Que peut-on attendre de plus d’un elfe noir comme lui ? Il n’a pas été élevé par des psychopathes pour apprendre à être sympa avec les ennemis de ses ancêtres. Et, oui, en effet, lâcher un prédateur en pleine ville, ça pourrait l’amuser un coup. Puisque Jesus ne touche plus trop aux humains lui-même, il n’est pas contre regarder la panthère se défouler sur eux. Mais elle devait le savoir depuis longtemps ça, alors pourquoi pète-t-elle une durite à ce sujet, maintenant ?
La suite achève l’elfe noir qui se fend d’un grand sourire. Des sentiments pour lui ? Myranda est, décidément, complètement folle. Déjà parce que Jesus n’est pas homme à avoir des sentiments, et surtout parce qu’il s’agit d’un meurtrier face à un agent de la BACS. Combien d’hommes, de femmes et d’enfants a-t-il étripé ? Mais elle arrive à tout lui pardonner ? Une preuve, sans le moindre doute, qu’elle en sait moins à son sujet qu’elle ne le croit elle-même. Alors, ça l’amuse. Il ne comprend pas, en tout cas, ce qu’elle attend de son aveu ? Qu’il se mette à pleurer et lui dire qu’il l’aime aussi ? Ça n’arrivera pas. Il l’apprécie, ok, mais les choses ne vont pas plus loin. Pas pour le moment, ça, c’est certain.
Jesus s’empare du dossier que Myranda lui tend, avec un petit sourire et un hochement de tête satisfait. Au moins, maintenant, il peut l’effacer à tout jamais. Néanmoins, pour le moment, il préfère quitter la salle de bain et se jeter sur le canapé. Allongé confortablement, il ouvre le sujet de cette discorde et feuillette les pages, les unes après les autres. Il ricane, tout seul, sur son canapé, en découvrant les quelques cas qui ont été recensés et qui, sans le moindre doute, sont de son fait. Pour la plupart, en tout cas, il se souvient vaguement d’avoir été responsable. Il lui semble, pourtant, qu’il n’y a pas là les pires méfaits de son existence. Ce qui l’amuse encore plus.
« Haha ! Attends, regarde ça ! crie-t-il à Myranda, amusé, en pointant la photo d’un couple, victime d’un meurtre sanglant. C’est pas moi, ça ! »
L’elfe noir reprend soudain son sérieux en détaillant le meurtre sur la photo et les informations qui vont avec. Ça, c’est sûr, ce n’est pas lui qui l’a fait. Il ne se rappelle peut-être pas de tous ses crimes, mais il est certain que celui-là ne vient pas de lui. En revanche, il n’est pas certain de savoir qui a pu faire une chose pareille. Ou plutôt… il en a une petite idée et n’aime pas ce que ça veut dire : ses parents sont plus proches de L.A. qu’il ne le pensait.
« Je crois que ça vient de mes vieux. Sérieux, je déconne pas. J’en connais une qui va être contente de ça, tiens, ricane-t-il, en songeant à la vengeance de Clionestra. Sérieux, s’ils sont dans le coin, t’auras plus de problèmes qu’en fricotant avec un démon, moi je te le dis. »
Jesus n’est pas sûr d’apprécier l’information que son dossier vient de lui donner. Déjà, il doit bien avouer qu’il n’aime pas être confondu avec ses parents, mais vu la date récente du meurtre, il ne peut pas s’agir de lui et vu la violence… Au moins, il sait à peu près vers où ils traînaient le mois dernier et pourra donner l’information à la louve. Il a hâte de voir ce qu’elle va en faire, de ses darons. C’est pas lui qui pleurera s’ils meurent, ça, c’est certain.
« Bon, c’est n’importe quoi, ton dossier. Brûlons-le, c’est mieux. » (Jesus s’extirpe du canapé pour aller dans la cuisine.) « La BACS s’en sort un peu mieux que je le croyais. Mais c’est pas encore ça. » (Il sort un grand plat et s’empare d’allumettes.) « Un jour, ils feront peut-être mieux leur travail. Mais c’est pas en s’amourachant de gros criminels que ça va avancer. »
Il ricane, dans son coin, avant de foutre le feu aux pages, posées dans le plat. Il admire les flammes qui noircissent les feuilles et réduisent les preuves en cendres. Il vaut mieux, pour Myranda, qu’il n’y ait aucune copie de tout ce qui est écrit là-dedans. Il veut bien être sympa, Jesus, mais il est hors de question qu’il paie pour les crimes de ses vieux.
Je n'arrive pas du tout à me reconnaître... Je dévoile qui je suis, je dévoile mes sentiments, je pactise avec un démon... Mais qui suis-je réellement ? Est-ce ma vraie nature ? Une fille qui fait presque pitié à cause des sentiments qu'elle a pour un garçon ? Il faut que je me reprenne en main. Il faut que je redevienne celle que j'étais il y a quelques temps. Je veux redevenir la fille insouciante qui envoie des pics à Jesus sans problème. Je ne veux plus de toutes ces choses sérieuses et déprimantes...
