Trois silhouettes non identifiables qui suivent la victime, un écran avec la mention « meurtrier » à leur égard, l’absence d’activité surnaturelle …

- Et si nous avons en face de nous le marchand de sable ? suggéra subitement Lucian.

Si la proposition semblait enfantine, le fond ne pouvait pas être totalement faux. Il avait connu bien des cas par le passé, mais aucun sorcier n’avait été assez puissant pour tromper sa vigilance – qu’il ait bu, ou non bu. Ses charmes, ses gri-gris, ses connaissances, trinités puissantes qui lui permettaient d’éviter les malédictions lancées par ses ennemis ou encore tous les sorts de localisation. Il n’avait pas survécu si longtemps, en s’appuyant sur la chance. Que nenni !

Cependant, aussi attentif soit-il, il existait bien des magies puissantes qui pouvaient le piéger ou encore certaines créatures aux capacités exceptionnelles ou uniques. Par exemple, aussi puissant soit-il, il doutait qu’il pourrait faire face à un Dragon ou un Croque-mitaine seul. Il avait des faiblesses, et les longs siècles lui avaient permis de les connaître et surtout de les accepter. La nature humaine était bien traîtresse, car elle vivait dans cet étrange déni « je n’ai nulle faiblesse » et si faiblesse, « je ne peux rien y faire ! ». Accepter et vivre avec demandaient déjà bien du courage et une grande force de volonté.

- Nous pouvons effectivement avoir affaire avec des humains, mais qui ont bénéficié d’une aide magique au préalable. Pas de souvenir, un sommeil subitement lourd … je suppose une magie liée au sommeil ou à l’esprit, ou alors une créature surnaturelle ayant des capacités équivalentes. Les questions sont les suivantes : sommes-nous toujours dans cette illusion ? Et si oui, cela veut dire que toutes nos actions n’ont absolument aucun impact et que nous sommes toujours sur ce banc. Notre seule issue de secours est de trouver une faille, ou de la provoquer. Vu que nous ne connaissons rien de notre ennemi, ou nos ennemis, il faut le forcer à se manifester.

Aussitôt, il partage une subite idée qu’il avait. Et il murmure à sa partenaire du soir, cherchant également à connaître son avis.

- L’un de nous est accusé, ou nous deux. Qu’importe.  On retourne près du corps, on feint une dispute, et tu vas pointer ce flingue sur moi pour prétendre prendre l’ascendant sur moi. Je suppose qu’il y aura forcément un changement ou un événement.

Spoiler:

- C’est le fantasme de beaucoup de personne, de me tuer, répondit-il d’un ton qu’il aurait voulu taquin mais qui s’était révélé un tantinet stressé.

Il savait bien qu’il avait blessé ce noble esprit en refusant d’approfondir une relation naissante. Et apparemment, le temps n’avait pas totalement fermé cette blessure faite au cœur – et à l’orgueil, sûrement. Pourtant, le stress n’était pas dû en raison de la menace, mais plutôt d’un autre vis-à-vis gênant où il était persuadé d’en sortir vainqueur. Il avait l’intime conviction que sa mort sera bien plus ironique et bien plus humiliante que de mourir entre les mains d’une amante éconduite. Un court instant, la figure de sa sœur traversa son esprit. Elle pourrait être celle qui causera sa perte, assurément. Une pensée qu’il enfouit profondément, lorsqu’ils retournent à la scène de crime.

Si Lucian avait parié sur bien des issues à cette scène de théâtre que lui et sa partenaire jouaient, il venait tout bonnement de perdre ! La possibilité que le cadavre puisse bouger ne lui avait pas effleuré l’esprit, fait qui soulevait aussitôt bien des questions. Est-ce qu’ils avaient vérifié le pouls de la victime ? Est-ce qu’ils s’étaient assurés qu’aucune magie noire de type Nécromancie n’était à l’œuvre ? Est-ce qu’ils avaient envisagé toutes les créatures surnaturelles possibles ? Des questions qui resteront sans réponse tant qu’il ne pouvait pas sortir de ce maudit métro, et qu’il ne mettrait pas la main sur quelques informations supplémentaires – comme connaître davantage ladite victime, incluant son emploi, sa famille, son casier judiciaire ou ses occupations.