Jesus prend alors le dossier. Il a l'air content, c'est déjà ça. Et bizarrement il retourne s'installer dans mon canapé. Ainsi donc il ne prend pas la fuite avec le dossier. Il n'a pas envie de partir et de me fuir ? C'est assez surprenant mais je dois bien avouer que cela me rassure un peu. Tout n'est peut être pas parti en cacahuète... J'ai peut-être une chance d'arranger les choses. Il se met alors à étudier tout ce qu'il y a dedans. Et il rigole... Hein ? Probablement parce qu'on a bien trop de preuves contre lui et que cela l'amuse. Soudain il m'annonce que certains faits dans ce dossier ne sont pas de son fait... Pourtant tout est signé de la marque d'un elfe noir... C'est vraiment étrange. Pour nous il s'agissait forcément de lui.
- Ce n'est pas toi ? Sérieusement ?
Son air sérieux me rend nerveuse. Ce serait ses parents qui ont fait ça ? Et il pense que je vais avoir des problèmes ? Au vu du massacre qui a eu lieu je me doute bien qu'ils sont dangereux... Et ils sont deux... Je sais ce qu'a fait en partie Jesus alors je n'imagine même pas ce qu'ils ont pu faire tous les deux.
- Donc ce serait tes parents et ils sont dans les parages ? Cela ne présage rien de bon au vu de ta réaction...
Je sens qu'on va avoir un sacré boulot à faire avec la BACS... Il faudra sans doute que j'en parle à Morgana... Et lui avouer certaines choses... Comme la disparition du dossier que Jesus ne me rendra jamais... Je vais avoir de gros problèmes mais ce n'est pas mon principal souci... Si deux elfes noirs se trimballent et commettent des meurtres aussi horribles il va falloir que j'intervienne... Mais il s'agit des parents de Jesus...
Soudain Jesus décide de brûler le dossier, et donc les traces des meurtres de ses parents... Mais au moins il sera tranquille et il n'y aura plus aucune trace de ce que lui a fait. Je l'accompagne dans la cuisine et le regarde faire. Je tilte lorsqu'il parle des agents de la BACS qui s'amourachent des criminels. Je sais qu'il parle de moi...
- Ils font parfois du bon travail... Regarde dans nos prisons, il y a beaucoup de criminels enfermés... Mais parfois oui, certains membres de la BACS s'amourachent d'un criminel malgré leur sens du devoir... Ils ont beau lutter, les sentiments peuvent parfois être dur à mettre de côté... On ne peut pas être en permanence intelligent, il nous faut des moments de stupidité...
J'essaie de faire de l'humour, de mettre cela en dérision mais je ne sais pas si cela va fonctionner.
Je m'approche un peu plus de Jesus et regarde le feu détruire le dossier. La seule preuve qu'on avait contre cet elfe noir.
- Et maintenant tu vas faire quoi ? Vu qu'il n'y a plus aucune preuve contre toi ?
J'ai besoin de savoir s'il va partir, s'il va continuer de me parler... Je veux juste être fixée pour savoir quoi faire par la suite. Je sais déjà que j'ai une nouvelle mission, retrouver la trace de ses parents. Donc niveau professionnel je vais être bien prise. Mais niveau amitié ou niveau amour j'ai besoin d'être fixée, j'ai besoin de savoir à quoi m'attendre. Je me suis attachée à lui et j'aime passer du temps à ses côtés... Même s'il n'a pas de sentiments pour moi je m'en fiche, tant que nous restons amis... Je me sens bien en sa présence. Et je pense que nous avons réellement passés de bons moments ensemble. On a bien rigolé...
Jesus a presque envie de lui foutre des baffes à l’instant où Myranda ose lui demander si, sérieusement, il s’agit de ses parents. Que croit-elle ? Qu’il s’amuse à lui mentir pour qu’elle ne pense pas qu’il est le psychopathe dépeint par son dossier ? Non, loin de là. Le dossier de la BACS n’a même pas le quart de ce qu’a fait Jesus, dans sa vie. Déjà, parce qu’il ne remonte pas assez loin pour avoir ses premiers méfaits. Mais il sait pourquoi, lui, et ça le fait marrer. C’est que dans sa jeunesse, l’elfe noir avait de beaux cheveux bruns, alors, forcément…
Il n’aime pas, non plus, l’entendre répéter ce qu’il vient de dire. Non pas parce qu’il n’aime pas les perroquets (quoi que…) mais pour ce que ça sous-entend, sur l’intérêt de la panthère vis-à-vis de ses parents. Si elle veut s’amuser à essayer de les coincer, grand bien lui fasse ! Il sait qu’elle ne tiendra pas trois secondes, face à ses darons. Ils sont plus vieux que lui, plus vieux qu’elle et ils sont deux. Que peut-elle faire toute seule ? Il ne pense pas un seul instant qu’elle puisse survivre à une rencontre. Elle pourra même s’amuser à dire qu’elle connaît leur fils, tiens ! Il est persuadé que ça ne marchera jamais. Néanmoins, il ne veut pas la laisser faire. Elle ne doit pas courir après ses parents. Jesus a promis d’offrir leur tête à Clionestra et même s’il ne tient pas ses promesses, il a très envie d’assister au spectacle. Alors, il ne veut pas risquer que Myranda appelle ses petits copains de la BACS et essaie d’enfermer ces fous. Eux non plus, d’ailleurs, il est prêt à le parier, n’accepteront jamais de se faire enfermer derrière des barreaux.