A cette dernière pensée, le Sorcier remarque une chose étonnante : les odeurs. Une drôle d’odeurs émanait de ses vêtements ou de la victime – à nouveau difficile de savoir, quand il était occupé par un jeu d’acteur – qui ne ressemblait en rien au sang séché.

- Et pourquoi serais-je le criminel ? Dois-je te rappeler que je me suis couché ivre mort sur ton épaule ? Tu as très bien pu profiter de cet instant pour récupérer mon arme, et tirer !

Maintenant, que devait-il faire ?
Et surtout, comment allait-il faire pour signaler à la brunette sa découverte « olfactive » ? A moins qu’il ne soit pas le seul à être pourvu d’un nez fin … Dans le doute, il enchaîne !

- Tu as peut-être développé un goût particulier pour le sang ! Je parie que si je regarde de plus près, tes narines doivent se régaler de l’odeur, hein !

Difficile d’être plus subtile, mais Lucian avait appris qu’il n’était pas nécessaire de l’être avec bien des criminels – excepté les esprits retords et supérieurs. Et puis, car tel est son rôle, il observe si la dame baisse un tantinet sa garde. Il fallait bien jouer jusqu'au bout, quoique il avait déjà une idée des risques qu'il était prêt à prendre.

Lancer de dé:

La comédie était finie, et cette réalité qui n’en semblait pas une pourtant les avait rattrapés. Des dizaines de balles roulaient sur eux, dorénavant. Avant de se lancer à la poursuite de quiconque, ou s’armer, Lucian s’agenouille afin de tâter le pouls de la prétendue quelques secondes mais aussi glisser un doigt propre sur une prétendue plaie. Aussitôt il se relève, approchant sa main souillée de ses narines pour humer attentivement.

Il y avait bien un soupçon de fer dans l’odeur, mais mélangé à celle d’un condiment. Lucian soupire profondément, commençant à comprendre cette affaire-ci. Petit à petit, les puzzles du mystère s’assemblaient dans son esprit :

Un sommeil subit et étrange
Un réveil dans un lieu improbable pour deux êtres surnaturels
Une victime probablement poignardée puis abattue par balle
Une balle qui manquait dans l’arme favorite de Lucian
Des enregistrements vidéo brouillés, avec des silhouettes accompagnants la morte
Une morte qui est déplacée
Une balle avec la rune protectrice de sa partenaire
Des dizaines de balles qui roulent vers eux

Finalement, le Sorcier se saisit d’une rune en particulier et commence à réciter doucement une formule. Après une petite minute, celle-ci est jetée au sol, retombant lourdement, s’enfonçant à même le sol. Aussitôt, un léger tremblement se fait ressentir tant au sol qu’aux murs. Les dégâts causés par le sort de Lucian étaient invisibles à l’œil nu : il venait de compresser considérablement tous ces jolis fils qui reliaient les caméras ou tout autre appareil de surveillance au courant, ainsi que l’éclairage. Ainsi, en quelques secondes, ils étaient passés d’un métro très éclairé, à un métro plongé dans la pénombre avec les lumières de secours allumées.

- Je me permets de reprendre mon arme, dit-il, saisissant fermement l’arme en question, et la braquant directement sur la morte. Nous allons arrêter ce cirque, maintenant. Je vous donne dix secondes pour vous révéler, ou je tire sur la face de votre amie la cadavre jusqu’à ce qu’elle ne ressemble à rien.

Avec son métier, il avait appris qu’un cadavre pouvait être mensonger. Il existait bien des sorts et des créatures qui pouvaient feindre un état de mort, sans l’être. Et si les armes à feu comme les armes blanches étaient inutiles face à certaines créatures, défigurer ces dernières déplaisaient considérablement chacun – ou encore la douleur supposée, si jamais la créature était dotée d’une auto-guérison.

Dès lors, sa déclaration n’était pas un stupide bluff : il était prêt à se donner à cœur joie à détruire le minois d’une morte. Ce n’était pas contraire à son vœu, car le corps allongé juste à ses pieds était supposé être une « morte » et ses ennemis être des potentiels « dangers » ou « mauvaises personnes ». En somme, il était dans son droit à bien des égards, sauf d’un point de vue éthique. Une notion qui changeait, d’une époque à l’autre.

Et le compte à rebours débute.