Les flammes lèchent le plat et montent vers le plafond, en consumant les dernières pages du dossier. Jesus a un grand sourire, très fier de ce qu’il vient d’accomplir. Que la BACS essaie donc de monter un nouveau dossier contre lui, tiens ! Aujourd’hui, l’elfe noir ne fait pas les trois quarts des choses qui sont inscrites dans ce dossier. Il est pratiquement réglo et ne résume sa vie qu’à des bastons innocentes, ou pratiquement innocentes. La plupart du temps, c’est même lui qui se fait défoncer sans réagir. Alors bon… Il ne va pas se faire enfermer pour ça, quand même ! Ce serait idiot, alors que des psychopathes comme ses parents traînent toujours dans les parages.
Les mots de Myranda attirent le regard de l’elfe noir qui plisse les yeux et essaie de comprendre ce qu’elle lui dit. Il a très envie de savoir quelle est la proportion de criminels enfermés dans les prisons auxquelles elle pense, par rapport à la proportion de criminels qui errent dans le pays. Même les démons ont le champ libre, dans cette ville, et pas un seul médium à l’horizon pour les inquiéter trois secondes. Elle doit être bien vide, sa prison… Ou alors, c’est inquiétant de comprendre que la BACS est paumée au point de ne pas avoir prévu assez de chambres pour tout le monde. Dommage ! Avoir le gîte et le couvert gratuits n’est pas la pire idée du siècle.
Jesus ricane tout seul à sa blague de merde, ce qui tombe pile après le petit discours de Myranda, qu’il n’a écouté que d’une oreille. Il n’est pas franchement d’accord avec le fait de ne pas être intelligent tout le temps. Les humains n’ont vraiment rien pour eux s’ils sont pas foutus, en plus, de réfléchir H24 ! Quand on a des pouvoirs ou une force herculéenne, forcément, on peut reposer un peu le muscle le moins travaillé chez les humains. Mais quand on a rien pour soi, même pas un beau physique… Il hausse un sourcil. Il attend, quand même, mieux que ça de la métamorphe.
« J’ai pas la moindre idée de quoi tu parles, mais tu ferais bien de réfléchir un peu plus, quand même. C’est pas bon pour ta survie, ça, chaton. Et comment tu vas l’expliquer à tes patrons, hein ? Qu’un criminel multi-récidiviste, capable d’éviscérer un gamin les yeux fermés, a réussi à se glisser chez toi ? J’ai presque envie d’assister à ça. »
L’elfe noir est très fier de lui. S’introduire dans l’entourage d’une humaine ne lui plaît pas des masses, mais jouer avec le sens du devoir d’un agent de la BACS, ça, ça l’amuse beaucoup. Il sourit comme le débile qu’il est et essaie d’imaginer Myranda, devant un patron très laid et bedonnant, expliquer qu’elle aurait pu, depuis longtemps, débarrasser le pays d’un psychopathe.
« Ce que je vais faire ? » (Il fait mine de réfléchir, en retournant vers le canapé.) « Dormir jusqu’à la nuit. Il est bien trop tôt pour être réveillé, j’ai sommeil. »
Jesus se lance dans le canapé et s’allonge, à son aise, dans l’appartement de l’agent de la BACS. Il n’a pas peur qu’elle l’arrête, qu’elle s’invente un soudain regain de productivité et qu’elle essaie de faire de lui un exemple, ou que sait-il encore. Myranda est piquée au fer rouge par l’elfe noir. Elle aura bien du mal, maintenant, à se débarrasser de la cicatrice qu’il a inscrite, inconsciemment, en elle. L’amour, ce n’est pas une chose qu’il comprend, Jesus, mais il peut facilement imaginer qu’une humaine se laisse brûler les ailes par sa magnificence. Des hommes comme lui, après tout, il n’en existe… qu’un. Lui.
« Et toi, tu vas faire quoi ? Me jeter dehors ? Fais donc ! Pas de soucis. Mais c’est un peu tard, maintenant, non ? »
Il n’a, de toute façon, pas envie de bouger du canapé qui est plus confortable que son lit moisi. Mais bon, si elle ne veut plus le voir ici, il partira. Il ira voir ailleurs s’il y est et… ça pourra durer plusieurs années. Traîner dans les pattes de la BACS, c’est amusant, mais l’elfe noir doit rester prudent. Il n’a pas vécu cent ans en se laissant avoir aussi facilement, par quelques mots bien placés. Rien ne lui assure que Myrande n’essaie pas simplement de le tromper pour qu’il baisse sa garde. Ce qui n’arrivera jamais.
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